
3 i t H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e .
les païens feront tous dans la bonne créance ; car ils
fuivenr tous la tradition de leurs peres. Ne la fuivez-
vous pas auifi ? dit le Mufulman. Il eft v ra i, dit le
Chrétien : mais mon pere m’a enfeigné de reconnoî-
tre un envoie de Dieu, qui a été prédit auparavant,
& s’eft rendu digne de foi par des miracles. Votre
Mahomet n’a ni l’un ni l’autre. Mais, dit le Mufulman
, J . C. a dit dans l’évangile : Je vous envoie un
prophète nommé Mahomet. Le Chrétien répond :
L ’évangile n’en fait point mention. Il y étoit, dit le
Mufulman, mais vous l’avez effacé. Le Chrétien répond
: Celui qui demande en juftice une dette, fans
en avoir en main la promeffe , qu’obtiendra-t’il du
juge ? R ien, dit le Mufulman, mais quand je n’au-
rois point de preuves par l’évangile, je montre que
notre prophète eft digne de foi par fes miracles. Et
quel miracle a-t’il fait ? La-deffus le Mufulman fe jet-
ta fur les fables , & fut enfin réduit à fe taire.
Üf Un des plus fçavans Mufulmans étant entré en
conférence avec Théodore, celui-ci lui demanda :
De trois fortes d’hommes que l’on peut diftinguer,
fages , idiots, & médiocrement raifonnables, y en
a-t’il quelque efpece qui puiffe recevoir un Dieu
crucifié ? Non. Les Chrétiens ne font donc pas des
hommes félon vous : toutefois ils font bien au moins
la quatrième partie du genre humain. Mais comment
dites-vous que ces trois genres d’hommes ont reçu
un Dieu crucifié ? Suppofez, dit le Chrétien, que
vous êtes dix chefs d’autant de nations idolâtres'.
Grecs ; Romains, Francs & ainfi du refte ; & qu’il
vient tout d’un coup un étranger pauvre & mal fait.
L i v r e , c i n q u a n t e -u n i e ’m e . 313
qui vous dit avec une grande hardicffe : Pourquoi
vous égarez-vous, en préférant l’impieté à la vraie
religion ? Et quelle e ft , direz-vous, cette vraie religion
? C ’e ft, dit-il, d’adorer un Dieu crucifié. A
ces mots grinçant les dents, vous vous jettez fur lui
pour le tuer ; & vous ne pouvez : Vous recommencez
à l’interroger & lui dites : Dis-nous clairement
cette doftrine fi étrange. Il reprend ainfi : Dieu eft
defeendudu ciel, s’eft incarné au fein d’une femme
& s’eft fait homme , il a été nourri comme un enfant
: étant pourfuivi par fes ennemis, il a fui en
Egypte : à fon retour il eft pris, on lui donne des
fouflets, on crache fur lui , on le couronne d’épines,
on le met en croix, il expire , on l’enfevelit :
le troifiéme jour il reffufeite, pour montrer qu’il
n’avoit pas trompé fes difciples dans les grandes
chofes qu’il avoit dites. Après l’avoirotiiparler, vous
direz : Mon ami, il n’y a pas un plus grand fou que
toi. Mais encore celui qui a tant fouffert, qu’a-t’il
ordonné à ceux qui croiroient en lui ? Il répond :
De mener une vie dure , de s’abftenir du plaifir , de
renoncer à la pluralité des femmes : fi on nous frappe
fur une joue, prefenter l’autre : fi on nous ôte le
manteau , donner encore la tunique : aimer nos ennemis,
bénir ceux qui nous maudiflent, & prier pour
eux- Vous demandez : Quelle récompenfe promet-
il ? Il répond: Rien en ce monde ; mais quand vous
ferez reffufeité au dernier jour, vous joüirez d’une
abondance infinie de biens éternels. Vous répondez
: Mon ami, la foibleffe de celui que tu prêches
eft évidente, auffi-bien que la difficulté d’obferver
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