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 vire : nous  en passâmes  à  quatre cents  toises,  tandis  
 que M.  Guilbert allait  le  reconnaître.  Ce n’est  qu’un  
 petit plateau peu étendu et qui n’offre point de danger,  
 ayant  tout à l’entour dix-sept brasses d’eau. 
 Nous  cinglâmes  ensuite  devant  un  vaste  enfoncement  
 qui doit contenir plusieurs îles , baies et canaux.  
 Vers  deux  heures,  nous  donnions  à  pleines  voiles  
 entre une  île  située  sur  bâbord  (Tlri-Tiri-Matangui)  
 et une presqu'île sur la  droite qui ne tient à la grande  
 terre que  par un isthme fort étroit. Dans ce canal qui  
 a  deux  ou  trois  milles  de  largeur,  le  fond décroissait  
 régulièrement  de  vingt  à  dix-sept  brasses.  Ensuite  
 nous nous  trouvâmes  dans  un  golfe  spacieux  sur  la  
 bande  occidentale  de  la  baie  Shouraki,  où  nous  
 fûmes obligés de courir des bordées  pour nous  élever  
 dans le S. O. 
 Ce  beau  bassin a  dix  à  douze milles  d’étendue  en  
 tout sens. Au  S. E.  il  est  bordé par  une chaîne d’îles  
 médiocrement  élevées  et bien boisées;  à l’O.  par une  
 côte uniforme,  taillée à p ic ,  triste et stérile ; au N. N.  
 O.  un  large  canal  paraît  s’enfoncer  dans  les  terres :  
 mais je préférai diriger mes recherches vers une autre  
 ouverture dans le su d , qui devait,  suivant mon calcul,  
 me rapprocher  de  la  côte opposée de la Nouvelle-Zélande  
 ,  et  réduire à très-peu de chose la largeur d’Ika-  
 Na-Mawi sur ce point.  Je n’étais pas même éloigné de  
 penser qu’il pouvait exister ici un canal qui partagerait  
 cette terre  en deux îles. 
 Nous  n’avons  remarqué  aucune  trace  d’habitans,  
 seulement deux  ou  trois  fumées  fort loin  dans l’intérieiir. 
   On  ne peut douter que cette  extrême dépopulation  
 ne provienne des ravages de la guerre. 
 La bi’ise ayant beaucoup molli et varié à l’O.  S. O.,  
 dans  la  soirée,  nous  laissâmes  tomber  l’ancre  par  
 douze  brasses,  vase  molle,  à  quatre  milles  de  la  
 côte.  En peu d’instans  l’équipage pécha à la ligne une  
 immense  quantité  de  beaux  poissons  et  de  la  chair  
 lap in s  exquise.  Dans  l’après-midi,  un  petit  squale  
 marteau avait quelque  temps  suivi la corvette. 
 Le branlebas  se fait  à cinq heures,  et quelques minutes  
 après  l’Astrolabe  est  sous  voiles.  Le vent fixé  
 au  S.  S.  O.  nous  réduisait  encore  à  louvoyer,  et je  
 prévis qu’il nous  faudrait une bonne partie  de la journée  
 pour  atteindre  la passe du  sud.  Afin  de  mettre  
 ce  temps  à  p rofit,  je  sautai  dans  la baleinière  avec  
 MM.  Lottin,  Gaimard et Lesson,  pour aller  explorer  
 les  canaux  intérieurs,  laissant  la  corvette,  sous  la  
 conduite de M. Jacquinot,  s’avancer à petites bordées  
 vers la passe.  A  la distance d’une demi-lieue environ,  
 nous  prîmes  plaisir  à  voir  bAstrolabe  sillonnant les  
 eaux  tranquilles  d’un  bassin  environné  de  terre  de  
 tous  côtés :  son  corps légèrement balancé  sur la  surface  
 des  flots ,  ses voiles  doucement  enflées  par  une  
 brise  légère,  contrastaient  vivement  avec  le  silence  
 absolu de la nature.  Perdue comme un point sur l’immensité  
 des mers,  la masse d’un navire  reprend toute  
 son  importance  dès  qu’elle  est  rapprochée  d’objets  
 qu’on  puisse  lui  comparer.  L’effet  cpie  ce  spectacle  
 produit est peut-être plus frappant encore pour le navigateur  
 qui,  renfermé dans  cette  demeure flottante. 
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