
xvii-j Cinquième Dijcdurs
Il faut fe fouvenir que ceux qui étudioient le plus alors étoiènb le s
religieux mandians. O r la rigoureufe pauvreté dont ils faifoient profeffion
ne leurpermèttoit gueres d’acheter des livresqui étoient très-chers ; &
leur vie a â iv e & toujours ambulante neleurdonnoit pas le tems de les
tranfçrire eux-mêmes , comme faifoient les moines rentés & fedentai-
res, qui pendant plufieurs fiécles en firent leur principale occupations
Delà vint fans doute que les nouveaux théologiens donnèrent fi fore
dans le raifonnement, lesque(lionscurieufes& lesfubtilitez , qui ne demandent
que de l'efprit fans lecture & fans examen des faits.
Mais ils ne confideroient .pas que cette maniéré d’étudier alteroit infen-
fiblement la tradition de la, difçipline. Par exemple voulant f aifonner fur
les facremens fans la connoiffanceëxaâe des faits, ils ont fuppofé qu’on
les avoit toujours adminîftrés comme on faifoit de leurs tems, & ont
pris quelquefois pour effentielles des cérémonies acceffoires ¡com me
l'o n ô io n , & la tradition du calice à la prêtrife, au lieu qu’en ce facre-
ment l’effentiel eft l’impofition des mains. C ’eft parle même principe
qu’on à voulu affujettir les Grecs à paffer par les quatre ordres mineurs
avant que d’arriver au foûdiaconat ; & que l’on a crû neceffaire d’avoir
des ornemens & des autels portatifs, même dans les plus grands volages
& les miflions les plus éloignées. Ce n’eft que l'ignorance de l’ant
iq u ité qui a fait regarder ces réglés comme inviolables, tandis qu’on en
négligeoit déplus importantes.
Je ne laiffepas d’admirer que dans des tems fi malheureux & avec fi
peu de fecours les doâeurs nous aient fi fidelementconfervé le dépôt
de la tradition , quant à la doârine. Je leur donne volontiers la louange
qu’ils méritent ; & remontant plus haut je bénis, autant que j’en fuis
capable , celui qui fuivarit fa promeffe n’a jamais ceifé de foûtenir fon
églife. Je demande feulement qu’on fe contente de mettre ces doâeurs
en leur rang,fans les élever au-deffus : qu’on ne prétende pas qu’ils
ont atteint la perfeâion & qu’ils nous doiyent fervir de modèles ¡enfin
qu’on ne les préféré pas aux peres des premiers fiécles.
Xiv. Les titres magnifiques que l’on a donnés à quelques-uns de ces doc—
Réputation teurs, ont impofé aux fiécles fuivans ; on a dit Albert le Grand , comme
desfcolaftiques. s’j| étoit autant diftingué entre les théologiens, qu’Alexandre entre les
guerriers. Onanommé Scot le doâeur Subtil. On a donné à d’autres les
epithetes d'irréfragable , d’illuminé, de Réfolu, de Solemnel, d’Uni-
verfel. Mais fans nous laiffer éblouir par ces grands titres, voïons s’ils
ne montrent point le mauvais goût de ceux qui les ont donnés, plutôt
que le mérité de ceux qui les portent : jugeons-en par leurs ouvrages,
nous les avons entre les mains: pour moi j'avoüe que je ne vois rien
de granddans ceux d’Albert que la grofîeur & le nombre des volumes.
Souvenons-nous que ces théologiens vivoient dans un tems dont tous
les autres monumens ne nous paroiffent point eftimables , du moins par
rapport à la bonne antiquité : du tems de ces vieux Romans dont nous
WJ(.deUTtrfîc. VQ10ns ,jes cxtrajts dans Fauchet : du tems de Jcnnvillc & de Ville—
Hardoüln, dont les hiftoires quoi qu'utiles & plâifantes par leur naïve-
, té nous paroiffent fi grplfieres : du tems de ces bâtimens gothjquesû
fur l'HiJioire Ecclefaflique, x i£
„cïiargésde petits ornemens & fi peu agréables en effet qu’aucun architecte
ne voudroit les imiter. O r c ’eftune obfervation véritable qu’il regne
en chaque fiécle un certain goût qui fe répand fur toutes fortes d’ouvrages.
T o u t ce qui nous refte de l’ancienne Grece eft folide, a gréable &
d’un goût exquis: les relies deleurs bâtimens, iesflatuës, les médaillés,
font du même caraétere en leur genre que les écrits d’Homere, de Sophocle,
de Demofthene & de Platon : par tout regne le bon fens & l'imitation
de la plus belle nature. On ne voit rien defemblable dans tout
ce qui nous relie depuis la chûte de l'empire Romain jufqués au milieu
du quinzième fiécle , où les feiences & les beaux arts 'ont commencé à fe
relever, & où fe font dilfipées les ténebres que les peuples duNort
avoient répanduës dans toute l’Europe.
Par là fe détruit un préjugé affés ordinaire, que les feiences vont toujours
fe perfeétionnant, qu’il eft facile d’ajoûter aux inventions des autres
, que des hommes plus médiocres qu’eux le peuvent faire; & qu’un
nain monté fur les épaules d’un géant, voit plus loin que le géant même.
J’accorde ces propofitions générales, rnais je nie qu’on puiffe les appliquer
à notre'fujet. Pourajoûter à la doétrine ou à la méthode des'an-
ciens, il eût fallu la connoître parfaitement, & c’eft ce qui manquoit à
nos doâeurs, comme je viens de montrer: ainfi le nain demeurant à
.terre, fa vûë étoit très-bernée. D ’ailleurs les feiences & les arts quife
perfeâionnent de jour en jour font des inventions humaines: mais la
Vraie religion eft l’ouvrage de Dieu, qui lui adonné d’abord fa perfection
toute entiere. Les apôtres & leurs difciplesontfçû toute ladoâtine
jdu falut & la meilleure maniéré de l ’enfeigner.
Mais n’eft-il pas vrai que les fcolaftiques ont trouvé une méthode plus
commode & plus exaâe pour enfeigner la théologie, & leur ftde n'eft-il
pas plus folide & plus précis que celui de la plûpart des anciens t J e l’ai
fou vent oui d ire, mais je ne puis en convenir ; & on ne me perfuadera jamais
que jufques au douzième fiécle la méthode ait manqué dans les écoles
Chrétiennes. Je crois l’avoir montré dans le fécond de ces difeours, où je
vous prie de vouloir bien recourir. Il eft vrai que la plûpart des anciens
n ’ont pas entrepris de faire un corps entierde théologie, comme ont fait
J d u gu e sdeS .V iâo r , Hildebert de T o u r s , Robert Pullus& tant d’autres
à leur exemple. Mais ils n’ont pas laiffé de nous donner dans quelques
uns de leurs ouvrages le plan entier de la religion : comme S. Au-
guftin , qui dans fon Enchiridion montre tout ce que l’on doit croire, &
la maniéré de l’eniëigner dans le livre de la D o â r in e Chrétienne. Nous
-votons encore l’abrtgé de la doârine dans les expofitions du fymbole&
leseatechefes ; & l’abregé de la morale dans quelques autres traitez,
comme dans le Pédagogue de S. Clement Alexandrin.
. Que manque-t-il donc aux anciens ? E ft-ce de n’avoir pas donné
chacun leur cours entier de théologie, recommençant toûjours à divifer
& à définir les mêmes matières & à traiter les mêmes queftions? J’avoue
que les modernes l’ont fa i t , niais je ne conviens pas que la religion
en ait été mieux enfeignée. L ’effet le plus fenfible de cette méthode eft
d’avoir rempli le monde d’une infinité de volumes, partie imprimés,
c ij
XV.
Methode des
Scolaitiqucs.
». 14. i j .