
 
        
         
		VOYAGE 
 leurs  insultes  n étaient  que angaraka,  plaisanterie ,  
 et  à  vous  assurer  qu’ils  n’avaient  aucune  intention  
 hostile. 
 Il  est nécessaire que les Européens qui ont affaire à  
 ces  naturels connaissent  cette disposition  de leur  caractère  
 ,  afin d’agir en conséquence. Les missionnaires  
 nous ont cité une foule d’exemples de ces fureurs soudaines  
 et éphémères,  et  ils  ont appris à ne pas y attacher  
 plus d’importance qu’elles n’en méritent.  Je  rien  
 citerai  qu’un  seul  cas  dont j’ai  été moi-même  témoin. 
 En  1824, nous ramenions de Sydney dans sa patrie  
 Taï-Wanga,  petit-neveu de Shongui. Ce jeune homme  
 était gai et facétieux ;  ses plaisanteries et ses grimaces  
 amusaient beaucoup les gens de l’équipage, qui se plaisaient  
 quelquefois  à  lui  faire  des  niches. Cela réussit  
 durant  un  temps,  mais  un matelot  s’étant  avisé  de  
 saupoudrer  de  farine  un  vieil  habit  que  ce  naturel  
 rapportait de Port-Jackson,  et qui lui servait à faire le  
 gentleman,  cette  espièglerie  le  mit  dans  une  colère  
 épouvantable. Dans sa rage, il s’arrachait les cheveux,  
 trépignait, proférait mille menaces,  et pleurait comme  
 un  enfant;  il finit par  lancer son  habit  à la mer. J’eus  
 connaissance du désespoir de Taï-Wanga, je  le  fis appeler, 
   et le questionnai : il me répondit qu’il n’était pas  
 juste de le traiter ainsi, attendu qu’il était rangatira de  
 naissance,  que c’était  bon  pour  son compagnon Pahi  
 qui n’était qu’un esclave ;  et  qu’à  son  arrivée chez lui  
 il  se  vengerait  de  ces  insultes.  Je tâchai  de l’apaiser,  
 et  défendis  sévèrement  aux matelots  de  le  molester  
 davantage.  Mais  ce  qui  consola  le mieux  le  pauvre 
 D E   L’ASTROLABE. 399 
 Taï-Wanga,  ce  fut  de  recevoir  une  bonne  capote  
 grise  qu’il  endossa à Tinstant  même pour  remplacer  
 son vieil habit  :  car il  sécha sur-le-champ  ses  larmes,  
 et  reprit  toute  sa  bonne  humeur.  Ce  naturel  avait  
 conçu beaucoup  d’affection  pour moi ;  comme j’avais  
 témoigné le désir  de  faire une longue  incursion  dans  
 l’intérieur,  il  s’était  offert  à  me  servir  de  guide  et  
 d’otage parmi  ses  compatriotes.  Il revint même deux  
 ou  trois  fois  à  bord ,  malgré  la  distance  de  Kidi-  
 Kidi au mouillage,  pour me  renouveler  scs  offres de  
 services  ;  mais  des  raisons  particulières  m’empêchèrent  
 d’exécuter mon projet. 
 Ces hommes montrent beaucoup de courage  '  dans  
 les  combats ;  ils  savent affronter la mort avec intrépidité  
 2,  et,  bien  qu’ils soient convaincus  que  les résultats  
 les  plus ordinaires  de  ces  guerres  sont pour  eux  
 d’être  tués  et  dévorés  par  leurs  ennemis,  ils  savent  
 envisager de sang-froid cet instant fatal,  et  ils  en parlent  
 entre eux comme d'une chose assez naturelle 3. 
 La vengeance  a  pour  eux  les plus  grands  attraits,  Gcnirosiié.  
 et ce sentiment  est même  fondé sur des idées superstitieuses  
 de l’ordre le plus extraordinaire  :  cependant,  
 on  les voit  quelquefois  se montrer  généreux  envers  
 leurs ennemis vaincus. 
 Ainsi, malgré  les  insultes  graves  qu’il  en  avait  reçues, 
   Temarangai  pardonne  à Warou,  lui  rend  sa  
 femme  et  ses  enfans  tombés  en  son  pouvoir,  et  fait 
 P 
 I  Cook,  prem.  V o y . ,  I I I ,  p.  5 a. Savage,  p.  17 .  •  
 V,  p.  2S2. —   3  Marsden,  d’U rv .,  I I I ,   p.  444. 
 !  Cook,  doux. Voy..