ilJe perfuada qu'il répareroit la perte qu'il vtnoit de faire,
en attaquant la ville par divers endroits > quoique ce
fécond arrangement nefoitpas contraire à la lettre de
la première réglé.
Cette réglé au relie ne s'eft entendue jufqu’ici que j
de l’ordre des complémens différens d’un même mot ; ;
mais elle doit s’entendre auffi des parties intégrantes
d’un même complément, réunies par quelque conjon*
ftion : les parties les plus courtes doivent être les
premières, Sc les plus longues , être les dernieres ,
précifément pour la même raifon de netteté. Ainli,
pour employer les exemples du P. Buffier (y. J J té)
on diroit, Dieu agit avec jufiice & par des voies ineffables
, en mettant à la tête la plus courte partie du
complément modificatif: mais fi cette même partie de-
venoit plus longue par quelque addition, elle fe pla-
eeroit la derniere, Sc l’on diroit, Dieu agit par des
voies ineffables, <5* avec une jujlice que nous devons adorer
en tremblant.
C ’eft cette réglé ainfi entendue, Sc non aucune des
raifons alléguées par Vaugelas ( 3 4 . rem. nouv. à la
fin du tom. II.') qui démontre le vice de cette phrafe:
je fermerai la bouche à ceux qui le blâment , quand je
leur aurai montré que fa façon d écrire efl excellente ,
quoiqu'elle s'éloigne un peu de celle de nos anciens poètes
qu'ils louent, plutôt par un dégoût des ckofes pre-
fentes que par les fentimens d'une véritable .ejlime , &
q u 'i l m é r it é le nom d e poe t e . Cette derniere
partie intégrante de la totalité du complément objeftif
eft déplacé, parce qu’elle eft la plus courte, Sc pointant
la derniere ; la relation du verbe montrer à ce
complément n’eft plus alfez fenfible : il falloit dire ,
quand je leur aurai montré q u 'il MÉRITE LE NOM
DE POETE , & que fa façon d? écrire efl excellente , quoiqu'elle
s'éloigne, Sec.
Il n’y a peut-être pas une réglé de fyntaxe plus
importante , furtout pour la langue françoil'e, que
celle qui vient d’être expofée Sc développée dans un
détail que je ne me ferois pas permis fans cette con-
fidération ; elle eft, à mon gré, le principe fondamental
, & peut-être le principe unique, qui confti-
tue véritablement le nombre Sc l’harmonie dans notre
langue. Cependant, de tous nos Grammairiens,
je ne vois que le P. Buffier qui 1 ait apperçue , Sc il
ne l’a pas même vue dans toute fon etendue. Mais
je fuis fort furpris que M. Reftaut, qui cite la grammaire
de ce favant iéfuite, comme l’une des bonnes
fources oîi il a puife fes principes généraux & raifon-
nés, n’y ait pas apperçu un principe , qui y eft d’ailleurs
très-bien railonné Sc démontré, & qui eft en
foi très-lumineux, très-fécond, St d’un ufage très-
étendu. Je fuis encore bien plus étonné qu’il ait écha-
pé aux regards philofophiques deM. l’abbé Fromant,
qui n’en dit pas un mot dans le chapitre de fon fup-
plément oii il parle de la fyntaxe, de la confiruction, &
de l'inverfion. Je m’eftimerois trop heureux, fi ma
remarque déterminoit nos Grammairiens à en faire
ufage : ce feroit pofer l’un des principaux fondemens
du ftyle grammatical, Sc le principe le plus oppofé
au phébus Sc au galimathias. Mais il faut y ajouter
quelques autres réglés qui concernent encore l’arrangement
des complémens.
Si les divers complémens d’un même mot, ou les'
différentes parties d’un même complément, ont à-peu-
près la même étendue ; ce n’eft plus l’affaire du compas
d’en' décider l’arrangement, c’eft un point qui
seffortit au tribunal de là Logique : elle prononce
qu’on doit alors placer le plus près du mot complété,
celui des complémens auquel il a un rapport plus néceffaire.
Or le rapport au complément modificatif eft
le plus néceffaire de tous , puis celui au complément
objeftif, enfuite la relation au complément relatif; Sc
les autres font à-peu-près à un degré égal d’importance
: ainfi , il faut dure, l'Evangile infpire injenfiblement
î . la piété g. aux fidèles, en mettant d’abord
le complément modificatif, puis le complément objectif
, St enfin le complément relatif.
Ajoutons encore une autre remarque non moins
importante à celles qui précèdent : c’eft qu’il ne faut
jamais rompre l’unité d’un complément total, pour
jetter entre fes parties un autre complément du même
mot. La raifon de cette réglé eft évidente : la parole
doit être une image fidele de la penfée ; & il fau-
droit, s’il étoit poffible , exprimer chaque penfée,
ou du moins chaque idée, par un feul mot, afin d’en
peindre mieux l’indivifibilité ; mais comme il n’eft pas
toujours poffible de réduire l’expreffion à cette fim-
plicité , il eft du-moins néceffaire de rendre infépa-
râbles les parties d’une image dont l’objet original eft
indivifible , afin que l’image ne foit point en contra-
diftion avec l’original, Sc qu’il y ait harmonie entre
les mots Sc les idées.
C’eft dans la violation de cette réglé, que confifte
le défaut de quelques phrafes cenfurées juftement
par Th. Corneille ( not. fur la rem. 464. de Vaugelas
) : par exemple, on leur peut conter quelque hifioire
remarquable , fur les principales villes , qui y attache la
mémoire ; il eft évident que l’antécédant de qui c’eft
quelque hifioire remarquable , Sc que cet antecedant,
avec la propofition incidente qui y attache la mémoire,
exprime une idée totale qui eft le complément object
if du verbe conter : l’unité eft donc rompue par l’arrangement
de cette phrafe, Sc il falloit dire , oh peut
leur conter ,fur les principales villes, quelque hifioire remarquablequi
y attache la mémoire.
C’eft le même défaut dans cette autre phrafe ; U y
a un air de vanité & d'affectation , dans Pline le jeune ,
qui gâte fes lettres : l’imité eft encore rompue , Sc il
falloit dire ; il y a dans Pline le jeune, un air de vanité &
d'affectation qui gâte fes lettres: l’efprit a tant de droit de
s’attendre à trouver cette unité d’image dans la parole,
qu’ en conféquence du premier arrangement il fe porte
à croire que l’on veut faire entendre que c’eft Pline
lui-même qui gâte fes lettres; il n’en eft empêché
que par l’abfurdité de l’idée , Sc il lui en coûte un effort
défagreable pour démêler le vrai fens de la
phrafe.
Je trouve une faute de cette efpece dans la Bruyere
( caract. de ce fiecle , ch. j . ) .• I l y a, dit-il, des endroits
dans l'opéra qui laiffent en defirer d'autres ; il devoit
dire , il y a dans P opéra des endroits qui en laiffent défi-
rer d'autres. J’en fais la remarque , parce que la
Bruyere eft un écrivain qui peut faire autorité, Sc
qu’il eft utile de montrer que les grands hommes font
pourtant des hommes. Ce n’eft pas un petit nombre
de fautes échapées à la fragilité humaine , qui peuvent
faire tort à leur réputation ; au lieu cpie ce petit
nombre de mauvais exemples poürroit induire en
erreur la foule des hommes fubalternes , qui ne fa-
vent écrire que par imitation, Sc qui ne remontent
pas aux principes. Voici l’avis que leur donne Vau-
gelâs, l ’un de nos plus grands maîtres, (rem. 4$4.) ,
« L’arrangement des mots eft un des plus grands fe-
» crets du ftyle. Qui n’a point cela, ne peut pas dire
» qu’il fâche écrire. Il a beau employer de belles
» phrafes & de beaux mots ; étant mal placés, ils né
>> lauroient avoir ni beauté, ni grâce ; outre qu’ils
» émbarraffent l’expreffion , & lui ôtent la clarté qui
» eft le principal : Tantum fériés juncturaque pol-
» let. »
Avant que d’entamer ce que j’ai à dire fur le régime
t je crois qu’il eft bon de remarquer, que les réglés
que je viens d’affignerfur l’arrangement de divers
complémens , ne peuvent concerner que l’ordre analytique
qu’il faut fui-vre quand on fait la conftruftion
• d’une phrafe , ou l’ordre ufuel des langues analogues
’ comme la nôtre. Car pour les langues tranfpofitives,
où laterminaifon des mots fertàcaraftérifer l’efpece
de rapport auquel ils font employés > la néceffité de
marquer ce rapport par la place des mots n’exifte
plus au même degré.
Art. II. Du Ré g im e » Les grammaires des langues
modernes fe font formées d’après celle du latin,
dont la religion a perpétué l’étude dans toute i’Eu-
-rope ; Sc c’eft dans cette fouree qu’il faut aller puifer
la notion des termes techniques que nous avons pris
à notre fervice, affez fouvent fans les bien entendre,
Sc fans en avoir befoin. Or il paroît, par l’examen
exaft des différentes phrafes oîi les Grammairiens
latins parlent de régime, qu’ils entendent, par ce terme,
la forme particulière que doit prendre un complément
grammatical d’un mot, en conféquence du
rapport particulier fous lequel il eft alors envifagé.
Ainfi le régime du verbe aftir relatif e ft , dit-on, l’ac»
eufatif, parce qu’en latin le nom ou le pronom qui
en eft le complément objeftif grammatical doit être
à l’accufiitif ; l’accufatif eft le cas deftiné par l’ufage
de la langue latine, à marquer que le nom ou le pronom
qui en eft revêtu, eft le terme objeftif de l’action
énoncée par le verbe aftif relatif. Pareillement
quand on dit liber Pétri, le nom Pétri eft au génitif,
parce qu’il exprime le terme conféquent du rapport
dont liber eft le terme antécédent, Sc que le régime
d’un nom appellatif que l’on détermine par un rapport
quelconque à un autre nom , eft en latin le génitif.
Voye^ G énitif.
Confidérés en eux-mêmes, Sc indépendamment
de toute phrafe, les mots font des lignes d’idées totales
; Sc fous cet afpeû ils font tous intrinféquement
Sc effentiellement femblables les uns aûx autres ; ils
different enfuite à raifon de la différence des idées
fpécifiques qui conftituent les diverfes fortes de mots,
i&c. Mais un mot confidéré feul peut montrer l’idée
dont il eft le figne , tantôt fous un afpeft Sc tantôt
fous un autre ; cet afp eft particulier une fois fixé, il
ne faut plus délibérer fur la forme du mot ; en vertu
de la fyntaxe ufuelle de la langue il doit prendre telle
terminailon : que l’afpeft vienne à changer, la même
idée principale fera confervée, mais la forme extérieure
du mot doit changer auffi, Sc la fyntaxe lui
affigne telle autre terminaifon. C ’eft un domeftique,
toujours le mêipe homme, qui, en changeant de fer-
;vice, change de livrée.
Il y a , par exemplé, un nom latin qui exprime
l ’idée de l’Etre fuprême ; quel eft-il, fi on le dépouille
de toutes les fonftions dont il peut être chargé
dans la phrafe ? Il n’exiftfe en cette langue aucun
mot confidéré dans cet. état d’abftraftion, parce que
fes mots ayant été faits pour la phrafe , ne font connus
que fous quelqu’une des terminaifons qui les y
attachent. Ainfi, le nom qui exprime l’idée de l’Etre
fuprème , s’il fe préfente comme fujet de la propofition
, c’eft Deus ; comme quand on dit, mundum crea-
vit D eu s : s’il eft le terme objeftif de l’aftion énoncée
par un verbe aftif relatif, ou le terme conféquent
du rapport abftrait énoncé par certaines prépofitions,
c ’eft Deum ; comme dans cette phrafe , D eum time
& fixe quod vis, ou dans celle-ci, elevabis ad D eum
faciem tuam ( Job. 22. 26'.'): fi ce nom eft le terme
conféquent d ’un rapport fous lequel on envifage un
nom appellatif pour en déterminer la lignification,
fans pourtant exprimer ce rapport par aucune pré-
pofition, c’eft Dei; comme dans nomen D e i , &c.
Voilà l’effet du régime ; c’eft de déterminér les différentes
terminaifons d’un mot qui exprime une certaine
idée principale, félon la diverfité des fonftions
dont ce mot eft chargé dans la phrafe, à raifon de
la diverfité"des points de vue fous lefquels on peut
envifager l’idée principale dont l’ufage l’a rendu le
figne.
Il faut remarquer que les Grammairiens n’ont pas
(Coutume de regarder comme un effet du régime la
Tome X IF .
détermination du genre , du nombre Sc du cas d’un
adjeftif rapporté à un nom : c’eft un effet de la concordance
, qui eft fondée fur le principe de l’identité
du fujet énoncé par le nom Sc par l’adjeftif. Foyer
C oncordance & Iden tit é. Au contraire la détermination
des terminaifons par les lois du régime
fuppofe diverfité entre les mots régiffant Sc le mot
régi, ou plutôt entre les idées énoncées par ces mots;
comme on peut le voir dans ces exemples, amo
Deum, ex Deo ,,fapientia D e i, &c. c’eft qu’il ne peut
y avoir de rapport qu’entre des chofes différentes,
Sc que tout régime caraftérife effentiellement le terme
conféquent d’un rapport ; ainfi le régime eft fondé
fur le principe de la diverfité des idées mifes en rapport
, Sc des termes rapprochés dont l’un détermine
l’autre en vertu de ce rapport. Fbye{ D étermina*
TION.
Il fuit de-là qu’à prendre le mot régime dans le fens
généralement adopté, il n’auroit jamais dû être employé
, par rapport aux noms Sc aux pronoms, dans
les grammaires particulières des langues analogues
qui ne déclinent point, comme le françois, l’italien,
l’efpagnol, &c. car le régime eft dans ce fens la forme
particulière que doit prendre un complément gram*
matical d’un mot en conféquence du rapport particulier
fous lequel il eft alors envifagé : br dans les
langues qui ne déclinent point, les mots parôiffent
conftamment fous la mêmé forme, &.conféquem-
ment il n’y a point proprement de régime.
Ce n’eft pas que les noms Sc les pronoms ne va*
rient leurs formes relativement aux nombres, mais
les formes numériques ne font point celles qui font
foumifes aux lois du régime ; elles font toujours dé-*
terminées par le befoin intrinfeque d’exprimer telle
ou telle quotité d’individus : le régime ne difpofe que
des cas.
Lés Grammairiens attachés par l’habitude, fou*
vent plus puiffante que la raifon, au langage qu’ils
ont reçu de main en main, ne manqueront pas d’in*
fifter.en faveur du régime qu’ils voudront maintenir
dans notre grammaire , fous prétexte que l’ufage de
notre langue, fixe du-moins la place de chaque corn*
plément; Sc voilà, difent-ils, en quoi confifte chez
nous l’influence du régime. Mais qu’ils prennent garde
que la difpofition des complémens eft une affaire dé
conftruftion, que la détermination du régime eft une
affaire de fyntaxe, Sc que, comme l’a très-fagement
obfervé M. du Marfais au mot C onstruction ,
on ne doit pas confondre la conftruftion avec la fyn*
taxe. « Cicéron, dit-il, a dit félon trois combinaifons
» différentes, accepi Hueras tuas, tuas accepi hueras ,
» Sc litteras accepi tuas: il y a là trois Conftruftions,
» puifqu’il y a trois différens arrangemens de mots ;
» cependant il n’y a qu’une fyntaxe, car dans cha*
» cune de ces conftruftions il y a les mêmes fignes
» des rapports que les mots ont entre eux », C’eft-à-
dire que le régime eft toujours le même dans chacune
de ces trois phrafes, quoique la conftruftion y
foit différente.
Si par rapport à notre langue on perfiftoit à voit*
loir regarder comme régime, la place qui eft affignée
à chacun des complémens d’un mêmé mot, à raifon
de leur étendue refpeftive ; il faudroit donc conve*
nir que le même complément eft fujet à différens
régimes, félon les différens degrés d’étendue qu’il
peut avoir relativement aux autres complémens du
même mot; mais fous prétexte de conferver le langage
des Grammairiens, ce feroit en effet l’anéantir,
puifque ce feroit l’entendre dans un fens abfolument
inconnu jufqu’ic i , Sc oppofé d’ailleurs à la lignification
naturelle des mots.
Ces obfervations fappent par le fondement la doctrine
de M. l’abbé Girard concernant le régime tome
I. dife. iij. pag. 8y . Il confifte, felonlui, dans des
B