loit celle de Jupiter, & ajoutoit encore à la religion
des peuples. On demandoit fi le dieu étoit defcendu
du ciel en terre pour fe faire voir à Phidias , ou li
‘Phidias avoit ëte tranfporté au ciel, pour contempler
le dieu. Paufanias qui avoit vu cette ftatue, nous en
a laiffé une longue 8c bëlle-dèfcription, que M. l’Abbé
Gédo.yn a inlérée dans fa differtationlur ce fculpteur
immortel. Au bas de la ftatue, on lifoit cette
infcription : Ph ïd ia s A th é n ie n , f il s d e C h a r *
m id e , m ’ a f a i t . Il termina fes travaux par ce chef-
d’oeuvre qui mit le comble à fa gloire, 8c lui aflura
une réputation que plus de deux mille ans n’ont pu
lui ravir.
C e maître fublime fut le premier parmi les Grecs
qui étudiala belle nat,ure, pour l’imiter, 8c fon imagination
vafte & hardie, repréfentoit encore mieux
les dieux que les hommes. Il paroiffoit alors être
guidé dans fon travail par la divinité elle-même. Si
Phidias forme l’image de Jupiter , dit Seneque, il
•femblè que ce Dieu va lancer la foudre : s’il repréfente
Minerve, on"diroït qu’elle va parler pour inf-
truire ceux qui la Confiderent, 8c que cette fage
décile ne garde le filence que par modeftie. Aimable
fceur de la peinture, art merveilleux, c’eft donc ainfi
que vous faites illufîon aux fens, pour enchanter
lJame , pour attendrir le coeur, 8c pour élever l’ef-
prit !
Paufanias rapporte que les Eléens conferverent
pendant très-longtems l’attelier de Phidias, 8c que
c ’étoitune curiofité que les Voyageurs ne manquoient
pas d’aller voir.
Mais il ne faut pas obmettre le jugement de Pline
fur Phidias. Je ne parlerai point, dit cet hiftorien ,
de la beauté de Jupiter olympien, ni de la grandeur
de la Minerve d’Athènes, qui a vingt-fix coudées de
Hauteur(39 piés,) 8c qui eft d’Or & d’ivoire ; mais
je parlerai, continue-t-il, du bouclier de cette même
figure, furie bord duquel il a repréfenté en bas-relief
le combat des Amazones, 8c dans le dedans celui des
dieux 8c des géans ; il a employé toute la délicateffe
de Part pour repréfenter le combat des Centaures 8c
des Lapithes fur la chauffure de la déeffe, tant il a sli
profiter de tout; & il a décoré la bafe de la ftatue par
un bas-relief qui repréfente la naiffance de Pandore.
On voit dans cette compofition la naiffance de vingt
autres dieux, du nombre defquels , eft une Viûoire
qui fe diftingtie par fa beauté. Les connoiffeurs admirent
furtout le ferpent & le fphinx de bronze fur
lequel la déeffe appuie fa hafte. Voilà ce que je vou-
kùs dire en paffant, ajoute Pline, d’un artifte que
Pon ne peut jamais affez louer, 8c dont la grande maniéré,
mdgnificentia, s’eft toujours foutenue jufque
dans les plus petites chofes.
Les beautés de détail qu’on vient de lire n’ont été
décrites que par Pline, 8c elles amufent l’imagination.
Je conviendrai fans peine que leur travail étoit en
pure perte pour les fpëélateurs, parce qu’en donnant
même au bouclier de Minerve dix piés de diamètre
On ne pouvoit diftinguer feS ornemens d’affez près
pour en juger fur une figure d’environ quarante piés,
de proportion, 8c qui d’ailleurs étoit placée fur un
piédeftal qui l’élevoit encore. Auffi n’eft-ce pas dans
ces petits objers que confiftoit le principal mérite
de la ftatue de Minerve ; ils n’étoient repréfentés que
fur le bouclier de la déeffe , 8c Pline ne les donne
que comme de légères preuves des talens 8c du génie
de l’artifte, argumenta parva & ingenii tantum.
Mais Phidias fe vit obligé de fe prêter au goût des
Grecs qui aimoient pamonnément ces fortes de petits
morceaux, le trône d’Apollon par Bathyclès faifoit
leurs délices. Or qui peut douter du mérite éminent
8c de la perfection des ouvrages de Phidias en ce
genre? Tout le monde avoit vu de près le bouclier
de Minerve, 8c l’avoit admiré avant qu’il fut en
place,
Polyclete, naquit à Syrienne, ville du Pélopon*
nefe , 8c fleuriffoit en la 87e olympiade. Ce célébré
artifte paffe pour avoir porté dans lé gracieux Si
le correCt, la fculpture à fa derniere perfeCtion. Ses
ouvrages étoient fans prix ; mais celui qui lui acquit
le plus de réputation , fut la ftatue d’un doryphore >
c’eft-à-dire, d’un garde des rois de Perfe. Dans cette
ftatue merveilleule, toutes les proportions du corps
humain étoient fi heureufement obfervées , qu’on
venoit la confulter de tous côtés comme un parfait
modèle , ce qui la fit appeller par les connoiffeurs ,
la réglé ; j’en parlerai plus bas.
On rapporte que ce fculpteur voulant prouver au
peuple combien fes jugemens font faux pour l ’ordinaire
, il réforma une ftatue fuivant les avis qu’on lui
donnoit ; puis il en compofa une femblable fuivant
fon génie 8c fon goût. Lorlque ces deux morceaux
furent mis en parallèle ; le premier parut effroyable,
en comparifon dé l’autre : « ce que vous condam*.
» nez, dit alors Pôlyclète au peuple , eft votre ou*.
» vrage ; ce que vous admirez eft le mien. » Un ha-,
bile artifte, on l’a dit avant m oi, doit écouter la cri-,
tique comme un avertiflement qui peut lui être utile,
mais non pas comme une loi qui doive le gêner.
Le goût de Polyclete, le portoit furtout à la régu*,
larité , 8c à l’agrément; l’on trouvoit en conféquence
que fes ftatues auroient eû befoin d’un peu plus de
force ; en effet il repréfentoit les hommes avec des,
grâces infinies , 8c beaucoup mieux qu’ils ne fon t,
mais il n’atteignit pas comme Phidias à la majefté
des dieux. On dit même que l’âge robufte étonnoit
fes mains délicates ; & c’eft par cette raifon qu’il n’a
guere exprimé que la tendre jeuneffe. .Sa ftatue d’un
jeune homme couronné, étoit fi belle pour l’expref-
fion délicate des chairs, qu’elle fut vendue cent talens
, quatre cent foixante 8c dix mille livres. Dia-
dumenum fecit molliter, centum talentis nohilitatum ,
dit Pline. Son enfant tenant une lance à la main, 11e
fut pas moins célébré ; 8c fes trois ftatues de trois en-
fans, nu ds jouant enfemble, que Titus avoit dans fon
palais, furent regardées comme trois chefs-d’oeuvre^
de l’art. Il feroit trop long de citer tous les ouvrages
de fa main,que le monde admiroit; mais j’ai promis
de parler de la fameufe ftatue qu’on nomme la réglé.
Cet artifte, félon Pline, l. X X X IV , c. v iij, voulant
laiffer à lapoftérité les réglés de fon art, fe contenta
de faire une ftatue qui les comprenoit toutes ,
8c que par cette raifon il appella la réglé y fecit & quem
canones artifices vacant, lineamenta artis ex eo petentes,
relut à lege quâdam. « Ce fait, dit M. de Caylus, eft
» un de ceux qui demande d’autant plus à être expli-
» qué qu’il paroît n’en avoir aucun befoin. Tout
» homme de lettres qui lira ce paffage , ne doutera
». pas que l’ouvrage de Polyclete n’ait été une réglé
» fondamentale pour l#s fculpteurs, & conféquem-
» ment il croira que fi l’on avoit cette ftatue, on
» pourroit faire d’aufti belles chofes que les Grecs.
» Cela n’eft cependant vrai que dans un fens , c’eft-
» à-dire, pour un feul âge ; encore dans ce même âge,
» on peut s’écarter du point donné pour de certaines
» parties , 8c bien faire : car l’artifte qui prendra les
» proportions de l’antique, précaution que tous nos
» modernes prennent avec grand foin , a le même
» privilège que le.grand architecte qui fuit les pro-
» portions d’un o rdre, mais qui s’en écarte pour les
» raifons d’afpeCt, de convenance , &c. »
Pline parlant encore de Polyclete, dit qu’il eft le
premier qui ait imaginé de pofer des figures fur une
feule jambe, utuno crure infifierent figna excogitajfc ;
mais ce paffage ne peut être entendu que pour les
bronzes, ou pour les grandes figures de cette matière
, que l’armature met en état de pofer avec fo-
lidité fur un feul point.
E n e f f e t , d it M , d e C a y l u s , c e t t e p o f it io n e f t û
fort iinpoffiblé dans les ouvrages de marbre', que lès
ftatuaires- n’bnt jamais affez de deux jambes* pour
foutenir une figure; ils font obligés de recourir à un
tronc d’arbre:, à des-draperies-, en un-mot à" quelque
corps qui leur donne un-.moyemdè foiidité; Plus ce
moyen conferve de vraifiemb lance; & plus -il mérite-
d’éloges. Il ne fautpas fe rejetter fur. lè talent 8c lè-
mérite des artiftes grecs-pour accufer. lesmod’emes;
ils étoient' fournis comme nous: aux raifons phyfi-
ques ; d’ailleurs leurs propresouvrages certifient cette
vérité. Il n’y a jamaiseu de figure plus faite que
l’Atalante, pour être traitée dans cette-pofition; cependant
celle de marbre que le tems a. épargnée ne
pofe , il eft vrai, que fur un p ié, mais-elle a un'tronc
d’ârbre pour appui. II faut donc regarder les-ouvrages
de Polyclete , cirés à- cette occafion, comme étant de
bronze , 8c pour lors ils n’ont rien de merveilleux.
Nous voyons même que les anciens ont fouvent
traité dans cette pofition des femmes fortant du bain,
des V énus, &c. mais toujours en bronze. Mém.des
infe. t. xxv.
Paufanias parle d’un autre Polyclete qui fit la ftatue
d’Agenor de Thèbes , lequel furpaffa tous les1
jeunes gens de fon âge à la lutte. Ce dernier Polyclete
poîtérieur au fycionien, fut élève de Naucy-
des. Junius l’a oublié dans fon catalogue.
Pojîs étoit connu à Rome de M. Varron, qui dit
que ce fculpteur ingénieux exécutoit en terre dés
fruits , des raifins 8c des poiffons, dont limitation
étoit parfaite.
Praxias d’Athènes , difciple de Calamis , fit La-
ton e , Diane, Apollon, les mufes,. lefoleilqui fe
couche, Bacchus; 8c des th-yades, qu’on- mit fiir le
fronton: du temple de Delphes.
Praxitèle fleur.iflôit l’an du monde 3640 , vers la
104e olympiade; Il fembloit animer lë marbre par
fon art. Tous fes ouvrages étoient dhine fi grande
beauté, qu’on ne favoit auxquels donnerria préférence.
;. il falloir être lui-même pour juger l’es diffé-
rens degrés de perfection. La fameufe Phryné, auffi
induftrieufe que belle, ayant obtenu de Praxitèle la
permiffion de choifir fon plus bel ouvrage, fe fervit
d’un ftratagème pour le connoître : elle fit annoncer
à;ce célébré artifte que le feu étoit-à-fon at-telier;
alors tout hors de lui-même, il s’écria : je fuis perdu
f i les flammes n ont point épargné mon fatyre , & plus
encore mon eupidon. Phryné fachant le fecret de Pra-
xitelle, le raffura de cette fàuffe allarme , 8c Rengagea;
dans la fuite à lui donner le-eupidon. Pouvoit-il
lui rien refiifer ? Elle' plaça ce eupidon à Thefpis fa
patrie , oh long tems après on alloit encore le voir
par curiofité. Quand Mummius enleva de Thefpis
plufieurs ftatues pour les envoyer à Rome, il refpe-
éta celle-ci parce qu’elle étoit confacrée à un dieu.
Le eupidon de Verrès; dont parle Cicéron ; étoit
auffi de Praxitèle , mais il étoit différent de celui-ci.
Ifabelle d’Eft , grand-mere des ducs de Mantoue,
poffédoit entr’autres raretés la première 8c fi fameufe
ftatue de l’amour par Praxitèle. Cette princeffe avoit
aufi dans fon cabinet un admirable eupidon endormi
fait d’iin riche marbre de Spezzia. On fit voir à Mi
de Foix que la cour de France avoit envoyé en Italie
,. 8c au préfident de Thou qui l’accompagnoit,
comme nous le lifohs dans fes mémoires , cette ftatue
de l’amour endormi ; chef-d’oeuvre de Michel-
Ange , qu’on ne pouvoit confiderer qu’avec des tranf-
ports d’admiration, & qui leur parut encore fort au-
deffiis de fa renommée ; mais lorfqü’on leur eut montré
l’amour de Praxitèle, ils eurent honte en quelque
forte d’avoir tant vanté le premier eupidon , & ils
manquèrent d’expreffions pour louer le fécond. Cè
monument antique, tel que nous lerepréfentent tant
d’ingenieufes épigrammes de l’Anthologie que la
Çrççe à l’envi fit autrefois à fa louange, étoit encore
fouillé dè-la terre d’oli ilavoit été tiré.
^ On dit-que Michel-Ange ,.par-une fincérité digné
d’un grand homme qu’il etoit-, avoit prié là comteffe
Ifabelle, après qu’il-lui-eut-fait préfent de foncupi-
don, de ne montrer aux curieux l’antique que leder-
nier , afin que les connoiffeurs puffent-juger en les
v-oyant, de combien en ces fortes d’ouvrages les an*
riens l’emportent fur les modernes;
Oh-conçoit bien que Praxitèle enchanté comme il
étoit de Phryné , ne manqua-pas d’employer le travail
de fes mains pour Gellë qui-s’étoit- rendue maî*
treffe de fon-coeur. C’eft auffi ce qui arriva, félon le
rapport d’Athénée ,liv . I II. une des ftatues de cet té
fameufe courtifane de la main de Praxitèle , fut placée
depuis à Delphes même , entre celle d’Archida-
mus roi de Sparte, 8c de Philippe roi de Macédoine.
Si les richeffes 8c le defir de s’itnmortalifer par des
faits éclatans font des titres pour trouver place entre
les rois, Phryné le méritoit ; car elle s’engageoit à
rebâtir Thebes à fes dépens , pourvu que l’on y mît.
feulement cette- infcription : A l e x a n d r e a d é t
r u i t T h e b e s , e t P h r y n é l ’ a r é t a b l i e .
Les habitans de Tîle-dé Cos avoient demandé une
ftatue deVéniiS à Praxitèle : il1 en fit deux, dont il
leur donna le choix pour lè même prix. L ’une étoit
nue , l’autre voilée ; mais la première furpaffoit in-,
finiment l’autre en beauté. Cependant ceux de Cos,
préférèrent la-derniere, afin de ne point porter dans
leurs temples une image fi capable d’allumer despaf-
fiorts : Severum id ac pùdicuni-arbitrantes.
Les Gnidiens furent moins attentifs aux ferupulea
des bonnes moeurs. Ils achetèrent avec joie la Vénus
nue , qui fit depuis la gloire de leur ville , oit
l’on alloit exprès de fort loin pour voir cette ftatue ;
qu’on eftimoit l’ouvrage le plus achevé de Praxitèle.
Nicomede roi de Bithynie, en faifoit un tel Cas, qu’if
offrit aux habitans de Gnide d’acquitter toutes leurs
dettes qui-étoient fort grandes , s’ils vouloient la lui'
céder ; mais ils crurent que -ce feroit fe deshonorer,
& même s’appauvrir , que de vendre à quelque prix,
que ce fu t, une ftatue qu’ils regardoient comme un
tréfor unique. Paufanias a décrit plufieurs autres ftatues
de ce grand maître. Quintilien & Cicéron, en
peignant le cara&ere diftinélif des divers ftatuaires:
de la Grece , difent que celui-de Praxitèle qui leren-
doit fingulierement recommandable , étoit le beau
choix qu’il favoit faire de la nature. Les grâces, ajoutent
ils , conduifoient fon cifeau, 8ç fon génie donnoit
la vie à la matière:
Les Thefpièns achetèrent 800 minés d’or une ftatue
de Praxitèle, qui fut apportée à Rome par jules-
Céfar ; mais le plus confidérable de fes ouvrages étoit
la ftatue de Vénus, qui ouvroit à demi les levres ,
comme une perfonne qui fourit. La dureté du marbre
ne faifoit rien perdre aux traits délicats d’un fi
beau corps. Il y avoit une marque à la ciiiffe de là
déeffe, dont Lucien a donné l’origine dans fon dialogue
des amours. Un jeune homme de grande naiffance
devint amoureux de la Vénus de Praxitèle : il
lui adreffoit toutes fes offrandes ; enfin tranfporté dû
feu de fa paffion, il fe cacha la nuit dans le temple ;
8c le lendemain, dit Lucien, on découvrit cette marque
, 8c l’on n’entendit plus parler du jeune homme.
Il fortit encore un autre amour du cifeau de Praxitèle
pour la ville de Parium, colonie de la Propon-
tide. Cette figure, dit Pline, eft égale en beaute à fa
Vénus, 8c produifit les mêmes effets fur les foeurs
d’Alchidas de Rhodes. Varron rapporte qu’onvoyoit
à Rome, auprès du temple de la félicité , les neuf
mufes , une defquelles rendit amoureux un chevalier
romain, nommé Juniiis Pifciculus.
Les récits de cettè nature fe trouvent auffi quelquefois
rapportés dans l’hiftoire de nos artiftes modernes
, mais ce n’eft yraiffemblablement que par