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noire ro u le , et l'orce nous (ut de laisser tomber l’ancre
à l’ouvert de la baie dans un point mal abrité contre le
vent régnant.
A peine étions-nous mouillés, que le ciel s’étant
chargé de toutes pa rts, le vent souffla avec force du
S. E., accompagné'd’une pluie abondante, et soulevant
une forte houle. Néanmoins nous ne tardâmes
pas à distinguer une longue pirogue de guerre qui
s’était détachée du fond de la baie , et s’avançait vers
nous de toute la vigueur de ceux qui la montaient,
car ils manoeuvraient avec une extrême habileté. Il
ri. X L ix . n’était pas sans intérêt de voir cette longue et frêle
embarcation surgir et disparaître alternativement au
travers d’une lame assez creuse. Les naturels portaient
tous le costume national de la Nouvelle-Zélande,
c’est-à-dire des nattes en mouka [phormium tenax)
plus ou moins grossières, à l’exception d’un seul individu
proprement vêtu d’habillemens anglais. Je le
pris d’abord pour quelque déserteur établi parmi ces
insulaires, d’autant plus qu’il accosta la corvette sans
hésiter, monta à b o rd , demanda le rangatira rah i,
et s’avança vers moi d’un air fort délibéré. Ce ne fut
qu’en l’entendant parler, et examinant de plus près ses
traits à demi tatoués, que je le reconnus pour un véritable
insulaire.
Bientôt, au moyen d’un langage mi-anglais, mi-
zélandais, qu’aidaient souvent des gestes significatifs,
je parvins à connaître que mon hôte se nommait
Rangui. Il était fils de Teltoke, premier chef de la
tribu de Pahia, sur la baie des Iles, que j’avais eu
occasion de visiter quatre ans auparavant. Il se disait
avec orgueil compagnon de Pomare, e t , bien qu’il
s’efforçât de cacher une partie de la vérité , je soupçonnai
bien vite qu’il se trouvait encore en ce moment
engagé dans quelque expédition militaire contre les
peuplades de la baie Shouraki.
L’un de ses lieutenans nommé Nataï, décoré d’un
tatouage assez régulier, attira notre attention : l’habile
pinceau de M. de Sainson a fidèlement reproduit les
traits, le moko (tatouage) et le caractère de figure
de ce guerrier zélandais.
Rangui me fit comprendre qu’il avait résidé quelque
temps à Port-Jackson où il avait acquis ses manières
semi-européennes. Pour achever de me convaincre,
il me déploya avec beaucoup de gravité un chiffon de
papier que je pris d’abord pour quelque certificat de
capitaine baleinier. En effet, c’était bien un certificat,
mais au nom de deux individus de Sydney qui attestaient
avoir hébergé Rangui quelques jours chez eux,
ajoutant que celui-ci leur avait promis en retour de leur
envoyer des lances, des coquilles et autres objets curieux
de son pays. Ces deux messieurs invitaient en
conséquence tous les capitaines entre les mains desquels
ce papier viendrait à tomber, à rappeler soigneusement
cette promesse au porteur. Cette plaisante
invitation m’amusa beaucoup, et je pensai que
ceux qui la verraient songeraient à en tirer parti pour
eux-mèmes plutôt que pour les deux camarades de
Port-Jackson. Du reste, je remis à Rangui, d’un air
très-sérieux, son écrit, comme si sa teneur m’eût
1827.
Février.
Pl. XLIII.
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