viron 620 lieues en cent vingt-deux jours de marche.
M. le maréchal de Puyfegur prétend dans ion livre
de Y Art de la Guerre, que tout ce qui concerne
lés retraites, peut s’enfeigner par réglés 6c par principes.
Il y donne en effet bien des obfervations qui
peuvent être regardées comme la baie de leurs principales
difpofitions ; mais il pur oit été f°rt avantageux
de trouver ces principes réunis en un feul article
; on auroit pu s’en former des idées plus parfaites
, 6c acquérir bien plus aifément les connoiflan-
ces que fes lumières 6c fa grande expérience le met-
toient en état de donner fur cette importante matière.
Comme le fuccès des batailles n’ eft jamais certain,
les retraites doivent être toujours prévûes Sc arrangées
dans l’efprit du général avant le combat ; il ne
doit plus être queftion que de prendre les mefures
néceflaires pour les exécuter, fans défordre 6c fans
confufion lorfqu’il en eft befoin.
L’objet qui mérite le plus d’attention dans les retraites
, eft la marche des troupes enfemble 6c toujours
en ordre de bataille.- Il faut éviter avec foin
tout ce qui pourro.it leur donner occafion de fe rompre
ou de fui| en défo.rdre. Dans ces momens critiques
, le général a befoin d’un grand fang - froid 6c
d’une grande préfence d’efprit pour veiller au mouvement
de toute l’armée, pour la raffurer, lui donner
de la confiance , & même la tromper, s’il eft
poffible, fur le danger auquel elle fe trouve expo» i
fée ; enfin , faire enlorte qu’ elle ne fe perfuade point
que tout eft perdu , 6c que la flûte feule peut la
mettre en fureté. C’eft un art qui n?appartient qu’aux
grands capitaines'; les médiocres ont peu de reffour-
ces dans ces occafions ; ils nefavent que dire, fuivant
l’expreffion de M. le maréchal de Puyfegur , & tout
efl à l'abandon. Sous d.es chefs de cette efpece, les
retraites fe font avec beaucoup de perte & de confufion
, à moins qu’il ne fe trouve des officiers généraux
affez habiles 6c affez citoyens, pour favoir fup-
pléef à l’incapacité du général.
L’armée efl partagée, dans Les retraites fur autant de
colonnes, que les chemins 6c les circonflances le
permettent. Les bagages 6c la groffe artillerie en forment
quelquefois de particulières auxquelles on donne
des efeortes affez nombreufes pour repouffer les
détachemens ennemis qui voudroient s’en, emparer.
On inféré l’artillerie légère dans les colonnes d’infanterie
, 6c à la queue, pour affurer la retraite, en cas
que l’ennemi veuille les attaquer.
L’arriere-garde efl çompofée d’infanterie ou de
cavalerie , fuivant les lieux qu’on doit traverfer. En
pays de plaine, c’eft la cavalerie qui veille à la fureté
de l’armée ou qui couvre fa marche ; 6c dans
lés pays couverts, montueux, ou fourrés, c’efl l’infanterie.
Cette arriere-garde doit être commandée
par des officiers braves & intelligens, dont la bonne
contenance foit capable d’infpirer de la fermeté aux
troupes, pour les mettre en état de réfifter coura-
geufement aux détachemens que l’ennemi envoie à
la pourfuite de l’armée.
Si ces détachemens s’approchent de l’arriere-gar-
de pour la combattre , on la fait arrêter, 6c on les
■ charge avec vigueur lorfqu’ils font à portée. Après
les avoir repouffés, on- continue de marcher, mais
toujours en bon ordre 6c fans précipitation. On ob-
ferve auffi de couvrir les flancs des colonies , par
des détachemens capables d’en impofer aux différens
partis que l’ennemi pourroit envoyer pour effayer
de les couper.
Lorfque l’armée qui fe retire eft obligée de paffer
des défilés, on prend toutes les précautions convenables
pour que les troupes n’y foient point attaquées
, 6c que l’ennemi n’y puiffe point pénétrer.
jQn détruit les ponts après les avoir paffés ; on gâte
les gués , 6c l’on/rompt les chemins autant que le
tems peut le permettre, pour arrêter l’ennemi dans
fa pourfuite.
Lorfque l’armée fe retire en bon ordre , elle cherche
à occuper des poftes avantageux à quelques,
marches de l’ennemi / où elle ne puiffe êtr’e forcée
de combattre malgré elle ; ou bien elle fe retranche,
ou elle fe met derrière une riviere dont elle eft en
état de difputer le pafl'age à l’ennemi.
Si l ’armée eft fort en défordre & qu’elle ne puiffe
pas tenir la campagne, on la difperfe dans les places
les plus à portée , en attendant qu’on, ait fait venir-
les lecours dont elle a befoin pour reparoître devant
l’ennemi. On lui fait auffi quelquefois, occuper des
camps retranchés fous de bonnes places, où l’ennemi
ne peut l’attaquer.
Lorfqu’on veille av.ee attention fur tout ce qui
peut contribuer à la fureté de l’armée, 6c qu’en la
faifant, on marche toujours en bon ordre , une retraite
peut fe faire fans grande perte ; mais le fuccès en dépend
entièrement des bonnes difpofitions, 6c fur-
tout de la fermeté du général. Il doit agir 6c commander
avec la même tranquillité, qu’il leferoit dans
un camp de paix ; c’eft ce courage d’efprit, fupérieur
-aux événemens , qui caraélérife les grands capitaines
, 6c qui fait les grands généraux.
Ce qui peut donner de la confiance à un general
dans les retraites , c’eft l’opinion avantageufe qu’il
fait que l’armée a de fes talens 6c de fon. courage.
En le voyant manoeuvrer paifiblement & fans crainte
, elle le croit fans danger. Comme la peur alors
ne trouble point le foldat, il exécute tout ce qui lui
eft ordonne , 6c la retraite fe fait avec ordre 6c pour
ainfi dire fans perte ; il ne s’agit pour cela que de la
tête 6c du fang froid du général. .
En effet , quelqu’avantage que l’ennemi ait eu
dans le combat, il ne peut rompre fon armée pour
la mettre toute entière à la pourfuite de celle qui fe
retire. Une démarche auffi imprudente pourroit l’ex-
pofer à voir changer l’événement de la bataille,pour
peu que l’armée oppofée ne foit pas entièrement en
défordre, 6c qu’on puiffe en rallier une partie ; car
c’eft une maxime, dit un grand capitaine , que toute
troupe , quelque groffe quelle fo it , f i elle a combattu ,
efl en tel défordre, que la moindre qui furvient efl capable
de la défaire abfolument. Le général, ennemi ne
peut donc faire pourfuivre l’armee qui fe retire, que
par différens détachemens plus ou moins nombreux,
fuivant les circonflances, pour la harceler, tâcher d’y
mettre le défordre, 6c de faire des prifonniers ; mais
à ces corps détachés une arriéré- garde formée de
bonnes troupes 6c bien commandées , fuffit pour
leur en impofer. L ’armée viâorieufe ne peut s’avancer
que lentement ; elle eft toujours -.elle - même
un peu en défordre après le combat : le général
doit s’appliquer à la reformer & à. la mettre en état
de combattre de nouveau, fi l’armée adverfaire fe
rallioit, fi elle revenoit fur lui, ou fi fa fuite n’étoit
que fimulée , comme il y en a plufieurs exemples.
Pendant ces momens précieux, (a) on a le tems de
s’éloigner fans être fort incommodé des,corps détachés
, pourvu qu’on ait fait les difpofitions nécef-
faires pour les repouffer. C’eft ce qui fait penfer,
qu’une armée bien conduite, qui a combattu & qui
fe retire, ne devroit perdre autre chofe que le champ
de bataille (fl) ; c’eft beaucoup à la v érité, mais L’efU
(a) C’eft une chofe longue & difficile, dit M. le duc
de Rohan, dans fon parfait capitaine, de vouloir remettre
en bon ordre une armée qui a combattu , pour combattre
dé nouveau ; les uns s’amnfanc au pillage, les autres fe fâchant
de retourner au péril, & tous enfemble étant tellement
émus, qu'ils n’entendent ou ne veulent entendre nul
Commandement.
(i) Auffi voit-on dans l'hiftoire que les généraux habiles
pèrance d’avoir bientôt fa revanche ne s’évanouit '
pas pour cela. Cette perte doit au contraire piquer
6c aiguillonner le foldat, particulièrement lorfqu’il
n’a aucune faute à imputer au général.
En effet, quoiqu’une belle retraite foit capable d’il-
luftrer un général, M. le chevalier de Folard prétend
, que ce n’eft pas la feule reffource qui relie à
un grand capitaine après la perte d’une bataille. » Se
» retirer bravement 6c fierement, c’eft quelque cho-
» fe , dit ce célébré auteur ; c’eft même bèaucoup,
» mais ce n’eft pas le plus qu’on puiffe faire ; la bà-
» taille n’eft pas moins perdue, fi l’on ne va pas plus
» loin ; c’ eft ce que fera un général du premier or-
» dre. Il ne fe contentera pas de rallier les débris de
» fon armée, 6c de fe retirer en bon ordre en pré-
» fence du viélorièux ; il méditera fa revanche, re-
» tournera fur fes pas & conclura de fon relie, avec
» d’autant plus d’elpérance de réuffir, que le coup
» fera moins attendu , 6c d’un tour nouveau ; car
» qui peut s’imaginer qu’une armée battue 6c ter-
» raffée foit capable de prendre une telle réfolution.
»S’il n’y avoit p;.s d’exemples, continue le fa-
» vant commentateur de Polybe, de ce que je viens
» de dire, je ne trouverois pas étrange de rencon-
» trer ici des oppofitions ; mais ces exemples font en
» foule non-feulement dans les anciens, mais encore
» chez nos modernes. Quand même je ne ferois pas
» muni de ces autorités, ma propofition neferoit pas
» moins fondée fur la raifon, 6c fur ce que peut la
» honte d’une défaite fur le coeur des hommes véri-
. » tablement courageux.
On peut voir dans le commentaire fur Polybe 2.
1. page io 6~. & fuivantes, des exemples fur ce fujet.
M. de Folard obferve très-bien que ces fortes de def-
feins ne font pas du relfort de la routine ordinaire
qui ne les conduit, ni ne les apprend, ni des généraux
qui la prenne pour guide dans leurs aérions. Il
eft ailé de s’appercevoir que les grandes parties de
la guerre y entrent. Le détail, les. précautions 6c les
indurés qu’il faut prendre pour réuffir font infinies ;
6c ces foins, dit l’auteur que nous venons de citer,
ne font pas toujours à la portée des efprits 6c des courages
communs. « Il faut toute l’expérience d’un
» grand capitaine, une préfence d’efprit & une aéli-
» vité furprenante à penfer 6c à agir ; un profond fé-
» cret 6c gardé avec art. Cela ne fuffit pas encore ,
» fi la marche n’eft tellement concertée que l’ennemi
» n’en puiflé avoir la moindre eonnoiffance , quand
» il auroit pris toutes les mefures imaginables. Avec
» ces précautions ces deffeins. manquent rarement
» de réuffir, mais il faut qu’un habile homme s ’en
» mêle.
Les retraites qui fe font pour abandonner un pays
où l’on fe trouve trop inferieur pour réfifter à l’ennemi
, ou que la difette, les maladies, ou quel-qtC-
autre accident obligent de quitter, demandent auffi
bien des réflexions 6c des obfervations pour les exécuter
féverement. On ne fauroit avoir une connoif-
fance trop particulière du pays, de la nature des chemins
, des défilés, des rivières 6c de tous les différens
endroits par où l’on doit paffer. On doit diriger
la marche de maniéré que l’ennemi n’ait pas le tems
de tomber fur l’armée dans le paffage des rivières 6c
des défilés. Quand on a tout combiné 6c tout examiné
, on peut juger du fuccès de la retraite , parce
qu’on eft en état d’apprécier le tems dont on a befoin
- pour fe mettre hors de danger,
én perdant une bataille, n’abandonnent guere à l’ennemi,
que le terrein fur lequel ils ont combattu. On en trouve un
grand nombre d’exemples chez les Romains ; on pourroit
en citer de plus modernes ; mais on fe contentera de remarquer
que le prince d’Orange, Guillaume III. roi d'Angle-
gleterre, fe retira toujours en bon ordre après fes défaites,
quoiqu’il eut en tête des généraux du premier ordre, tels
que les Coudé ihc les Luxembourg.
La marche doit être vive 6c légère.
Les équipages doivent partir avant l’armée ; mais
il faut faire enforte que l’ennemi ignore pour quel
fujet. Il y a plufieurs maniérés de cacher le deffein
qu’on a de fe retirer. Voyt{ Ma r c h e 6> Pa s s a g e
DE RIVIERE.
La groffe artillerie doit partir immédiatement après
les équipages. On garde feulement avec les troupes
plufieurs brigades légères , du canon pour s’en fer-
v ir , comme dans les retraites qu’on fait après la perte
d’une bataille.
Avant que de mettre l’armée en marche il faut
avoir bien prévu les accidens & les inconvemens qui
peuvent arriver pour n’être furpris par aucun événement
inattendu.
Quand les retraites fe font avec art, qu’on a l’habileté
d’en cacher le deffein à l’ennemi, elles fe font
avec fureté, même en fa préfence. « C’eft une opi-
» nion vulgaire, dit M. le maréchal de Puyfegur, de
» croire que toute armée qui fe retire étant'campée
» trop proche d’une autre , foit toujours en rifque
» d’être attaquée dans fa retraite avec défavantage
» pour elle, il y a fort peu d’oceafions où l’on fe
» trouve en pareil danger , quand on a étudié cette
» matière, 6c qu’on s’y ell formé en exerçant fur le
» terrein.
En effet, la retraite de M. de Turenne de Marlen
à Deltveiller, en 1674, fe fit par plufieurs marches
toujours à portée de l’ennemi, fans néanmoins en
recevoir aucun dommage. « Ce général, dit M. le
» marquis de Feuquiere, étoit inhniment inférieur à
» M. l’éleêleur de Brandebourg , qui vouloit le for-
» cer d’abandonner FAlface , ou à combattre avec
» défavantage. M. le maréchal de Turenne ne vou-
» loit ni l’u n , ni l’autre de ces deux partis.
» Sa grande capacité lui fuggera le moyen de chi-
» caner l’Alface par des démonftrations hardies, qui
» ne le commettoient pourtant pas, parce qu’il fe
» plaça toujours de maniéré qu’ayant fa retraite af-
» l’urée pour reprendre un nouveau pofte, fans crain*
» dre d’être attaqué dans fa marshe ,il fe tenoit avec
» tant de hardielfe à portée apparente de combattre
» ce jour-là, que M. de Brandebourg remettoit au
» lendemain à entrer en aélion lorfqu’il fe trouvoit
» à portée de notre armée.
» C’ etoit ce tems-là que M. 'de Turenne vouloit
» lui faire perdre , 6c dont il fe fervoit pour fe reti-
» îe ; dès qu’il étoit nuit pour aller prendre un pofte
» plus avantageux. Mém. de Feuquiere, II. xj . pave
33 2. Voyt{ iur ce même fujet les mémoires des deux
dernières campagne^s deM. de Turenne.
Outre les retraites dont on vient de parler, il y en
a d’une autre efpece qui ne demandent ni moins de
courage, ni moins d’habileté. Ce font celles que peuvent
faire des troupes en garnifon dans une ville ou
renfermées dans un camp retranché, affiegées ou inverties
de tous côtés. .
Une garnifon peut s’évader ou fe retirer fecrete-
ment , dit M. de Beaufobre dans fon commentaire fur
Enée le taclicien, par quelque galerie fouterreine, par
des marais, par une inondation qui a un guet fecret
par la riviere même en la remontant ou defeendant
avec des bateaux, des radeaux , ou en la partant à
gué. Elle le peut encore par une inondation enflée
par des éclufés qu’on ouvre pendant quelques heures
pour le rendre guéable..
Pour réuffir dans cette entreprife ; il ne faut pas
que la ville foit exaâement inveftie, 6c que les troupes
aient beaucoup de chemin à faire pour fe mettre
en fureté. Comme il eft important de rendre la marche
légère pour la faire plus leftement, ou plus
promptement, çn doit, s’il y a trop de difficultés à
le charger du bagage, l’abandonner, & tout facrifier
à la çonfervation 6c au falut des troupes.