VOYAGE 159
vire : nous en passâmes à quatre cents toises, tandis
que M. Guilbert allait le reconnaître. Ce n’est qu’un
petit plateau peu étendu et qui n’offre point de danger,
ayant tout à l’entour dix-sept brasses d’eau.
Nous cinglâmes ensuite devant un vaste enfoncement
qui doit contenir plusieurs îles , baies et canaux.
Vers deux heures, nous donnions à pleines voiles
entre une île située sur bâbord (Tlri-Tiri-Matangui)
et une presqu'île sur la droite qui ne tient à la grande
terre que par un isthme fort étroit. Dans ce canal qui
a deux ou trois milles de largeur, le fond décroissait
régulièrement de vingt à dix-sept brasses. Ensuite
nous nous trouvâmes dans un golfe spacieux sur la
bande occidentale de la baie Shouraki, où nous
fûmes obligés de courir des bordées pour nous élever
dans le S. O.
Ce beau bassin a dix à douze milles d’étendue en
tout sens. Au S. E. il est bordé par une chaîne d’îles
médiocrement élevées et bien boisées; à l’O. par une
côte uniforme, taillée à p ic , triste et stérile ; au N. N.
O. un large canal paraît s’enfoncer dans les terres :
mais je préférai diriger mes recherches vers une autre
ouverture dans le su d , qui devait, suivant mon calcul,
me rapprocher de la côte opposée de la Nouvelle-Zélande
, et réduire à très-peu de chose la largeur d’Ika-
Na-Mawi sur ce point. Je n’étais pas même éloigné de
penser qu’il pouvait exister ici un canal qui partagerait
cette terre en deux îles.
Nous n’avons remarqué aucune trace d’habitans,
seulement deux ou trois fumées fort loin dans l’intérieiir.
On ne peut douter que cette extrême dépopulation
ne provienne des ravages de la guerre.
La bi’ise ayant beaucoup molli et varié à l’O. S. O.,
dans la soirée, nous laissâmes tomber l’ancre par
douze brasses, vase molle, à quatre milles de la
côte. En peu d’instans l’équipage pécha à la ligne une
immense quantité de beaux poissons et de la chair
lap in s exquise. Dans l’après-midi, un petit squale
marteau avait quelque temps suivi la corvette.
Le branlebas se fait à cinq heures, et quelques minutes
après l’Astrolabe est sous voiles. Le vent fixé
au S. S. O. nous réduisait encore à louvoyer, et je
prévis qu’il nous faudrait une bonne partie de la journée
pour atteindre la passe du sud. Afin de mettre
ce temps à p rofit, je sautai dans la baleinière avec
MM. Lottin, Gaimard et Lesson, pour aller explorer
les canaux intérieurs, laissant la corvette, sous la
conduite de M. Jacquinot, s’avancer à petites bordées
vers la passe. A la distance d’une demi-lieue environ,
nous prîmes plaisir à voir bAstrolabe sillonnant les
eaux tranquilles d’un bassin environné de terre de
tous côtés : son corps légèrement balancé sur la surface
des flots , ses voiles doucement enflées par une
brise légère, contrastaient vivement avec le silence
absolu de la nature. Perdue comme un point sur l’immensité
des mers, la masse d’un navire reprend toute
son importance dès qu’elle est rapprochée d’objets
qu’on puisse lui comparer. L’effet cpie ce spectacle
produit est peut-être plus frappant encore pour le navigateur
qui, renfermé dans cette demeure flottante.
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