taches, de kilomètres d’étendue, qui jaunissent l’eau. Ces taches jau
nâtres, en général fort bien limitées, se dessinënt pour leur part dans
la couleur apparente du lac. Au bout de quelques jours, l’alluvion grossière
est descendue dans les eaux profondes, et il ne reste plus à la
surface qu’une alluvion impalpable qui se mélange progressivement à
la grande masse du lac sous le jeu des vagues et des courants, et rend
l’eau opalescente, jaunâtre. Ces teintes jaunâtres qui se combinent
optiquement au bleu propre du Léman, lui donnent des nuances verdâtres,
aigue-marine, tout-à-fait remarquables. Quelques jours plus
tard, il ne persiste plus qu’une très faible opalinité qui lave de blanc
le bleu de l’eau, et lui donne, dans sa participation à la couleur apparente,
des teintes de myosotis d’une délicatesse extrême.
40 Ces nuances bleu-myosotis ou turquoise, sont causées parfois
aussi par les eaux troubles du R h ô n e , qui, comme nous l’avons vu
page 280, peuvent être amenées à la surface par les courants de convection
des grandes bises,
Ces faits généraux, et bien d’autres observations que la contemplation
du lac fournit chaque jour, mais qu’il serait oiseux de multiplier
ici, justifient les affirmations que j’ai énoncées sur l’intervention de
la couleur propre du lac dans l’établissement de la résultante qui fait la
couleur apparente. La couleur propre du l a c entre pour sa part, en
des circonstances déterminées, dans L e s variations de teintes que pié-
sente le lac considéré à distance suivant un rayon oblique ou tangent.
En résumé, la couleur apparente du lac, celle qui se montre a une
vue rasante ou oblique, est la résultante d’un certain nombre de facteurs
d’ordres très divers, tous variables dans leur action et dans leurs
effets.
Le plus important, c’est l’état de la surface du lac, qui tantôt est
calme et représente un miroir unique donnant des faits de reflexion
relativement simple, qui le plus souvent est ridé par des vagues et
; représente alors un miroir composé. La forme des vagues, leur grandeur,
leur direction, font varier considérablement les phénomènes de
réflexion nur cette surface ondulée.
En même temps que les vagues modifient le phénomène de la
réflexion, elles font pénétrer le rayon visuel dans la masse meme de
l’eau quand leur orientation est telle que les lignes de faîte soient à
peu près perpendiculaires au plan de la vision; dans ce cas,la couleur
propre de l’eau intervient avec plus ou moins d’importance dans la
composition de la couleur apparente.
Le second facteur est la couleur des surfaces réfléchies sur le lac,
côte opposée et ciel bleu ou nuageux. — Le troisième facteur est la
couleur propre du lac.
L’éclairage et l’intensité de la lumière, les effets de contraste ajoutent
leurs actions, et modifient presque à l’infini l’impression physiologique
que nous appelons la couleur apparente du lac.
Par la combinaison de ces différents facteurs, tous variables, nous
voyons alterner sur le lac toutes les nuances, tous les tons, toutes les
teintes de la gamme entière des couleurs. La teinte apparente du lac
passe du blanc au noir et donne toutes les couleurs du spectre, plus
*011 moins relevées, plus ou moins rabattues. Je citerai des exemples
de ces extrêmes de couleurs tranchées en indiquant leur mode de
formation :
Le blanc vient de la réflexion sur un lac calme d’un nuage blanc ou
d’une surface de neige.
Le noir est donné par la réflexion de masses sombres, qui paraissent
noires par contraste avec un ciel éclairé (arbres verts qui font silhouette
sur le ciel du couchant).
Le rouge, l’orangé, le jaüne viennent essentiellement de la réflexion
du ciel illuminé par les feux de l’aurore et surtout du couchant. Les
tons rouges les plus intenses, nous les avons vus dans les embrasements
crépusculaires qui ont apparu pendant les mois de novembre,
décembre 1883 et janvier 1884, à la suite de la grande éruption du
Krakatoa du 26-28 août 1883. (l)
Le vert est donné, ou bien par le mélange d’eaux légèrement opalines,
jaunâtres, avec le bleu du lac, ou bien par des effets de contraste
qui font virer au vert' le bleu mis à côté de masses violettes, ou bien
par la coloration de l’eau par des algues vertes (Pandorina morum),
ou bien encore par la réflexion à courte distance du vert de la végétation
sur la côte opposée.
Le bleu et l’indigo sont dus à la couleur propre de l’eau du Léman ;
ils sont renforcés par la réflexion d’un ciel d’azur.
(fi Je dois à la libéralité de M. Hosch, le peintre verrier de L ausanne, une étude
précieuse, peinte d’après nature, des feux crépusculaires de 1883. C'est la meilleure
représentation que j ’en connaisse. Les tons rouges y tiennent du vermillon et du
. carmin, : . .