II. COULEUR DE L’EAU.
L’eau claire, qui paraît incolore dans un verre ou dans un bassin peu
profond, prend une teinte très prononcée quand on la regarde par transparence,
sous une épaisseur suffisante. C’est la c o u le u r p ro p r e de-
l’eau.
On l’étudie en remplissant d’eau un tubeQ) opaque, de 4 mètres et
plus de longueur, fermé aux extrémités par des lames de verre trans-
paient et en regardant au travers .de l’eau une surface blanche bien
éclairée. La méthode a été inaugurée par Bunsen en 1847; pour
abréger, j’appellerai cet appareil tu b e de B u n s e n . On voit alors, si
1 eau est sufnsamment limpide, le blanc de l’écran teinté de nuances <0
bleuâtres, verdâtres, jaunâtres ou orangées, suivant la nature'de l’eau
Le ton est d’autant plus foncé que la longueur du tube est plus grande
Dans un lac suffisamment profond, on peut étudier la couleur de-
l’eau directement sans aucun appareil ou instrument; mais il faut certaines
précautions pour se garer de diverses causes disturbantes, des;
actions colorantes accessoires qui troubleraient l’observation; l’on doit
éliminer entr’autres la lumière réfléchie sur la surface miroitante de
l’eau et la lumière réfléchie sur le sol coloré du lac. Cette dernière est
facilement écartée si l’on ne fait la recherche qu’en plein lac, en un
point où l’eau ayant plus de 20m d’épaisseur, le fond du lac n’apparaît
plus à l’oeil, semble noir, et ne renvoie plus de lumière; c’est la région
que nous apppelons sur le Léman l ’eau b leu e . (3)
Quant à la lumière réfléchie par la surface de l’eau, lumière colorée
par l’image des montagnes riveraines et du ciel avec ou sans nuages, on
la supprime en regardant l’eau suivant un rayon vertical, perpendiculaire
à la surface. Quand le rayon visuel est normal à la nappe d’eau,
la lumière réfléchie est réduite à son maximum et la couleur de l’eau.
(A Le tube que j ’emploie mesure 6m de longueur, 3™ de diamètre, en feuilles de
zinc, fermé aux deux extrémités pa r des glaces transparentes ; à chaque extrémité,
un petit ajutage vertical ascendant permet d’y verser beau au moyen d’un entonnoir
et de laisser sortir l’air pendant le remplissage et le vidage du tube.
H En suivant la nomenclature de. Chevreuil, j ’appelle to n s de la oouleur les
diverses teintes que présente la même nuance suivant qu’elle est plus ou moins
mélangée de bleu ou de noir, n u a n c e s de la couleur, les div'erses teintes que p résente
le même ton suivant qu’il confient des proportions différentes des couleurs
fondamentales de la lumière.
(?) On l’appelle ailleurs íe »oír.
est dominante. Pour éteindre encore mieux ia lumière externe réfléchie
à la surface de l’eau, l’observateur qui se penche en dehors du
bateau n’a qu’à regarder au milieu de l’image obscure formée par sa
propre figure : il peut élargir ce champ obscur en étendant au-dessus de
sa tête un écran noir (un parapluie, par ex.). — Je trouve encore facilement
la couleur propre de l’eau en cherchant, sur le pont du bateau en
marche, le point où la vague de refoulement s’incline contre le corps du
navire; la surface de réflexion renvoie alors l’image du corps noir ( ‘)
du bâtiment qui n’émet que très peu de lumière, et la couleur propre
de l’eau apparaît presque sans mélange. On peut obtenir fort bien la
couleur propre de l’eau d’un lac en regardant obliquement par-dessous
le corps d’une barque peinte en noir qui navigue en plein lac, ou par-
dessous le bateau radeleur qui vient assez loin des côtes accoster le
bateau à vapeur; la condition dans laquelle le ton est le plus brillant,
c’est lorsque le bateau qui fait écran est entre nous et le soleil.
Enfin l’on trouve sur quelques navires certain trou ou canal permettant
au rayon visuel de plonger verticalement dans l’eau. La couleur est
dans ce cas étonnamment brillante, mais la comparaison avec une gamme
de teintes n’est souvent pas facile, vu le mauvais éclairage du cabinet.
La couleur de l’eau profonde d’un lac étudiée dans la verticale est
d’un ton relativement foncé ; en effet, au lieu d’apparaitre sur une surface
blanche, éclairée, comme dans le tube de Bunsen, elle se montré
sur le fond obscur, noir du lac; elle est mélangée de noir. Suivant la
nomenclature de Chevreuil, tandis que le ton était a b a is s é sur un fond
blanc, il est é le v é sur un fond noir; dans la langue des peintres, le ton
de l’eau profonde est a b a ttu .
11 est un moyen très élégant d’étudier la couleur propre de l’eau en
plein lac, sans être troublé en rien par la lumière réfléchie à la surface
de l’eau. Prenez un miroir, une glace argentée, par exemple, et
plongez-la dans l’eau en l’inclinant sous un angle de 45° (2) ; le rayon
(*-)'Si te bâtiment est peint •de-couleurs claires, celles-ci se réfléchissent su r l’eau
et altèrent la couleur propre du lac.
0 Le procédé du miroir que nous devons à Wittstein (Pogg. Ann.. XLV, 474)
peut être employé-à étudier la couleur de l ’eau dans un étang, .dans un ruisseau
sans profondeur, où l’eau est assez limpide pour ne montrer directement aucune
trace de coloration. Sur le miroir de Wittstein on voit la couleur de l’eau, parfois
de teintes admirables, et la méthode semble excellente. Toutefois, comme nous le
dirons plus loin, la lumière réfléchie dans une eau peu profonde pa r le sol coloré
lui-même influe sur la couleur de l ’eau vue suivant le rayon horizontal et la
modifie souvent gravement.