52
1S27.
Janvier.
Après avoir fait quelques sondes et examiné la passe,
cet officier revint m’annoncer qu’elle était praticable
quoique très-rétrécie, et que le grand fond était du
côte de la rive de l’est; mais que le courant commençait
à entrer, et que, sans une forte brise, il serait difficile
de le refouler. Toutefois je voulus tenter l’aventure
, je fis servir en augmentant de voiles, et la corvette
n’etait plus qu’à une encablure de la passe, quand
la barre se souleva tout-à-coup en nappe écumante, et
les eaux se précipitèrent dans le bassin par tourbillons
d’une violence incroyable. A l’instant la corvette obéit
a la a io n du courant qui la renvoya rapidement dans
intérieur du bassin des Courans, en la faisant pirouetter
plusieurs fois sur elle-même.
J ’aimais mieux sans doute la voir repoussée dans le
bassin, qu’entraînée sur les brisans de la passe; mais
je fus contrarié autant que surpris quand je m’aperçus
que le courant, au lieu de la maintenir vers le
milieu du canal, la portait droit à la côte sur un morne
(pointe des Tourbillons) qui nous restait précisément
au sud. Ainsi en deux ou trois minutes, avant que les
ancres pussent être dégagées, l’avant du navire n ’était
plus qu’à quelques brasses des rochers de la côte.
Il allait être lancé sur la pointe de toute la vitesse
du courant. Pour amortir du moins la violence du*
coup, je fis agir obliquement le grand canot sur ‘la
toubne, et au même instant l’ancre enfin dégagée
tomba. Quoiqu’à pic elle nous soutint à flot. Pourtant
elle n’eût pas empêché la corvette de talonner,
SI le tourbillon dans lequel elle se trouvait ne
l’eût encore fait pirouetter deux ou trois fois sur elle-
même en la maintenant par un fond de sept à huit
brasses, à quelques pieds seulement des rochers, de
manière à les effleurer sans les toucher d’aucune façon.
Il était alors midi précis ; M. Jacquinot était descendu
dans le grand canot pour mieux observer la
hauteur méridienne du soleil, à cause de la dépression
; et tous ces mouvemens furent si instantanés que
cet officier ne s’en aperçut que quand tout fut terminé.
Sur-le-champ l’ancre moyenne fut embarquée dans
le grand canot pour aller la mouiller au large à la longueur
d’un grelin : mais quoique fortement armé
et remorqué en outre par la yole, le canot, entraîné
par le courant, put à peine porter l’ancre à trente ou
quarante toises. Cependant, dès que nous eûmes le
bout du grelin, nous virâmes dessus, en tramant
après nous la grosse ancre qui par bonheur avait lâché
prise. Vers une heure après midi, nous nous trouvâmes
à long pic de l’ancre moyenne et à vingt brasses
de la côte.
Jaloux de donner à chacun de nos collaborateurs le
moyen d’employer utilement son temps , je fis mettre
sur-le-champ sur la plage voisine les naturalistes et le
peintre de l’expédition, ainsi que MM. Cuilbert et
Paris. Ces deux derniers gravirent séparément la cime
de deux mornes, qui dominaient à la fois les baies de
Tasman et de l’Amirauté, pour se procurer une vue
exacte de leurs détails, et prendre des relèvemens
utiles à la géographie du détroit. En agissant ainsi
j’avais un double but : celui d’utiliser le zèle et les