I,
r
ti
r; :(
dépit de voir l’accès de cette côte singulière interdit à
mes efforts. Un moment j'eus l’envie de me lancer à la
plage au travers des lames qui déferlaient avec fureur,
et mes deux compagnons étaient disposés à m’imiter.
Mais je réfléchis à la difficulté du rembarquement; en
outre les naturels pouvaient venir nous joindre, et je
ne devais pas oublier que leur audace et leurs prétentions
se trouvent d’ordinaire excitées par l’imprudence
des Européens. Nous étions beaucoup trop
éloignés de la corvette pour en recevoir de prompts
secours en cas de besoin; tout bien considéré, je renonçai
à mes desseins sur cette côte inabordable, et
nous la quittâmes devant un torrent situé précisément
au nord de notre mouillage, et dont le lit avait ouvert
une coupée très-remarquable dans les falaises.
Pour rappeler l’inutilité de nos tentatives, nous imposâmes
à ce triste bassin le nom de baie Inutile.
Nos deux hôtes parurent peu contrariés de ce que
nous n’avions pas pu mettre pied à terre ; ils nous indiquaient
clairement que derrière le cap Poli-’W'ero
nous rencontrerions un meilleur mouillage, où nous
pouirions nous procurer des patates, mais point décochons,
attendu que cet animal ne commence à paraître
que plus loin au nord. Ils me renouvelèrent la prière
instante de les garder à bord ; vainement je leur répétai
que nous serions très-long-temps absens et que
probablement ils ne reviendraient jamais chez eux :
cela parut leur être indifférent et ne les détourna
nullement de leur projet. Cependant ils ne laissaient
pas de nous témoigner quelquefois la crainte’ que
nous n’eussions l’envie de les manger, et ce ne fut
qu’après leur avoir témoigné toute notre horreur pour
une pareille idée qu’ils se rassurèrent complètement.
On doit convenir qu’avec de pareilles appréhensions
il fallait un courage peu ordinaire de la part de ces
deux insulaires pour venir se livrer ainsi à la merci
d’étrangers dont ils ne connaissaient nullement les
vraies intentions. Je leur fis donner des alimens et
des toiles pour leur servir de lit; j ’étais décidé à*
les garder à bord, quitte à les déposer à la première
côte où il leur plairait par la suite d’élire leur domicile.
Leur présence pouvait m’être doublement utile,
abord pour lier connaissance avec les naturels chez
lesquels nous aborderions , puis pour nous donner
en langue du pays les noms des principaux points de
la côte
A la n u it, les feux aperçus se sont montrés plus
nombreux, plus étendus et plus éloignés que nous
ne l’avions jugé d’abord. Ils devinrent même tellement
actifs et permanens que je crus quelque temps,
avec d’autres personnes, qu’ils pouvaient appartenir
à quelque volcan, persuadé que les sauvages ne pouvaient
en allumer d’aussi grands, et qu’ils passeraient
la nuit à dormir plutôt qu’à les entretenir. Cependant
comme ils embrasent souvent de grands espaces de
terrain qui continuent de brûler durant plusieurs
jo u rs, il est plus vraisemblable que ces feux n’étaient
dus qu’à des incendies de cette dernière na-
* Voyez note 7.