d’eau qui, dans chaque oscillation des seiches, doit passer d’un côté à
l’autre du plan vertical du noeud de balancement. Or le détroit de
Promenthoux, qui est le point le plus resserré près du noeud de
balancement, a une aire de section de 135000m2. C’est donc une
quantité de 58m3 qui doit passer par chaque mètre carré du détroit,
ou, si l’on veut, un corps flottant dans l’eau subirait pendant chaque
oscillation de seiche un va-et-vient de 58™ de longueur. Cela semble
beaucoup, et une observation attentive, en temps favorable, le reconnaîtrait
certainement. Mais cela ne donne qu’un courant bien faible.
En effet, ce déplacement emploie 36.5 minutes dans chaque sens, ce
qui ne produit qu’un courant de 1.6m par minute. Un tel courant,
visible par le calme plat, échapperait certainement à l’oeil sitôt que le
lac serait ridé par la brise la plus légère.
Et c’est là le courant de seiches le plus intense, dans la localité la
plus favorable. Qu’en est-il des seiches ordinaires qui n’ont que quelques
centimètres de hauteur ? Qu’en est-il partout ailleurs sur le lac ?
On peut dire que ce courant des seiches est presque nul.
Et cependant, quelque faible qu’il soit, je crois pouvoir lui attribuer
une action efficace et utile pour l’égalisation du sol du lac.
Nous avons vu que la plaine centrale du Léman est parfaitement égale
et unie, que les irrégularités de son sol sont nulles. J’ai admis Q) que
l’égalisation de ce plancher était due en partie au dépôt de l’alluvion
qui, recouvrant d’un tapis uniforme les accidents du terrain primitif,
dépose cependant un peu plus sur les dépressions de ce sol, un peu
moins sur les éminences, et tend ainsi à niveler les reliefs. Il me
paraît qu’à cette action doit s’ajouter celle du courant des seiches.
Tout courant, en effet, surtout s’il est alternatif, s’il est un va-et-vient,
doit égaliser le dépôt d’une pluie, de poussières précipitées ; les particules
entraînées par Le courant ne s’arrêtent pas sur les parties saillantes
; elles s’accumulent dans les remous formés par les creux. Mais
pour que cette action soit efficace, il faut qu’il y ait rapport convenable
entre la vitesse du courant et la vitesse de chute des poussières
précipitées. Or, si le courant des seiches est infiniment faible, la
vitesse de précipitation de l’alluvion en suspension dans l’eau du lac
est aussi infiniment lente. Nous avons vu (2) la lenteur prodigieuse de
(*) T. I, p. 389.
(*) T. I, p. 107.
l’éclaircissement d’une eau touchée par l’alluvion du lac ; en 4 jours,
des flacons remplis d’une eau faiblement argileuse n’étaient redevenus
transparents que sur une épaisseur de 6.5cm. Cette vitesse de précipitation
est du même ordre que la vitesse de déplacement du courant
des seiches ; ce dernier peut donc agir pour ordonner et disposer également
ces poussières impalpables qui tombent sur le sol du lac.
Telle est la classification théorique que nous pouvons établir dans
les courants du lac. Dans la pratique, il est souvent fort difficile de les
distinguer et de déterminer à quelle classe ils appartiennent.
Les courants du lac sont essentiellement irréguliers et inconstants ;
ils ne se prêtent à aucune description générale. Ils sont le plus visibles
devant les pointes et caps saillants dans le lac, comme ceux de
;St-Prex, d’Yvoire, de St-Sulpice, etc. Ils sont appelés sur le Léman
•du nom local de ladière ou lardière; ces courants sont le plus forts
après les tempêtes, orages et autres perturbations atmosphériques et
lacustres. Les bateliers croient avoir constaté un renforcement des
courants avant la tempête, et ils y'voient un pronostic de mauvais
temps. J’ai souvent entendu les pêcheurs dire : « Nous allons avoir un
changement de temps ; la ladière monte (ou elle descend), » Je
regrette de n’avoir pas mieux noté ces énoncés, probablement justifiés,
fondés sur l’expérience pratique de ces hommes de lac.
Les plus forts courants qui aient été, à ma connaissance, mesurés
sur le Léman, avaient une vitesse de :
Morges 21 mai 1869 12™ mi0 F.-A. Forel.
» 26 juin 1876 16 — —
Yevey .................... 48 — B- Blanchet. (*)
18m à la minute, un peu plus d’un kilomètre à l’heure ; c’est là une
•vitesse bien faible comparée aux grands courants marins — le courant
fie la Floride, par exemple, atteint dans le vieux canal de Bahama
une vitesse de 7 à 8k™ à l’heure ; le courant de marée du ras Blanchard,
entre les îles Normandes, dépasse parfois 6km à l’heure. —* Mais
nos ladières du Léman sont cependant très sensibles, et parfois assez
fortes pour gêner les manoeuvres des bateaux à vapeur et des barques
dans certains points d’abordage, aux débarcadères de St-Prex et de
St-Sulpice, par exemple.
fi) Bull. S. V. S. N. III, 151.