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 Dès  que  M.  Loltin  eut  terminé  son  travail,  qui  
 dura une heure environ, je m’acheminai vers la station  
 de Rangui,  qui  s’était  établi  dans  une  petite  plaine  
 sous  les  flancs mêmes  de  la  presqu’île  Tewara et  à  
 l’abri  de  tous  les  vents.  Un  rapide  coup-d’oeil,  jeté  
 sur  son  établissement,  m’eut bientôt  convaincu  qu’il  
 n’était  que  temporaire ;  ce  n’était qu’un  camp  volant  
 dans  lequel  ce  rangatira  s’était  placé  avec  sa  troupe  
 comme  en  vedette,  en  attendant le  reste  de l’armée.  
 Deux ou trois huttes en branchages  servaient  de  tentes  
 ;  une  grande  quantité  de  corbeilles,  remplies  de  
 racines de fougères [Nga doua)-, nombre de poissons  
 suspendus  à  l’air  pour  sécher,  et  dont  la  plupart,  à  
 demi  corrompus,  exhalaient  une  odeur  infecte,  des  
 paquets de lances et quelques fusils couverts de nattes ;  
 voilà  quel était le bagage de ces aventuriers.  Point de  
 cochons,  aucune  apparence  de terre  cultivée,  seulement  
 un beau coq dont je fis  l’emplette. 
 Comme  ils s’étaient presque tous rendus à bord,  il  
 ne restait à la garde du camp  qu’un homme,  deux  ou  
 trois femmes  et quelques  enfans. 
 Ayant questionné Rangui d’une manière plus précise,  
 après quelques faux-fuyans, il finit par m’avouer qu’il  
 conduisait  en  effet  l’avant-garde  de  l’expédition  militaire  
 dirigée  cette  année par  les peuplades  de la baie  
 des  Iles  contre  ceux  de  Waï-Kato,  dont  ils  avaient  
 juré  la ruine.  Il  attendait de jour en jour l’arrivée des  
 autres  chefs ses  alliés  pour  s’avancer  vers  le  sud.  11  
 fut  ravi  d’apprendre  que  je  devais  aller  mouiller  à  
 Paroa ;  ses yeux  se  remplirent de larmes quand je lui 
 dis queje verrais son père Tekoke, et il m’en exprima  
 sa  joie  par  toutes  sortes  de  témoignages  d’amitié.  
 Etrange  réunion,  chez  ces  sauvages,  d’affections  si  
 tendres avec les moeurs  les plus  féroces ! 
 Comme  je  jugeai  que le temps  allait me permettre  
 de mettre  à  la  voile, je  dissuadai Rangui de revenir  
 avec n o u s,  et pris congé de lui. A mi-chemin, je rencontrai  
 les  trois  pirogues  qui  retournaient  à  terre.  
 Déjà je me  félicitais  d’être débarrassé  de  ces  hôtes  si  
 importuns au moment d’un appareillage, quand, à mon  
 arrivée,  je  fus  tout-à-fait  contrarié  d’apprendre  que  
 six  d’entre  eux étaient  restés  à bord.  Sur-le-champ,  
 je les fis rembarquer dans la baleinière et jeter à terre  
 sur  le  point  le  plus  voisin.  Toutefois  ce mouvement  
 entraîna un retard de deux longues  heures,  et il était  
 midi précis quand  nous  appareillâmes. 
 Février.