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 trames  dans  le  bassin  des Courans,  nous  avions  remarqué  
 près de la presqu’île Lebrun un petit village ;  
 lorsque  M.  Guilbert  se  trouvait  sur  le  sommet  du  
 mont  qui  domine  les  deux baies,  il  en  avait  aperçu  
 un  autre  sous  ses  pieds  du  côté  de  la baie de l’Amirauté. 
   Aucun  des habitans  de ces deux villages ne se  
 montra  à  nos regards,  bien  qu’ils ne pussent ignorer  
 notre présence ;  les tribus de  ces  cantons ne connaissant  
 probablement  les  Européens  que  de  tradition,  
 personne  parmi  eux  n’osa  se  hasarder  à  faire  avec  
 nous  une plus  ample  connaissance. 
 Dans  la soirée  et la  n u it,  l’éternel vent d’O.  souffla  
 encore  avec  fureur  et par  violentes  rafales.  Cette  
 fois  notre position  était  encore plus précaire  que  les  
 nuits  précédentes ;  car,  si  nous  eussions  chassé,  le  
 vent  nous  poussait  directement  sur  les  récifs  de  la  
 passe, et là notre sort ne pouvait être douteux. 
 Je  vis  enfin  arriver  le  jour  qui  s’annonça  sous  
 d’heureux auspices, et me présagea un vent favorable.  
 Afin de ne négliger aucune des précautions qui étaient  
 en mon pouvoir, dès quatre heures et demie je me rendis  
 à la pointe du S. E. de la passe,  et je gravis jusqu’à  
 la cime du morne qui la domine.  Ce ne  fut  pas chose  
 aisée, eu égard à l’escarpement du terrain et aux fourrés  
 impénétrables  de  fougères  qui  le  revêtent à  une  
 certaine hauteur.  J ’en vins  pourtant  à b o u t,  et  de ce  
 mamelon ma vue plongeant sur la passe me démontra  
 qu’elle  était  praticable  avec  de  grandes  précautions'.  
 Pourtant je ne me dissimulais pas que cette entreprise  
 pouvait avoir des suites funestes. En reportant mes regards  
 sur la corvette, je ne pus m’empêcher de songer  
 involontairement que cette machine encore si bien organisée, 
   si  imposante,  et destinée à  parcourir une  si  
 longue carrière,  serait  dans  quelques  instans,  parle  
 seul  effet  de  ma  volonté,  exposée  à  trouver  sa perte  
 contre  les  rochers  situés  à mes  pieds.  Dix  officiers,  
 un  équipage  entier,  habitans  de  cette  cité  flottante  
 devenue  leur  véritable  patrie,  n ’allaient-ils  pas  dans  
 quelques  heures  se  trouver  réduits  à  chercher  leur  
 salut  sur  une  rive  stérile  et  inhospitalière,  pour  y  
 tramer  une  existence  misérable,  et peut-être y  périr  
 sans revoir leurs parens et leurs amis?.... De pareilles  
 réflexions  ébranlèrent  un  moment  ma  résolution  :  
 mais  elle  se  raffermit  bientôt,  et  je  ne  retournai  à  
 bord que décidé à tenter la fortune. 
 A  sept  heures,  l’ancre à jet  fut relevée et mouillée  
 plus  près  du  navire,  par  six  brasses;  peu après,  la  
 brise paraissant établie et modérée à l’O. S. O., la mer  
 étant  en  outre étale,  je me  décidai à  appareiller sur-  
 le-champ  afin  d’être  plus  maître  de  ma  manoeuvre.  
 Nous  avions pris  le  grelin  par  l’arrière,  ce  qui  nous  
 faisait présenter l’avant en route,  et nous mettait ainsi  
 à même de recevoir de suite le vent dans  les voiles  en  
 dérapant; ce qui fut exécuté avec une grande célérité.  
 Au même instant,  l’artimon,  le foc d’artimon,  la misaine  
 et  le petit  hunier furent  appareillés,  et  durant  
 quelques minutes  nous gouvernâmes  très-bien ; mais  
 au  moment  où  nous  allions  donner  dans  la  passe,  
 le  vent  tomba,  et  le courant  arrivant  avec impétuosité  
 nous fit venir sur bâbord.  En vain je fis à l’instant 
 TO.ME  rr.