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retint jufques à nôtre retour. Le jour de Pâques huitième
d’Av r il après l’office nous nous féparâmes de'
nos freres avec beaucoup de larmes, ne facnantfi nous
»j- allions à la vie ou à la mort. Deux Tartares nous con-
d uifoien t, Si nous étions fi foiblcs qu’à peine pouvions
nous aller à cheval; car pendant ce Carême nous
n’avions eu autre nourriture que du millet avec de l ’eau
& du fel. Il en étoit de même les autres jours de jeûne,
& nous ne bûvions que de la neige fondue. Nous ne
laifsâmes pas de marcher en grande diligence , changeant
de chevaux fouvent quatre ou cinq fois par jour,
depuis l’oétave de Pâques quinzième d’A v r il 1246.
jufques au jour de la Magdelaine vingt-deuxième de
c. 14. Juillet. Pendant ce long voïage nous vîmes des campagnes
femées de têtes & d’os d'hommes morts, Si
une infinité de villes Si de châteaux ruinez : triftes
monumens du paifage des Tartares.
J-.x 111 , A la Magdelaine nous arrivâmes auprès de Coüine. Caiouc can des p f ^ 9
Tarures. mais il ne nous donna pas alors audience, parce qu’il
c.ïï;. n’étoit pas élû empereur , & ne fe mêloit pas encore
ns“ï-Uv-im - du gouvernement. Pour entendre cet endroit de la re-
Abuiftr.p. 310. lation il faut favoir qu’O ctaï ■Bibl. Orient, f. . 1 , fils _d e Ging5uizcan Ôc
358- lecond empereur des Mogols ou Tartares , mourut
Abuïf.f.iii.' l’an <?43. de l ’Hegire 1243. ùe J. C . après avoir dé-
figné pour fon fucceffeur Caïou-can ion fils a în é ,
qui eft ici nommé Couïne , & ailleurs Gino-can. Sa
mere gouverna pendant l’interregne , c’eft-à-dire ju fques
à l’affemblée generale de la n a tio n , nommée
C o u r ilta ï, où Caïouc fut élû pour fon mérité , en
1246. Il avoit deux principaux miniitres ou Atabecs,
l ’un nommé Cadac , l’autre Gincaï : Cadac étoit
Chrétien Si baptifé. Gincaï fans l’être ne laiiToit pas
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d’être favorable aux Chréciens ; Si tous deux leur attirèrent
la bien veillance de Caïouc-can Si de-fa mere ,
en forte qu’ils traitoient bien les évêques & les moines
, Si eftimoient les peuples Chrétiens, comme les
Francs, les Ruffes, les Syriens Si les Arméniens. Mais
Caïouc-can ne régna gueres que deux ans, Sc mourut
en 6 4 7 * 12 4 9 . Reprenons la relation.
; Après que nous eûmes été cinq ou fix jours auprès
de C o u ïn e , il nous envoïa à fa mere au lieu où fe
tenoit l’aiTemblée generale. Nous y fûmes environ quatre
femaines : on y fit l’éleétion, & Couïne devoit être
mis fur le trône le jour de l ’Affomption de N . Dame,
mais la grêle qui furvint l’obligea de différer. Nous demeurâmes
là jufques au jour de S. Bartheiemi v in g t-
quatrième d’Août 12 4 6 . auquel C o u ïn e fu t intronifé:
Si tou s , tant les grands que le peuple, vinrent fléchir
les genoux devant lu i , excepté nous qui n’étions pas
fes iujets. Il paroiffoit avoir quarante ou quarante-
cinq ans : il étoit de taille médiocre, prudent, rufé&
fort ferieux. Les Chrétiens qui étoient de fa mai-
fon nous affuroient qu’il devoir fe faire Chrétien. C e
qui le faifoit croire, c’eft qu’il tenoit auprès de lui des
ecclefiaftiques qu’il entretenoit à fes dépens, &
avoit une chapelle devant fa grande tente , où ils
chantoient publiquement, Si donnoient le fignal pour
les heures à la maniéré des Grecs;les autres chefs des
Tartares ne donnent point cette liberté aux Chrétiens.
Toutefois pendant que nous étions là à cette
même affemblée , il leva l’étendart coptre l’églife Si
l’empire Romain , Si contre tous les roïaumes Chrétiens
Si les peuples d’Occident, menaçant de leur faire
la guerre , s’ils ne faifoient ce qu’il mandoit au pape
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