4 6 VOYAGE DE L’ASTKO[,AliE. 4 7
d’amures, que nous tombâmes en calme plat, tout-à-
fait à la merci du courant et d’une boule assez lourde.
C’est ainsi que nous passâmes la nuit entière, à moins
de trois milles de terre, en proie à la plus vive inquiétude
et redoutant d’être entraînés malgré nous à la
côte. La sonde jetée régulièrement toutes les demi-
heures nous rapportait constamment vingt-cinq brasses,
fond de vase. Mais je reculais à mouiller jusqu’à
l’extrémité, car je craignais d’être surpris à l’ancre par
un vent forcé du N. O., qui nous eût laissés presque
sans ressource.
Vers quatre heures du matin, nous reconnûmes
que nous avions, malgré nos soins , beaucoup approché
la terre, et nous en étions à moins d’une demi-
lieue. Vainement je fis armer les avirons de galère et
manoeuvrai pour profiter des risées les plus légères ; la
houle continua de nous jeter de plus en plus à la côte,
et à huit heures dix minutes, malgré ma répugnance
et tous les efforts que nous avions tentés, il ne me
resta pas d’autre parti à prendre que de mouiller par
vingt brasses. Nous n’étions pas alors à plus de cinq
cents toises des rochers du rivage sur lesquels la mer
déferlait avec violence.
Il existe une différence étonnante entre l’aspect de
la côte occidentale de la baie Tasman et celui de sa
côte orientale. Celle-ci, battue par les tourmentes de
l’ouest, n’offre qu’une terre escarpée, souvent dépouillée
et presque toujours inabordable. Elle nous
rappelait le ton triste et monotone de celle que nous
avions prolongée depuis les Cinq-Doigts jusqu’au cap
des Rochers. D’ailleurs la boule d’ouest y jtaraît
presipie permanente cl en rend la navigation maussade
et dangereuse, autant qu’elle est douce et sûre le long
de la rive opposée.
De huit à neuf heures, une pirogue, montée par
deux naturels , se montra à feutrée de la baie de Croisilles,
])uis elle disparut. Nous étions tellement iàti-
gués de notre position , que nous n’y prêtâmes qu’une
attention légère.
Dès neuf heures un q u a rt, je profitai d’un joli frais
de N. O. poin- appareiller en bâte et conduire le
navire vers le canal que j ’avais observé la veille dans
le N. N. E. et qui me semblait établir une communication
entre la baie Tasman et la baie de l’Amirauté.
Nous prolongeâmes la côte à moins de deux milles de
distance, bien que la brise fût incertaine et m’eût menacé
diverses fois de me laisser à la merci de la boule.
A quatre heures cinquante minutes après midi, nous
étions parvenus vis-à-vis l’entrée du canal, et je donnais
dedans à toutes voiles , quand la vigie des barres
annonça tjue la passe était barrée par des bi'isans dont
nous n’étions plus qu’à deux ou trois encâblures. A
l’instant M. Cuilbert s’élança dans la hune et confirma
ce rapport. Il n’y avait pas un moment à perdre; sur-
le-champ, toutes les voiles furent carguées, et l’ancre
de bâbord fut mouillée par dix-sept brasses, à mi-
cbenal environ et à un mille au plus de chacune des
deux pointes. Le vent menaçait de fraîchir au N. O .,
et la boule ayant beaucoup grossi, je fis sur-le-champ
filer cinquante brasses du câble.