Tes filets des pêcheurs -de fardines deBelle-ifle flottent
à fleur d’eau, comme ceux des pêcheurs poitevins
: le fil dont ils font compofés étant très-délié,
on eft obligé de leur donner du poid par le pié , à la
différence des rets ou feines aux harengs, 8c des ma-
nets qui fervent à faire la pêche du maquereau , qui
calent par leur propre pefanteur, à caule de la grof-
feur du fil dont ils font fabriques ; ces filets ont depuis
trois braffes & demie de chute , jufqu’à cinq
érafles ; il faut encore obferver que les chaloupes de
Belle Ifle, 8c même celles qui viennent avec elles
faire la pêche dans les courôaux d’entre Belle-Ifle 8c
Quiberon , ont coutume de revenir à terre tous les
foirs ; c’eft une des raifons qui a obligé l’amirauté de
difpenfer les équipages de ces chaloupes de prendre
un congé pour la pêche, parce qu’ils font variables,
8c qu’il feroit impoflïble que les maîtres puffent fournir
un Toile au bureau des claffes , ceux qui montent
aujourd’hui dans une chaloupe , la quittant demain
pour reprendre leur métier, quand la faifon de la
pêche eft pafle.
Les chaloupes repartent le lendemain d’aflez bonne
heure pour pouvoir être rendues à l’aube du jour
fur le lieu de la pêche, qui n’eft toujours éloigné que
d’une lieue ou deux de terre. La pêche fe fait entre
les coureaux , c’eft-à-dire, entre Belle-Ifle & les
terres de Quiberon , jufque par le travers de la
Pointe d’Etel à l’embouchure de la riviere de S. Ca-
do ; ces fonds n’ont que 8 , 10 à i 2 braffes d’eau au
plus. •
Les pêcheurs tendent leurs filets de même que les
pêcheurs poitevins, en croifant la marée, 8c ils amorcent
pour mettre le poiffon en mouvement,8c le faire
monter à la/urface de l’eau , ce qu’il fait avec beaucoup
de précipitation ; les pêcheurs continuant toujours
de femer leur boite tant que la marée dure ,
c’eft-à-dire, que les rets relient à la mer jufqu’à ce
qu’on les releve pour en retirer les fardines qui s’y
lont prifes. Quand la pêche eft abondante, fouvent
l ’équipage d’une chaloupe en rapporte le foir 25 à
30 milliers, à-moins qu’ils ne les aient renverfées à
bord des chaffes-marées, qui fe tiennent toujours
fur le lieu de la pêche pour s’en charger 8c en faire le
tranfport.
On croit devoir ici obferver que les pêcheurs de
Belle-Ifle font d’un fentiment oppofé à celui des pêcheurs
poitevins 8c autres, qui font la même pêche
le long des autres côtes méridionales de la Bretagne,
prétendant, avec àffez de fondement, que la fardine
ne fe tient pas fur les poiffons blancs 8c les chiens de
mer , qui en feroient continuellement une telle curée
, qu’ils épailleroient 8c feroient fuir les lits, troupes
ou bandes de ces petits poiffons ; que la Jardine
nage entre deux eaux comme les harengs, 8c que c’eft
pour l’attirer à la furface qu’on amorce ; la rogue qui
eft pefante tombant perpendiculairement à fond, fi
les fardines s’y tenoient, elles ne s’éleveroient pas
avec tant de vivacité ; elles trouveroient à fond leur
pâture ; cette idée eft foutenue de l’expérience qu’ils
ont ; c’eft aufli celle des pêcheurs des côtes de la Méditerranée
oiila même pêche fe fait fans boite ni appât
, 8c des pêcheurs du hareng qui fe tient de même
entre deux eaux à différentes profondeurs, fuivant
les vents qui régnent, ou la qualité des lits des poiffons.
Une grande partie des fardines de la pêche de Belle-
Ifle s’enleve par des bateaux chaffe-marées, 8c le refte
s’apporte à terre pour être vendu aux marchands 8c
faleurs , qui ont des preffes oit ils les préparent de
la maniéré que nous l’expliquerons ci après.
II n’eft pas dàifage à Belle-Ifle de fumer oufore-
ter les fardines; cette forte de préparation femblable à
celle de l’aprêt des harengs fors y eft inconnue , 8c
n’y a jamais été pratiquée.
L’appât ou Ta boite qui fert à la pêche de h fardine.
que l’on nomme rave , rogue ou rejure , comme on l’a
dit, eft apportée aux pêcheurs de Belle-Ifle, de Ber-
gaen 8c de Dronfton en Norvège, 8c de Hollande.Ce
font les oeufs des morues provenant des pêches des
Norvégiens , des Danois , des Hollandois dans les
mers du nord ; ces oeufs font connus fous le nom de
jlocjifh. Les François qui font la pêche fur le banc de
Terre-Neuve, falent la rogue pour le même ufage, 8c
les pêcheurs picards, normands 8c autres, qui font
hors la manche 8c dans le canal la pêche des maquereaux
, en préparent aufli les oeufs pour fervir d’appât
à la pêche de lu fardine.
Le baril de r-aue, refure ou rogue venant de Ber-
gaen, ne pefe qu’environ cent cinquante livres. Voyeç
Resvre,
Une chaloupe fardiniere confomme pendant la durée,
de la pêche quelquefois jufqu’à fept 8c huit bar-
rils , ou trois à quatre barriques de rave ou refure,
pendant l’efpace de trois à quatre mois qu’elle dure
ordinairement ; on ne fauroit rien fixer là-deffus de
précis, parce que cette çonfommation dépend fou-
vent 6c de l’abondance 8c de la ftérilité de la pêche;
plus il y a de poiffon, 8c moins il faut l’amorcer pour
le faire monter ; elle dépend aufli du moins autant
de l’intelligence 8c de l’expérience des maîtres. Il y
en a qui emploient un tiers plus de refure que les
autres.
Les fardines que l’on deftine à être falées , fe falent
en grenier, à terre, dans les preffes ou magafins;
quand elles y font arrivées , on les met égouter leur
eau pendant une heure ou deux avant de les faler ;
enfuite on les entaffe, 8c on les arrange de maniéré
que toutes les têtes fe trouvent en-dehors, 8c les
queues en-dedans ; on feme du fel de couche en couche
d’un doigt d’épais ; on n’éleve les tas ordinairement
que deux ou trois piés au plus, pour ne point
écrafer ou trop affaiffer les fardines qui forment les
premiers lits de deffous ; les piles ont une forme irrégulière
, 8c fuivant le lieu de la preffe oii l’on les
place ; on laiffe ainfi les fardines durant dix à douze
jours avant que de les lever pour les aller laver dans
l’eau de mer , comme nous l’expliquerons ci-après;
ainfi, quoique les fardines foientbien plus petites que
les harengs , il ne faut cependant guere moins de
tems pour en perfectionner la falailon. Les harengs
font parqués en barril, les fardines en grenier.
Lorfque les fardines ont été affez falées, on les enfile
parla gueule 8t par les ouies , comme on fait aux
harengs que l’on veut forrer, 8c de là même maniéré
, lur de petites broches ou brochettes de coudrier,
mais à la différence des harengs , qu’on arrange de
maniéré qu’ils ne fe touchent point, on preffe nir les
brochettes les fardines de telle forte qu’elles en rem-
pliffent tout-à-fait la longueur.
Les femmes 8c les filles font occupées ordinairement
à ce travail, elles portent enfuitç les fardines
ainfi embrochées, fur des civières au bord de la
baffe mer, obfervant que les têtes, du poiffon foient
en-dehors 8c les queues en-dedans ; elles ne mettent
gueres que trois brochettes de largeur fur la civière
; pour laver les fardines elles prennent par les
deux bouts trois brochettes entre les doigts , 8c elles
les trempent plufieurs fois dans l’eau, après quoi elles
les remettent fur leur civiere, au fond de laquelle
il y a deux petites nattes de paille pour foutenir les
fardines , qu’on laiffe enfuite égoutter dans les reffes
pendant quelque tems; quand elles font fuflifamment
égouttées de leur lavage, on les arrange dans des
barrils, de la même maniéré que l’on alite les harengs
que l’on pacque, pour être envoyées dans les
lieux de leur çonfommation.
Il faut ordinairement pour faire une barrique d;
fardines preffées, la charge de quatre civières, 8c on
ne peut fixer le nombre des fardines, attendit qu’il
dépend de la petiteffe où de là groffeùr du poiffon
oui l’augmente , ou le diminue , parce que c’eft le
rempliffage de la futaille qui en fait le poids ; il en
faut quelquefois feulement trois milliers environ ,
quand les fardines font belles 8c groffes pour les remplir
, 8c d’autres fois il en entre jufqu’à dix milliers,
lorfque le poiffon eft de petites pièces 8c maigre.
Les fufts où barrils de fardines de Belle-Ifle, ii’ont
euere de bouge ou de ventre, leur forme eft celle
des barrils de brai du nord; ils font faits de bois de
hêtre, 8c un des fonds, qui eft celui de deffous ^ eft
percé de plufieurs trous , pour donner lieu à l'écoulement
de l’eau 8c de l’huile que la preffe en fait for-
tir; ces barrils bien preffes 8c marchands , pefent
ordinairement depuis trois cens jufqu’à trois cens
dix livres.
Les fardines font huit à dix jours à être preffées ;
quand elles font bien préparées, elles fe peuvent con-
lèrver bonnes pendant fept à huit mois au plus; après
ce tems les chaleurs viennent, 8c les. Jardines fe gâtent,
elles deviennent rances 8c fétides.
Les preffes à fardines font des efpeces de petits magafins
à rez-de-chauffée, fans aucun étage , à la hauteur
de 3 piés 8c demi à 4 piés, il y a des trous dans la
muraille d’environ un pié en quarré, 8c de profondeur
pour y pouvoir placer le bout, le lans-peél ou
petit foliveau qui forme le levier de la preffe ; on pla
ce le barril à une diftance proportionnée dé lamu1-
raille , le fond qui eft percé eft fur un conduit, ou
petit égoût, le long duquel coulent l’huile 8c l’eau qui
iôrtent des barrils , 8c qui tombent dans une efpece
de cuve qui fert de réfèrvoir pour recevoir tout ce
qui fort des barrils ou preffes ; quelques propriétaires
mettent au haut des ouvertures .des trous , une
pierf e dure ou un grais ; d’autres y mettent d’un bout
à l’autre, unetraverfe ou un linteau de bois ; on place
fur le bout du haut du barril qui eft ouvert, un faux
fond de bois de l’épaiffeur de fept à huit pouces , 8c
enfifite quelques petites traverfes de bois qu’on mut-
tiplie à mefure que les Jardines s’affaiffent, 8c au-def-
fuâ on met le levier au bout duquel on place une planche
fufpendue avec de petites cordes , comme un des
fonds d’une balance que Ton charge de pierres 8c
d’autres poids , pour donner un poids convenable 8c
fuffifant fur les fardines du barril, 8c on augmente
ce poids à mefure qu’elles fe preffent, en rempliflànt
de tems à autres le haut du barril jufqu’à ce que la
prefle foit achevée , 8c le barril rempli comme il le
doit être.
Comme on ne peut déterminer le nombre des fan
dines qui entrent dans un barril, on ne fauroit aufli
fixer celui des barrils de fardines qui peuvent rendre à
la preffe iule barrique d’huile, parce que comme on
vient de l’obferver, la fardine maigre Sc petite rend
peu ou point du tout d’huile , au lieu que celle qui
eft grofle 8c qui eft ordinairement aufli la plusgrafle,
en fournit beaucoup ; on tire communément des fardines
de bonnes qualités, une barrique d’huile de la
preffe de quarante barriques ; Cette huile fert dans
Tîle, au radoub des chaloupes pêcheufes, 8c à celui
desbâtimens employés au commerce ; il s’en confomme
encore au même ufage que Thiiile des balei*
nés, par les corroyeurs, pour repaffer leurs peaux,
8c quoique fon odeur foit fort fétide , les pauvres
gens s’en fervent à brûler dans leurs lampes.
Les mailles des rets avec lefquels on fait la pêche
des fardines, font de trois efpeces ; les premières ont
8 lignes en quarré, les fécondés ont 7 lignes, 8c les
troifiemes feulement 6. Ainfi elles font plus grandes
que l’ordonnance ne la preferit, puifqù’elle fixe la
grandeur des mailles à 16 lignes de tour, c’eft-à-dire
à 4 lignes en quarré.-
Les rets à grand as fardines ont onze lignes enqüarfe
, les pêcheurs 'alors irê:bditent point ; ces rets
fervent encore à taire là pêche des éguillettes ou orphies
, fur les .rochers qu’ils entourent, 8c durant
les mois d’Avril 8c Mai, ces'filets font les mêmes qùè
les feines au hareng des pécheurs normands -, ils les
emploient abufivement quelquefois à traîner fur les
côtes qui lont couvertes de fables.: Voyt^ la dèmonl-
t ration'" des différéns apprêts des Jardines \ dans
nos Planches de pêches la première partie dé là
planche,'crontiént la reprefentarion de la maniéré de
farter-\èsJfardines ; la lèconde ,’ le làVàVé'dcf mêmes
Jardines ; 8c la troifieme , la maniéré de,preffer les
fàrdi'ncs dans,les prefles ou magafins.
De la pèche de iù fardine, & delà manière de là préparer
& de préparer aujfi Panchois, comme’ on le fuit eà
'Pim'ence & en’Languedoc. Il n’y a que peu d’années
qile cës fortes de fiÇllaifons font pratiquées le long des
côtes de là Bretagne méridionale,.8c il ne s’ÿ en prépare
guere que fur les côtes de l’amirauté de Quirh1
per,à Concarneau,8c à Belle-Ifle fur celle’ de Vannes;
•La pêche de ces poiffons étant devenue ingrate 8i
ftérile fur les côtes du Levant , les Provençaux inf-
truits de l’abondance de cette pêche en Bretagne j ÿ
viennent à.préfent chaque année; ils y .arrivent vers
le commencement du mois de M a i, 8c s’en retournent
à la fin d’Oélobré.
Ils mettent dans une barrique de f e l , du poids dé
200 livres au moins , deux livres d’ocre rouge, où
bol arménique en poudre ; ils ôtent des anchois la
tête 8c les entrailles ; ils falent enfuite par lits leurs
anchois , qu’ils arrangent le dos eh haut, dans dé
grands 8c petits barrils qu’ils nomment barrots, les
grands peuvent contenir environ 5 à 660' poiffons *
8c les demi' à proportion;
Ces fortes de barrils font fabriqués à Cette , jaugés
par la police, 8c marqués à feu ; il y a à Cette un
infpèéieur pouf cette jauge , 8c peine d’amende 8c
confifcation des barrots qui n’y feroient pas con-,
formes.
Les grand barrots pleins , peuvent pefer 24 à 25
livres ; quand les barrils font remplis de poiffons alités
, on l’enfonce , en laiffarit un trou au milieu dit
fond du deffus ; on les expofe ainfi débouchés au fo-
leil pendant plufieurs jours ; ce que l’on répété trois
à quatre fois de quinze jours en quinze jours, pendant
que Ton fait cette forte de préparation.
La chaleur fait fermenter la faumure que le poiffon
forme de fon fitc 8c de là fonte du f e l , elle aide à
confire le poiffon ; la faumure fumage au-deffus du
fond, on n’y en met pas de nouvelle quand elle di*
minue, on a foin de tems en tems de douiller les
barrils ; il faut faire attention de boucher avec une
cheville les barrils expofés au foleil, pour peu que
l’on craigne la pluie , qui altéreroit la faumure, 8c
feroit tort au poiflon.
La fardine anchoitée , c’ eft-à-dire préparée avec le
même fel rouge, s’accommode de même, excepté
qu’on ne lui ôte que la tê te , 8c qu’on lui laiffe les
entrailles.
Les fardines les plus petites, qui font ordinairement
celles de primeur, font celles qui conviennent
le mieux à cette préparation, 8c même les fardines
que Ton rebute dans les preffes, s’emploient dans ces
barrots , tant les étêtées , ou celles auxquelles on a
coupé la tête, que les égueulées 8c éventrées, qui
ne peuvent fervir aux fardines falées 8c preffées.
Tons les anchois fe mettent dans les petits barrils
on fille peu de fardines dans ces fûts ; on fe fert ordinairement
de barriques vuidârige de Bordeaux ou
de Mantes ; lorfque ces fardines font arrivées en Lan*
guedoc ou en Provénce , les négocians qui fohtce-
commerce , les tranfvafent dans de petits barrils que
l’on fabrique chezeux pour cet ufage.
Cette elpeçe defalaifori n ’eft marchande qtie la Té*