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leur inspirer une demande aussi inhumaine. Je ne faisais
donc que rire de ce manège singulier, quand tout-
à-coup un mouvement général, une sorte de murmure
confus s’éleva du milieu des naturels ; ils jetèrent des
regards inquiets hors du navire, et bientôt je m’aperçus
que leur trouble était occasioné par l’arrivée d’une
pirogue montée de sept à huit hommes seulement,
parmi lesquels deux semblaient d’un rang supérieur.
Cette fois, nos hôtes me prièrent, me supplièrent avec
instance de tuer les nouveaux venus ; ils allèrent jusqu’à
me demander des fusils pour tirer eux-mêmes
dessus, en un mot ils employèrent tous les moyens
possibles pour exciter mon courroux contre ces étrangers.
Loin de me rendre à ces voeux sanguinaires , je
me plus à accueillir amicalement ceux qui en étaient
l’objet, et à leur assurer qu’ils seraient bien reçus.
Ils.parurent hésiter quelque temps, et à travers le
désir évident qui les sollicitait de monter à bord se
lisait une nuance visible d’inquiétude et de soupçon.
Cependant la conduite des autres insulaires à leur
égard avait diamétralement changé; convaincus que
je ne voulais point me rendre à leurs prières, ils prirent
à l’égard des nouveaux venus un air très-respectueux;
Shaki lui-même, jusqu’alors si fier, et le plus
empressé à me faire tirer sur e u x , Shaki changea
tout-à-coup de ton ; il devint modeste et silencieux,
il poussa la déférence jusqu’à aller offrir à deux naturels
de la pirogue redoutée quelques grandes haches
qu’il n’avait acquises qu’avec beaucoup de peine, et
auxquelles il semblait tenir presque autant qu’à son
existence. Cette manoeuvre fut suivie par tous ceux
qui n’avaient pas eu le temps de cacher assez bien ce
qu’ils avaient reçu de nous.
Les deux chefs s’étaient enfin décidés à monter à
bord, et j ’examinais attentivement leurs faces complètement
tatouées et leur attitude guerrière et farouche^
Chez aucun Nouveau-Zélandais je n’avais encore observé
ce double caractère à un degré aussi prononcé,
pas même chez le terrible Hihi de Waï-Mate. Je m’apprêtais
à les interroger, après avoir capté leur bienveillance
par quelques cadeaux, lorsque je les vis tout-à-
coup me quitter brusquement, sauter dans leurs pirogues
, et pousser au large. Ayant cherché à connaître
la raison de cette retraite précipitée, j’appris que les
naturels qui se trouvaient déjà à bord, et Shaki à
leur tê te , avaient insinué aux compagnons de ces deux
chefs que mon intention étant de les tuer, leur vie
n’était pas en sûreté sur le navire. Voulant à tout prix
les en chasser, ces rusés sauvages n’avaient pas imaginé
de meilleur moyen que ce mensonge, et il avait réussi.
Dépité de cette supercherie, et inquiet des suites
qu’elle pourrait avoir, je grondai ceux qui l’avaient
inventée, je me hâtai de désabuser les étrangers et les
engageai à revenir à bord. Ils parurent ajouter foi à mes
protestations; mais voyant qu’ils avaient été trompés,
ils entrèrent dans une fureur épouvantable contre les
naturels du bord, et, bien que ceux-ci fussent trois
ou quatre fois plus nombreux, les autres les défièrent
par les paroles el les gestes les plus outrageans, et je
voyais qu’ils les provoquaient à descendre à terre pour
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