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Ils ne pouvaient concevoir comment on leur adressait
une pareille question , mais ils ne concevaient pas
davantage l’horreur que les Européens témoignaient
en apprenant que les Zélandais mangeaient la chair de
leurs ennemis Ils ont souvent répondu qu’il n’y
avait aucun mal à manger son ennemi quand on l’avait
tu é , et que cela valait beaucoup mieux que de laisser
pourrir son corps ou de le voir dévorer par les animaux
2.
Un jour que je m’entretenais avec Shongui et Touai
deces coutumes inhumaines, le premier me fit observer
avec un grand sang-froid qu’il n’y avait rien d’extraordinaire
à cela ; que tous les êtres du monde en agissaient
de même; que les grands poissons de la mer
mangeaient les petits ; que les oiseaux mangeaient les
insectes, que les hommes mangeaient les animaux ,
que Dieu lui-même mangeait les hommes (en faisant
allusion à leur opinion particulière sur la cause de
la mort); qu’ainsi il était tout naturel que l’homme
mangeât son ennemi 3.
La plus grande calamité qu’une famille ou une tribu
puisse éprouver, est de voir tomber son chef au pouvoir
de ses ennemis, et d’apprendre que son corps a
été mangé par eux 4. Ceux-ci ne se contentent point
de cet acte de vengeance, mais ils réservent la tête du
chef vaincu qu’ils préparent suivant un procédé qui
D E L'ASTKOLABE.
leur est propre, alin de la garder comme un trophée
de leur victoire
Poui- conserver les têtes de leurs ennemis, les Non- Moto mokaï.
veaux-Zélandais les vident etles font chauffer doucement
à la chaleur de leurs fours en terre, de manière à
faire évaporer totalement les principes gazeux et pii-
tréfiables; puis ils les exposent durant plusieurs jours
à la chaleur du soleil 2. H faut beaucoup de précautions
pour réussir complètement dans cette opération,
et quelques-uns d’entre eux sont renommés pour ce
genre d’industrie 3. Du reste, ces têtes, une fois convenablement
préparées, retiennent tous les traits qu’elles
avaient du vjvant des personnes auxquelles elles appartenaient
; les cheveux, la barbe et les sourcils
restent intacts 4, et l’on ne remarque qu’un léger racornissement
dans les parties cartilagineuses, comme
les oreilles et le nez. Elles peuvent aussi se conserver
pendant un temps indéfini, pourvu qu’on ait soin de
ne point les exposer à l'humidité.
Ces tètes portent dans le pays le nom de moJto-mo-
kaï, des deux mots ; moko, tête tatouée, et mokaï,
pauvre, misérable; ainsi la réunion de ces deux mots
exprime l’état d’avilissement dans lequel sont tombées
ces têtes naguère si distinguées. En effet, ces sauvages
ne se donnaient jamais la peine de jiréparer les
I Cook, prem. V o y ., I II, p. 29 1. — 2 Cruise, p. 5o. — 3 Cook, deux.
V o y ., I^* , p. 1 37. D’Urville, II, p. 210 , 24 1 . Revue Britannique, d’U r v .,
III, p. 7 2 1 , 722. — 4 Cook, prem. V o y ., I I I , p. r g i . Marsden, d’U r v .,
I I I , p. 2 S 2 , 320. Rutherford, d’U rv ., I l l , p . '753 .