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1>I. LUI.
pas d’une certaine dignité ; son caractère était sérieux
et réfléchi, ses traits avaient même quelque chose de
triste. Il m’apprit que son nom était Tehi-Nouï, et
qu’il était rangatira-nouï et même ariki, c’est-à-dire
premier chef et grand-prétre de son canton, qu’il appela
Tera-Witi. Son compagnon, Koki-Hore, plus
jeune, plus gai et plus insouciant, avait des traits plus
ouverts et plus agréables : son visage était mieux tatoué,
cependant il convenait lui-même qu’il n’était point ran-
gatira, et il semblait s’être volontairement dévoué à
partager la fortune de son chef. Décidé comme je l’étais
alors à mouiller dans cette baie, je réfléchis qu’il
leur serait facile de s’en aller, s’ils venaient à changer
d’avis dans la nuit, et je ne fis point d’efforts pour rappeler
la pirogue qui était déjà loin de nous.
Nous avions dépassé le cap Toura-Kira de quatre
ou cinq milles en prolongeant la côte N. O. de la baie,
et souvent sondé, sans trouver fond, par cinquante
brasses. Ce ne fut qu’à trois heures un quart que nous
commençâmes à avoir un fond de sable fin et noir par
dix-neuf brasses. A cette distance, il nous fut aisé de
reconnaître que cette baie n’était qu’un vaste enfoncement
entièrement ouvert au sud, et dépourvu d’aucune
sorte d’anse ou d’abri propre à devenir un mouillage
assuré. En conséquence à quatre heures je pris le
parti de laisser tomber la grosse ancre pour nous
servir durant la nuit.
Des deux côtés, les terres sont élevées, abruptes
et dominées par des montagnes plus hautes encore,
tandis (jue le fond de la baie n’offre qu’une plage unie
el très-basse; ce n’est qu’à une grande distance que
l’oeil retrouve des terres un peu plus hautes. Cet aspect
me faisait déjà soupçonner que la plage du fond
n’était qu’un isthme suivi d’un bassin plus au nord ; ce
soupçon se trouva confirmé par le rapport de M. Lottin,
qui des barres de perroquet aperçut distinctement l’eau
au-delà de la bande qui terminait la baie. A quelque
distance de la mer on voyait briller des feux immenses
qui annonçaient évidemment la présence des naturels.
A peine mouillé, je m’embarquai dans la baleinière
avec MM. Quoy et Cuilbert, pour reconnaître la
nature de ces lieux, et j’emmenai Koki-Hore pour
nous présenter sous des auspices de paix à ses compatriotes.
Nous conservâmes sept brasses de fond jusqu’à
une demi-encâblure et quatre brasses à moins de
cinquante pieds du rivage : mais nous eûmes le regret
de voir qu’un ressac énorme brisait partout à la côte,
et ne nous laissait aucun espoir d’y aborder avec le
canot. Nous la côtoyâmes plus de trois milles sans
trouver un seul endroit où il fût possible d’accoster
sans un danger imminent. Partout la plage est formée
par des gafets plus ou moins gros, el bordée par fies
falaises à pic et peu élevées. Au-delà régnent des collines
entrecoupées de petits vallons recouverts seulement
de fougères ou de broussailles. Autant que nous
pouvions en juger du canot, tout ce sol me parut travaillé
par l’action des volcans ; il me rappelait par l’aspect,
la couleur et les accidens, ce que j ’avais jadis observé
sur certaines lies de la Grèce, comme Melos,
Lenfnos et Sanlorin. J ’éprouvais un vif sentiment de