dire ; au bout de quelques semaines, mois ou années, l’eau versée par
un affluent ou tombée en pluie se perdra dans la masse indéfinie du
lac ; mais ce procès ne sera achevé qu’après un temps probablement
fort long, beaucoup plus long que celui que nous avons admis jusqu’à
présent.
Je me figure par exemple que l’éau du Rhône d’été, descendue au
fond du lac, étalée sur la plaine centrale, y séjournera fort longtemps
avec ses caractères propres, avant de se confondre par mélange avec
la grande masse du lac. Ce serait une jolie surprise pour nos chimistes
analystes s’ils parvenaient à en déceler la présence.
Incapables que nous sommes de pénétrer dans les profondeurs du
lac, nous ne voyons que la surface, et dans cette surface nous ne pouvons
distinguer à l’oeil les eaux de composition différente. Il est cependant
certaines circonstances où nous arrivons à reconnaître ces masses
d’eau à caractères individuels. J’ai racontée page 280, l’étrange
apparence des eaux côtières de la rive nord du lac quand les courants
de retour de la bise amènent à la surface les eaux opalinisées par
les tro u b lo n s du R h ô n e .L o r s q u e les eaux sales duRhôneou d’un
affluent débordé se sont versées à la surface du lac, on voit, pendant
bien des jours parfois, le lac bigarré par des taches verdâtres qui se
promènent à distance, entraînées par le jeu des courants ; dè la hauteur
des monts de La Vaux, de Glyon ou de Naye, on jouit souvent de ce
spectacle, r— Dans mes notes sur la couleur du lac, je trouve le fait
suivant : Le 23 mai 1886, un fort orage de pluie sur Lausanne avait
gonflé le Flon qui avait charrié dans le lac de grandes masses d’eau
sale. Le 25 mai, je naviguais au large avec Hôrnlimann sur le Sondeur ;
nous trouvâmes le soir, jusqu’à un kilomètre au large d’Ouchy, une
grande étendue d’eau opaline verdâtre dont je fixai la teinte aVec mes
crayons de pastel; j ’inscrivis que l’eau avait en ce point-là la couleur
du lac des Quatre-Cantons. Le 1er juin, soit 9 jours après l’orage du
23 mai, en passant en bateau à vapeur d’Ouchy à Morges, je retrouvai
encore une de ces masses d’eau verte très distincte et très nettement
caractérisée.
Cela étant ainsi, nous avons l’explication fort simple des différences
très notables que nous constatons dans les analyses d’eau du lac faites
par le même chimiste. Le lac est formé par la juxtaposition d’une foule
de masses d’eaux différentes qui ne se pénètrent et ne se mélangent
que petit à petit. Chaque prise d’eau peut donner un résultat différent
de la prise voisine.
Il paraît probable que le mélange s’opère de plus en plus à mesure
que 1 on avance en descendant le cours du lac. Les grandes causes
d altératipn sont les masses d’eau apportées par les affluents ; les plus
importantes sont le Rhône, la Drance, la Venoge, qui se versent dans
le. Grand-lac, la Promenthouse à l’entrée du Petit-lac ; les eaux
alourdies par là charge d’alluvion des trois premiers affluents s ’accumulent
au fond de la cuvette de la plaine centrale. Dans le Petit-lac
il n y a comme cause d’altérations que la Promenthouse et quelques
petits ruisseaux sans importance. Quant à l’eau lacustre qui arrive au
détroit de Promenthoux pour s’écouler vers Genève, il est probable
que pendant son long séjour dans le Grand-lac, un mélange plus ou
moins parfait a dû s’opérer. Je suis donc disposé à croire que l’eau est
beaucoup plus uniforme dans le Petit-lac que dans le Grand-lac,
à Genève plus que partout ailleurs. Ce serait conforme au fait
que les plus grandes divergences dans les séries de résultats d’un
même auteur nous viennent des analyses Ghuard et Seiler qui
ont pris leur eau devant Ouchy (analyses N°s 23 à 3 3 et N» 47),
tandis que la plupart des autres séries ont été levées dans la rade de
Genève.
Il y a là, ce me semble, sujet à de nouvelles recherches qui amène-
i°n t sans doute à des constatations intéressantes ; nous nous permettrons
de les recommander à nos amis les chimistes qui peuvent disposer
de temps et de patience. Nous aurons du reste à revenir sur
ces questions quand nous discuterons bientôt les recherches de
Ch. de Marignac sur lès matières organiques dissoutes dans l’eau de
Genève.
J ai cru avoir trouvé la preuve de ces différences systématiques
régionales dans la composition de l’eau du Léman. Les analyses Nos 40
à 46 de M. H. De Grousaz montraient une diminution frappante du
résidu sec à mesure que la prise d’eau était plus aval sur la longueur
du laer Les chiffres variaient de 2 3 0 ^ par litre près de Villeneuve, à
160mg dans le Petit-lac. Pour vérifier ce fait, MM. Chuard et Jaccard
ont eu 1 obligeance de répéter des analyses comparatives sur de l’eau
que j ’avais puisée le 24 mai 1894 dans les diverses régions du lac
(analyses Nos 34 à 41) ; les quantités du résidu solide ont varié de 176