Devant les quais de Morges l’eau est en été le plus souvent fort
trouble, et la limite de visibilité est réduite à 2m, souvent à l m.
11 est donc très important pour des observations comparatives de
choisir une station bien située, toujours la même, suffisamment loin de
la rive pour échapper à ces influences perturbatrices locales.
B. Cause des variations de transparence.
11 résulte de ces diverses séries d’observations que la transparence
des eaux du lac présente deux ordres de variations générales. (')
i° Elle est plus grande, l’eau est plus limpide en hiver qu’en été.
2° La limpidité va en augmentant dans le Léman de la région orientale
à la région occidentale, ou si l’on veut de l’amont à l’aval, des bouches
de l’affluent principal à l’origine de l’émissaire.
Quelle est la cause qui altère la limpidité du lac? Quelles sont les
causes de ces variations ?
Tout d’abord nous constatons que l’eau n’est pas infiniment transparente.
Nous savons que certaines eaux sont plus limpides que celles
du Léman (2), mais quelque pures qu’elles soient, on n’a jamais jusqu’à
présent distingué un objet à travers une épaisseur de plus de 60™
d’eau ; on ne verra jamais à travers une couche de plus de 400™ ou de
150™ d’eau.
(*) Nous avons reconnu et étudié dans le lac de Constance des variations semblables
et dans les mêmes sens et praportions. F.-A. Forel. Transparenz und Farbe
des Bodensees. Schriften des Bodenseesvereins XXII, 33. Lindau 1893.
(2) L ’eau la plus limpide que j ’aie étudiée est celle du lac bleu de Lucel, la.
G o u ille p e r s e (*) d’Arolla, vallée d’Hérens, Valais. Le 26 août 1887, en regardant
dans l’eau sur un miroir incliné à 45° qui rendait horizontal le rayon visuel,,
j ’ai vu distinctement une feuille blanche que mon ami, Ed. Hagenbach, masquait
et démasquait alternativement sous l’eau, à 60m de distance, la 'p lu s grande longueur
du lac. L a netteté de l’image était-telle que je suis persuadé que, si le lac
eût été assez long, j’aurais pu la distinguer encore à 80 ou 100m.
On connaît la limite de visibilité de quelques eaux très limpides : le lac Tahoë,
dans la Sierra Nevada de Californie, 33m (J. Le Conte) ; la Méditerranée au large
de Civita-Vecchia, 42.5m (A. Secchi) ; la mer des Antilles, 50m (F.-L. dé Pourtàlès) ;
l’Océan pacifique, 59m (Wilkes). Le lac Lucel semble les dépasser toutes en
limpidité.
(*) La g o u ille p e rs e est un charmant lac de montagne situé à 2080“ d’altitude, alimenté
par une belle source qui sort du rocher à quelques mètres du lac et n’a ainsi aucun
trajet à l’air avant de se déverser dans le lac, lequel est d’une Gouleur azurée splendide. Son
nom est écrit G o u ille p a ir sur la carte du Club alpin de 1859.— Go u ille est un mot
du vieux patois romand qui signifie m a r ë ; p a ir a été mis pour p e r s . P é rs au féminin,
p e r s e est un adjectif du vieux français conservé dans les patois vaudois, valaisan, dauphinois,
provençal et est synonyme debleu ;la G o u ille p e rs e est donc lam a re b 1 euo.
L’eau a donc un pouvoir absorbant pour la lumière. M. H. Wild a
déterminé, par des expériences- directes, le coefficient de transparence
de l’eau pure, et il a reconnu qu’il varie avec la température : plus la
température est élevée, plus le pouvoir absorbant de l’eau augmente (1).
Pour l’unité d’épaisseur de un décimètre, M. Wild a reconnu que l’eau
laisse passer la fraction suivante de la lumière incidente :
à -j- 24.4" 0.917 90
-j 17.0 0.939 68
-)- 6.2 0.947 69
Y a-t-il dans cette absorption plus forte de la lumière pour l’eau plus
chaude une explication suffisante de la plus grande opalinité des eaux
d’été ? Je ne le pense pas.
. J’ai d’abord quelques réserves à faire sur la valeur du coefficient de
transparence de M. Wild ; il indique une absorption trop forte pour
être appliquée à l’eau de nos lacs.
Si nous calculons, avec le coefficient donné par Wild à l’eau de6°2,la
fraction de lumière qui arrive à travers une couche d’eau de 6™, de 8™, de
10” , nous obtenons les chiffres très faibles de 0.04, 0.01, 0.005 de là
lumière incidente. Or il est évident pour moi que pendant nos pêches
d’antiquités lacustres de l’hiver, alors que nous voyons et reconnaissons
avec la plus grande facilité sous 3, 4 et 5™ d’eau (2) les objets les plus
petits et délicats, des aiguilles ou des bagues, la quantité de lumière
qui revient à notre oeil après réflexion sur le fond est plus de 0.04 à
0.005 de la lumière incidente ; si le fond était aussi peu éclairé que le
veut la formule de M. Wild, nous serions tellement éblouis par la
lumière extérieure, 25 à 200 fois plus intense, que nous ne distinguerions
absolument rien sous une couche d’eau aussi absorbante. 11
est évident aussi que quand je vois disparaître à 21™ de profondeur un
disque blanc qui s’enfonce dans le lac, au moment où je vais cesser de
le voir, il envoie encore à mon oeil une quantité de lumière supérieure
à la fraction 0.00000000016 que me donne le calcul d’a.près'le coefficient
de Wild, soit à 16 cent milliardièmes de la lumière incidente. Si
la lumière qu’il renvoie à mon oeil était aussi faible, je ne saurais dis-
' ( i H. Wild. Ueber die Lichtabsorption der Luft. Poggendorfs Annalen. Anhano-
CXXXIV, 582. Berlin, 1868. .
© M- rayon lumineux q u ire rie n t à notre oeil a fait u n trajet double dans l’eau.