Grecs, de qui les Romains rempruntèrent, étoit
que le prêtre venant à l’autel demandoit tout h aut,
tÎç tiiS't, qui ejl ici ? Le peuple répondoit -arotàoi xa)
àyàboi, plujieurs perfonnes &• gens de bien. Alors l’huif-
fier crioit dans tous les coins du temple Ek*ç, tx«f
Am {ïîChXoi , c’eft-à-dire loin d’ici méchans ; ou bien
Tixaç, txetc îhi a^hpoi, loin d’ici profanes. Les Latins
difoient ordinairement, nocentes, profani, abfcedite ;
chez les Grecs, tous ceux qu’on chaffoit des temples,
étoient compris fous ces mots généraux, ,
éfAAJTOt , UKolbapTOl , &C.
Ovide a nommé dans fes faites liv. II. la plupart
des pécheurs qui ne pouvoient affilier aux mylteres
des dieux. Voici fa lifte qui devroit nous fervir de
réglé.
Innocui reniant, procul hinc , procul intpius ejlo
Frater , & in par tus mater acerba fuos :
Cul pater efl yivax : qui maths digerit annos,
Quce premit invifam focriis arnica nurum.
Tantalidce fratres abjînt, & Jafonis uxor ,
Et qua ru rie o lis fetnina topa dédit !
Et foror , & P rogne , Tereufque duabus iniquus ;
E t quicumquefuas per feelus auget opes.
Nous apprenons de ces beaux vers , qu’à parler
en général, il y avoit deux fortes de perfonnes à
qui on défendoit d’affifter aux facrifices ; favoir les
profanes, c’eft-à-dire ceux qui n’étoient pas encore
ihftruits dans le culte des dieux,.& ceux qui avoient
fait quelque aétion énorme , comme d’avoir frappé
leur pere ou leur mere. Il y avoit certains facrifices
en G rece, dont les filles & les elclaves étoient ban-
Jiis. Dans la Chéronée , le prêtre tenant en main
un fouet, fe tenoit à la porte du temple de Matuta ,
&c défendoit à haute voix aux efclaves étoliens d’y
entrer. Chez les Mages ceux qui avoient des taches
de Touffeur au vifage, ne pouvoient point approcher
des autels , félon le témoignage de Pline, livre
X X X . chap. ij. Il en étoit de même chez les Germains
, de ceux qui avoient perdu leur bouclier dans
le combat ; & parmi les Scythes, de celui qui n’avoit
point tué d’ennemi dans Aa bataille. Les dames romaines
ne dévoient affifter aux facrifices que voilées.
Les profanes & les excommuniés s’étant retirés,
on crioit favete linguis ou animis , & pafeite linguam,
pour demander le filence & l’attention pendant le
facrficc. .Les Egyptiens avoient coutume, dans le
même deffein , de faire paroître la ftatue d’Harpo-
crate, dieu du filence , qu’ils appelloient nyaMüva..
Pour les Romains , ils mettoient fur l’autel de Volu-
pia , la ftatue de la déeffe Angéronia, qui avoit la
bouche cachetée, pour apprèndre que dans les myf-
teres de la religion, il faut être attentif de corps &
d’efprit.
Cependant le prêtre béniffoit l’eau pour en faire
l’afperfion avec les cérémonies ordinaires, foit en y
jettant les cendres du bois qui avoit fervi à brûler les
viétimes , foit en y éteignant la torche du facrifice ;
ilafpergeoit de cette eauluftrale, & le s autels & tout
le peuple, pendant que le choeur des muficiens chan-
toit des hymnes en l’honneur des dieux.
Enfuite onfaifoitles encenfemens aux autels, aux
ftatues des dieux, & aux viétimes ; le prêtre ayant
le vifage tourné vers l’orient, & tenant les coins
de l’autel, lifoit les prières dans le livre des cérémonies
, & les çommençoit par Janus & Vefta, en leur
offrant avant toute autre divinité, du vin & de l’encens.
Héliogobale ordonna „cependant qu’on adreflat
la préface des prières au dieu Héliogobale. Domitien
voulut auffi qu’on les commençât en s’adreffant à
Pallas , dont il fe difoit fils, félon le témoignage de
Philoftrate. Toutefois les Romains reftituerent cet
honneur à. Janus & à Vefta.
Après cette courte préface , l’officiant faifoit une
longue oraifon au dieu à qui il adrefî'oit 1 e facrifice',
&c enfuite à tous les autres dieux qu’on conjuroit
d’être propices à ceux pour lefquels on offroit le facrifice
, d’affifter l’empire, les empereurs, les principaux
miniftres , les particuliers , & l’état en général.
C ’eft ce que Virgile a religieulement obferve dans
la priere qui fut faite à Hercule par les Saliens, aj .ù-:
tant, après avoir rapporté fes belles a étions :
Salve vera Joris proies , decus addite divis,
Et nos & tua dexter adi pede facra fecundo.
Æneid. l.VIÏÏ.
Apulée rend à la déeffe Ifis une aftion de grâce qui
mérite d’être ici rapportée, à caufe de fa fingularité.
Tu quidem fancla & humant generis fofpitatrix perpétua
ffernperfovendis mortalibus munifica, dulcem matris
affeclionem miferorum cajibus tributs, nec dies , nec
qui es ulla, acné mornentum quidem tenue tuis tranfeur-
ris beneficiis otiofum , quâ mari terrdque protegas homi-
nes , & depuljis vitee procellis falutarem porrigas dtxtc-
ram, quâ fatorum etiam inextricabiliter contorta retrac
tas licia, & fortunée ternpejlates mitigas , & jlellarum
varios meatus cohibes.
Te fuperi colunt, obfervant infère , tu rotas orbem ,
laminas J'olem , regis mundum , calcas tartarum ; tibi
refpondent Jidera , redeunt tempora, gaudent numina,
ferviunt elementa, tuo natu fpirant flumina , nutriunt
nubila , germinant femina , crefcunt gramina. Tuam
majefiatem perhorrefeunt ares coelo meantes, ferez mon-
tibus errantes , fer pentes folo latentes belliuz^ponto natalités.
A t ego referendis laudibus tuis exilis ingehio , &
adhibendis facrificiis tenuis patrimonio. Nec mthi vocis
ubertas, ad dicenda quce de tuâ majefiate fentio, fufficit,
nec ora mille , lingueeque totidem , vel indefenji fermo-
nis ceterna fériés. Ergo quod folum potefi religiofus quidem
, fed pauper, alioquin efpcere curabo, divinos tuos
vultus , numérique fanctijjîmum , intra pecloris met fe-
creta conditum , perpetub cupodiens, imaginabor.
Ces prières fe faifoient de bout, tantôt à voix
baffe, & tantôt à voix haute ; ils ne les faifoient af-
fis que dans les facrifices pour les morts.
Multis dum precibus Jovem falutat,
S tans fummos refupinus ufque inungues.
Mart. 1. XII. épigr. 78.
Virgile dit :
Luco tîim forte parentis >
Pilumni TurnusJâcratâ valle Jedebat '.
Æneïd. 1. IX.
Le prêtre récitoit enfuite une efpece de prône,
pour la profpérité des empereurs & de l’état, comme
nous l’apprenons d’Apulée, livre II. de l’âne d’or.
Après, dit - i l , qu’on eut ramené la proceffion dans
le temple de la déeffe Ifis, un des prêtres appelle
grammateus, fe tenant debout devant la porte du
choeur, affembla tous les paftophores , & montant
fur un lieu élevé, prit fon livre, lut à haute voix plu-
fieurs prières pour l’empereur, pour le fénat, pour
les chevaliers romains, & pour le peuple, ajoutant
quelque inftruétion fur la religion : Tune exiis quem
cuiicli grammateum vocabant, pro foribus ajjijlens,
ccetu pafiophorum fjuodfacrofancli collegïi nornen ejlÿ
velut in concionem vocato, indidern de fublirni fuggepu9
de libro9 de litteris faufiâ voce preefatus prtneipi magno9
fenatuque, equiti9 totique populo, noticis, navibus, & c .
Ces cérémonies finies, le facrifica'teur s’étàht affis,
& le s viétimaires étant debout, les magiftrats ou les
perfonnes privées qui offroiënt les prémices des fruits
avec laviétime, faifoient quelquefois un petit difeours
ou maniéré de compliment ; c’eft pour cela que Lucien
en fait faire un par lés ambaffadeurs de Phalaris aux
prêtres de Delphes, en leur préfentant de fa part, un
taureau
taüreaù d’àirain j qui étoit uh chef-d’oeuvre de fart.
Amefure que chacun préfentpjt fon offrande, il
alloit fe laver les mains en Un lieu exprès du temple
} pour, fe préparer plus dign.ement au facrifice, &
pour remercier les dieux d’avoir bien.voulu recevoir
leurs viétimes. L’offrande étant faite, le prçtre officiant
encenloit les viétimes^ & les arrofoit d’eau hif-
trale; enfuite remontant à l ’autel, il prioit à haute
voix le dieii d’avoir agréables les viairfies qu’il lui
alloit immoler pour les néceffités publiques, 6t pour
telles ou telles' raifons particulières^ & après cela le
prêtre defçendoit au bas des marches de l’autel , &
recevoit de la main d’un des miniftres, la pâte façrée
appellée. mola falfa9 qui étoit de farine d’orge ou de
froment, pâitrie avec le fel & l’eau, qu’il jettoit fur
la tête de la viétime, répandant par-defîiis un peu de
vin; cette aétion fe nommoit immolatio, quafi moloe
ïllatio y comme un épanchement de, cette pâte., mola,
falfa, dit Feftus, vocatur far totum , & fale fpatfunt,
qtto deo molito hoflice afpergantuf.
Virgile a exprimé cette cérémonie enplufieurs en-j
droits de fon poème ; par exemple,
Jamque dies infanda aderat mïlü facra par art,
Et falfcefrnges, 6* circutn tempora yellot.
Éneïd. /. //.
Le prêtre ayant répandu des miettes de cette pâte
falée'fur la tête de laviétime, ce qui en conftitUoit
la première confécration, il prenoit du vin avec le
fimpule, qui étoit une maniéré de burette, & en
ayant goûté le premier, & fait goûter aux affiftans,
il le verfoit entre les cornes de la viétime, & prononçant
ces paroles de confécration, maclus hoc vino
inftrio ejlo, c’eft-à-dire que cette viétime foit honorée
par ce v in , pour être plus agréable aux dieux. Cela
fait il arràehoit des poils. d’entre les cornes de la
vittime, & les jettoit dans le feu allumé.
Et fumma fcarpens media inter cornua fêtas,
Ignibus imponit fteris.
Il commandait enfuite au viétimaire de frapper
la viûime, & celui-ci l’affominoit d’un grand coup
de maillet ou de hache fur la tête : auffi-tôt un autre
miniftre nommé popa, lui plongeoit un couteau dans
la gorge, pendant qu’un troifieme recevoit le fang
de l’animal, qui fortoit à gros bouillons, dont le
prêtre arrofoit l’autel.
Supponunt alii cultros, tepidumque cruOtem
Sufcipiunt paterisi Virgile.
La viétimè ayant été égofgée, on l’écorchoit, excepté
dans les holocauftes, où on bruloit la peau
avec l’animal ; on en détachoit la tête , qu’on ornoit
de guirlandes &C de feftons, & on l’attachoit aux piliers
des temples, auffi-bien que les peaux, comme
des enfeignes de la religion, qu’on portoit en proceffion
dans quelque calamité publique, c’eft ce que
nous apprend ce paffage de Cicéron Contre Pifon.
Et quid recôrdaris citrn Omni totius provincioe pecore
cumpulfo , pellicum noniine omnem quoefium ilium do-
mefiieumpaternumque renovafli ? Et encore par cet autre
de Feftus, pcllem habere Hercules fingitur, ut homi-
nes cultus antiqui admo néant ur jlugen tes quoque diebus
luclûs in pellibus fitnt.
Ce n’eft pas que les prêtres ne fe couvriffent fou-
vent des péaux des viétimes, ou que d’autres n’allaf-
fent dormir deffus dans le temple d’Efculape, &.dans
celui de Faunus, pour avoir des réponfes favorables
en fonge, ou être foulagés dans leurs maladies,
comme Virgile nous en affure par ces beaux vers.
Hue dona facerdos
Cum tulit & Coefarurn ovium fub noclefilenti
Pellibus incubuit firatis, fomnofque petiyit}
Tome X I H,
Muhamodis fniùlachra vidée vfiî'itantia ïnlris. .
E t yafiA'S. audit vpces^ fruiturqUe de'orum
, Colloqtào, 1atque imis acherouta, affatur averhis. • j
Hiç & tum pater ipfe petens fefpbit.fi Latthus,
Ceiitum lànigeras maclabat ritebidentts,
Atque harum effultus urgb9 pratique jacebat
Velleiibus... ! 1 ; Éneïde,,L
Lorfqire îe prêtre a Conduit les' yiélimes à la fontaine
, & quil les y a immolées,,,il ,en étend pendant
la nuit les peaux fur la terre, fg,couche deffus &: s’y
endort. Alprs il voit mille,fantômes Voltiger autour*
de lui ; il çntend différentes voix,; il s’entretient avec
les dieux de l’olympe, avec les divinités même des
enfers. Le roi pour s’éclaircir ftir le fort de la prin-
ceffe, facrifta donc dans ,cettç( forêt cent brebis au
dieu Faune, & fe coucha enfuite lùr; leurs tdjfeni
etendues. .
Cappadox, marchand d’ëfclâvés, fe plaint da^is la
comedie de Plaute intitulée Çurcfilio ^ qu’ayant coua
ché dans le temple d’Efcu la p e il avoit vu en fonge
ce dieu s’éloigner de lui; ce qui le.fait refondre d’un
fortir, ne pouvant efpérer de guérifon.
Migrare certtim efl jarrl nunc é fdno forain '•
Quando Æfculapi ita fentio fnteniiam : i
Ut qtù me iiihili faciat^ nec falvuni vélit.
On ouvroit les entrailles de la viétime ; &: apres
les avoir confédérées attentivement pour en tire/
des préfages , félon la fcience des; arulpiçes ,/on les
faupoudroit de farine, on les arrofoit.de vin, & on
les préfentoit aux dieux dans des baffins, après quoi
on les jettoit dans le feu par morceaux, reddebant exta
diis : de-là vient que les entrailles étoient nommées
porricïce. , quod in arcefoco ponebantur, diifque porrige-
bantur : de - forte que, cette ancienne manière de
parieg9 porridas inferre, veut dire,prëfenter les entrailles
en facrifice. —■
Souvent on les arrofoit d’huile, comme nous li-<
fon s r liv. VI. de l’Eneïde.
Et fiolida imponit taurorum vifeera jlainrnis,
Pingue fuper oleum fundens ardemibus exiis.
Quelquefois on les arrofoit de lait & du fang cîe
la viélime, particulièrement dans les facrifices des
morts, ,ce que nous apprenons de S tace, /. VI. de la
Thébaïde.
Spumàntifque mèrô paierai verguntur & atri
Sanguinis, & raptt gratijjima eyinbia laclis.
Les entrailles étant confumées, toutes les autres
cérémonies accomplies, ils croyoient que les dieux
etoient fatisfaits, &£ qu’ils ne pouvoient manquer de
< voir l’accompliffement de leurs voeux; ce qu’ils ex-
primoient par ce verbe, litare, c’eft-à-dire tout efl
bien fait • & non litare au contraire, vouloit dire qu’il
manquoit quelque chofe à l’intégrité du facrifice, &C
que les dieux n’étoient point appaiiés. Suétone parlant
de Jules -Céfar, dit qu’il ne put jamais façrifier*
une hoftie favorable le jour qu’il fut tué dans le fénat»
Cæfar. viclimis coefis litare non potuit.
Le prêtre renvoyoit le monde par ces paroles 9
I licet dont on fe fervoit pareillement à la fin des
pompes funèbres & des comédies, pour congédier le
peuple, .comme on le peut yoir dans Térence &
dan$ Plaute. Les Grecs fe fervoient de cette expref- .
fion pourle même fui e t , S^imc.9 & le peuple
répondoit féliciter. Enfin on dreffoit aux dieux le batv
quet ou le feftin facré, epuLum ; on mettoit leurs fta-
1 tues fur un lit , &: on leur fervoit les viandes des vie»
times offertes; c’étoitlà la fonction des miniftres des :
facrifices, que les Latins nommoient epulones.
Il réfulte du détail qu’on vient de lire, què lëâ
facrifices avoient quatre parties principales ; la pre*
p p p