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 jets,  malgré  la  gêne  et  la  détresse  auxquelles  cette  
 privation le réduit. 
 Tantôt  le  tapou  est  absolu  et  s’applique  à  tout  le  
 monde, alors  personne  ne  peut approcher de  l’objet  
 taboué  sans  encourir les  peines les plus sévères. Tantôt  
 le  tapou  n’est  que  relatif  et  n’affecte  qu’une  ou  
 plusieurs  personnes  désignées  '.   L’individu  soumis  
 personnellement à l’action du tapou  est exclu de toute  
 communication  avec  ses  compatriotes,  il  ne  peut  se  
 servir  de  ses  mains  pour  porter  ses  alimens  à  sa  
 bouche.  Appartient-il  à  la  classe  noble,  un  ou  plusieurs  
 serviteurs sont assignés à son service,  et  participent  
 à son état d’interdiction ;  n’est-il qu’un homme  
 du peuple,  il  est obligé  de ramasser ses  alimens avec  
 sa bouche,  à la manière des  animaux  2. 
 On  sent  bien  que  le  tapou  sera  d’autant  plus  solennel  
 et plus respectable  qu’il  émanera d’un  personnage  
 plus  important.  L’homme  du  peuple,  sujet  à  
 tous les tapous  des  divers  chefs de la  trib u , n’a guère  
 d’autre  pouvoir que  de  se  l’imposer  à lui-mème.  Le  
 rangatira,  selon son rang, peut assujettir  à son tapou  
 ceux  qui dépendent  de  son  autorité  directe. Enfin  la  
 tribu  tout  entière  respecte  aveuglément  les  tapous  
 imposés  par le chef principal. 
 D’après  cela,  il  est  facile  de  prévoir  quelle  ressource  
 les chefs peuvent tirer de cette institution pour  
 assurer  leurs droits et faire  respecter leurs volontés.  
 C’est une sorte de veto d’une extension indéfinie, dont 
 I  Marsden,  d’Urv.,  I l l ,   p.  168.  —   ‘  Nicholas,  d’I ïr v .,  II I ,  p.  624. 
 DE  L ’ASTKOLABE. 531 
 le  pouvoir est consacré par un préjugé religieux de  la  
 nature  la  plus  intime.  Aux  siècles  d’ignorance,  les  
 foudres spirituelles du Vatican n’eurent pas des effets  
 plus  rapides,  plus  absolus  sur  les  consciences  timorées  
 des  chrétiens,  et  leurs  décrets  n’obtenaient  pas  
 une obéissance plus  complète que ceux du  tapou à la  
 Nouvelle-Zélande.  A  défaut  de  lois  positives  pour  
 sceller  leur  puissance,  et  de  moyens  directs  pour  
 appuyer leurs ordres,  les chefs n’ont d’autre garantie  
 que le  tapou. Ainsi qu’un chef craigne de  voir les cochons, 
   le  poisson,  les  coquillages,  etc.,  manquer  
 un  jour  à  sa  tribu,  par  une  consommation  imprévoyante  
 et  prématurée de  la part de ses  sujets,  il imposera  
 le  tapou  sur  ces  divers  objets,  et  cela  pour  
 tel  espace  de  temps  qu’il jugera  convenable. Veut-il  
 écarter  de sa maison, de ses champs ,  des voisins importuns  
 ,  il taboue sa maison,  ses  champs  '. Désire-  
 t-il s’assurer le monopole d’un navire européen mouillé  
 sur son territoire, un  tapou 2  partiel en  écartera tous  
 ceux  avec  qui il ne veut point  partager  un  commerce  
 aussi lucratif.  Est-il mécontent du  capitaine,  et  a-t-il  
 résolu  de  le  priver  de  toute  espèce  de  rafraîchisse-  
 mens,  un  tapou  absolu  interdira  l’accès  du navire  à  
 tous  les  hommes  de  sa  tribu.  Au  moyen  de  cette  
 arme mystique et redoutable , et en ménageant adroitement  
 son emploi,  un chef peut  amener  ses  sujets à  
 une obéissance passive. 
 Il  est  bien  entendu  que  les  chefs  et  les  arikis  ou 
 Cruise,  d ü r v . ,   I I I ,  p.  6 3 8 .  ■ '  Cruise,  p,  :