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 roche  des  ténèbres.  De nombreux  cercles sc formaient au to u r  
 des le u x ,  et  sans  doute ces  scènes d u  soir é taient très-animées  
 c a r souvent  la  brise ap p o rta it ju sq u ’à  b o rd  les r ire s ,  les  cris ei  
 les  chansons  de la plage. M. Gaimard me communiqua le désir  
 q u i l   ressentait  de  connaître  de  plus  près  les  habitudes  n o c -   
 te rn e s d e   nos  voisins;  je  partageai  vivement  cette  curio sité ,  
 M.  E arague t se jo ig n it à  n o u s ,  et  le  commandant ay an t mis à  
 nos  ordres  la  petite  b a le in iè re ,  nous  fûmes  portés  à  te rre   le  
 lio  jan v ie r,  à la  tombée  de  la n u it.  Nous n ’emportions au cune  
 a rnm ,  au cu n   objet qui p û t exciter la crainte  ou la  cupidité des  
 in d ig èn e s:  seulemen t,  p a r  un  p laisant  h a s a rd , M.  Gaimard  se  
 trouva  mu n i  d’une  bougie  fin e ,  et  nous  rîmes  d’avance  du  
 p ro je t  d a llum e r  en  plein  a ir  sur  cette  plage  lo in ta in e ,  cette  
 cire façonnée A Paris  p o u r le  luxe  de nos salons. 
 A  n o tre   débarquement  su r  le  sa b le ,  nous  fûmes  accueillis  
 p a r   des cris  de joie  et des caresses in c ro y ab le s, su rto u t  lorsque  
 les  sauvages  v iren t le  can o t  rep ren d re   le  la rg e ,  et nous  ab an d 
 o n n e r  au milieu  d’eux.  C’était  à  qui  nous  se rrerait les mains  
 en  rép é tan t k a p a ï,  et il nous fallut  sub ir b ien  des  applications  
 de nez  qu.  écrasaient les nôtres :  car c’est ainsi q u ’on s’embrasse  
 a   la N ouvelle-Zélande.  P lu s  de  cent naturels  se pressaient a u to 
 u r  de  n o u s ,  et  en  p eu   de  minutes  nous  fûmes séparés.  On  
 nous  é loignait  peu  à  p eu   du  v illag e ,  et  les  groupes  qui  nous  
 e n to u ra ien t nous  conduisaient vers la  lisière  de la f o r ê t,  à l’en d 
 ro it où  un joli  ruisseau, s’écoulant  du sein des bois,  traversait  
 le sable p o u r se jo in d re  à  la mer. Je  n ’apercevais  plus la troupe  
 q u i  accompagna it M.  Gaimard ;  M.  F a rag u e t  avait  aussi  dis-  
 p a ru ;  p o u r m o i,  serré de près p a r  ma b ru y an te  escorte, j ’avais  
 deja  fait  quelques  pas  sous  les a rb re s ,  oû  ro b scu rité   devenait  
 p lu s  épaisse,  lorsqu’un  homme  à  l’a ir  vénérable  p o rta n t  la  
 main  à mon  con  en  détacha  sans  façon  la  cravate  de  soie  qui  
 ento u ra it.  Dans m a p o s itio n je n ’av a isg a rd ed e  ré c lam e rco n tre   
 es  manières  libres  du  v ie illa rd ,  je  me  promettais  même  de  
 laisser passer en  sa  possession  toutes les pièces  de mon  hab illc - 
 m e n t,  l’une  après  l’a u tr e ,  si telle éta it sa  fantaisie;  mais combien 
  je  me  repentis  d’avoir  jugé  tro p   légèrement  u h  h onnête  
 sauvage!  L oin de pré ten d re  à me d épouiller, comme je pouvais  
 m’y  attendre ,  il  m’offrit  aussitôt  en  échange  de la   cravate un  
 objet  de  quelque  prix   p o u r  l u i ,  je  le  suppose,  c a r  cet  objet  
 c’éta it sa fille. 
 E lle  é ta it  trè s-je u n e ,  sa  fille;  des  cheveux  noirs  et  bouclés  
 tomb a ien t  su r  son  fro n t  e t  cacha ient  de grands yeux b rillans  
 de  vivacité.  Sa  grâce  encore  enfantine  n ’em p ru n ta it  rien   de  
 l’a rt ;  son  u nique  vêtement  consistait  en  quelques  feuilles  
 de  p h o rm ium ,  voile  p eu   discret  dérobé  aux  plantes  du  rivage. 
   Le  père  devenait p re ss a n t,  et  ma  position  était  réellement  
 c r itiq u e ,  mais  en  p ren an t  la   main  de  la  jeune fille ,  je  
 m’aperçus  qu’elle  p leu ra it  :  les  g râ c e s,  d it-o n ,  so n t  encore  
 embellies p a r  les p le u r s ,  il n ’en éta it  pas to u t-à -f a it ainsi de la  
 jeune sauvage. Je ne fus plus frappé  alors que de l’abus de p o u voir  
 révoltant d o n t le  père se ren d a it coupable ;  j’essayai même  
 de  le  g ro n d e r,  mais  je  ne  vis  pas  que mon  sermon  pro d u isît  
 g rande  impression  su r son  e s p r it,  c a r  il  red o u b la it de prières  
 auprès de m o i,  e t,  il  faut  bien   le  dire ,  de menaces envers sa  
 fille. Me  v oyant c ependant inflexible,  il m’offrit de me  ren d re   
 cette  précieuse  cravate  à  laquelle  il  avait  v o u lu   mettre  u n   si  
 h a u t prix . Ce  tra it  d’honnêteté lu i en v a lu t la  possession  : je la  
 lu i  d onnai  comme  un  gage  d’estime,  il l’accepta  avec  jo ie ;  sa  
 fille  se mit  aussitôt  à  r i r e ,  et tous  deux  d isp a ru ren t  à  travers  
 les arbres.  J e  me tro u v a i  seul  alors,  c a r,  d u ra n t mon  colloque  
 avec  le  v ie illa rd ,  tous  les  autres  n a tu re ls avaient eu la  discrétio 
 n   de  se  re tire r. 
 Ils  n’é taient  pas  toujours  aussi  disc rets,  car,  n o n   loin  du  
 ruisseau  d o n t j’ai  parlé  ,   une  réu n io n   nombreuse  d’indigènes  
 manifestait  une  bru y an te   gaieté  p a r   des  rires  et  des  gestes  
 ap probateurs.  T e lle   fu t  jadis  la  joyeuse  clameur  q u i  s’éleva  
 dans  l’O lym p e ,  lorsque  les  filets  jaloux  de Vulcain  livrè rent  
 deux  amans  surpris  à  la  risée  des  dieux  assemblés.  A  p a r t  
 les  filets  et  l’époux  i r r i t é ,  l’étrange  scène  qui  se  passait  alors 
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