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Cependant, en promenant fes regards, il vit dans
la campagne les flammes du facrifice de fon frere qui
s’élevoient en tournoyant dans les airs. Défefperé
par ce fpedacle, il tourna fes pas ailleurs, 6c traina
loin de-là fa noire mélancolie, jufqu’à ce qu’enfin il
s’arrêta fous un buiffon, 6c bientôt le fomineil déploya
fur lui fes fombres ailes.
Depuis long-tems un génie que l’enfer appelloit
Anamakch, obfervoit fes démarches. Il fuivit en fe-
çret les traces de Caïn , 6c faifit ce moment pour
troubler foname par toutes les images qui pouvoient
faire naître en lui, l’égarement, l’envie à la dent cor-
rofive, la colere emportée, & toutes les paffions fu-
rieufes. Tandis que l’elprit impur travailloit à troubler
ainfi l’ame de Caïn, un bruit épouvantable fe fit
entendre fur la cime des montagnes, un ventmugif-
fant agitoit les buiffons, 6c rabattoit les boucles des
cheveux de Caïn le long de fon front 6c de fes joues.
Mais en vain les buiffons mugirent ; en vain les boucles
de fes cheveux battirent Ion front & fes joues,
le fommeil s’étoit appefanti fur fes yeux ; rien ne put
les lui faire ouvrir.
Caïn frémiffoit encore de fon fonge, lorfqu’Abel
qui l’avoit apperçu dans le bocage au pié du rocher
, s’approcha, 6c jettant fur lui des regards pleins
d’affedion, il dit avec cette douceur qui lui étoit
propre ; ah mon frere, puiffes-tu bientôt te réveiller
, pour que mon coeur gros de tendreffe, tepuiffe
exprimer fes fentimens, & que mes bras puiffent
t’embraffer ! Mais plutôt modérez-vous, delirs em-
preffés. Peut-être que fes membres fatigués ont encore
befoin des influences reftaurantes du fommeil.
Mais . . . comme le voilà étendu, défait. . . inquiet;
. . . . la fureur paroit peinte fur fon front. Eh pourquoi
le troublez-vous, fonges effray ans ? laiffez fon
ame tranquille; venez,images agréables,peintures
des douces occupations domeftiques 6c des tendres
embraffemens, venez dans fon coeur. Que tout ce
qu’il y a. de beau 6c de flatteur dans la nature, rem-
pliffe fon imagination de charmes 6c de délices; qu’elle
foit riante comme un jour de printems ! que la
joie foit peinte fur fon front, 6c qu’à fon réveil les
hymnes éclofentdefes levres. A ces mots, il fixa fon
frere avec des yeux animés d’un tendre amour 6c
d’une attente inquiété.
Tel qu’un lion redoutable dormant au pié d’un rocher
, glace parfa crinière hériffée le voyageur tremblant
, 6c l’oblige à prendre un détour pour paffer :
fi d’un vol rapide une fléché meurtrière vient à lui
percer le flanc, il fe leve foudain avec des rugiffe-
mens affreux, 6c cherche fon ennemi en écumant de
rage ; le premier objet qu’il rencontre, fert de pâture
à fa fureur ; il déchire un enfant innocent qui fe
joue avec des fleurs fur l’herbe. Ainfi fe leva Caïn les"
yeux étincelans de fureur. Maudite foit l’heure, s’écria
t-il, à laquelle ma mere, en me mettant au monde
, a donné la première preuve de fa trille fécondité.
Maudite foit la région où elle a fenti les premières
douleurs de l’enfantement. Périflë tout ce qui y
eft né. Que celui qui veut y femer, perde fes peines,
& qu’une terreur lubite faffe trelfaillir tous les os de
ceux qui y pafferont.
Telles étoient les imprécations du malheureux
Caïn, lorfqu’Abel pâle, comme on l’elt au bord du
tombeau, rifqua de s’avancer à pas chancelans. Mon
frere, lui dit-il d’une voix entrecoupée par l’effroi :
mais non. . . Dieu ! . . . je friffonne ! . . . un des fédi-
tieux reprouvrés que la foudre de l’Eternel a précipités
du ciel, a fans doute emprunté fa figure, fous
laquelle il blafphème ? Ah fuyons. Où es-tu, mon
frere, que je te bénilfe?
Le voici s’écria Caïn avec une voix de tonnerre ,
le voici ce favori du vengeur éternel 6c de la natur
e ; ah toute la rage de l’enfer elt dans mon coeur. Ne
pourrai-je ? . . Caïn, mon frere, dit Abel, en l’interrompant
avec une émotion dans la voix 6c une altération
dans le vifage , qui exprimoit tout-à-Ia-fois
fa furprife, fon inquiétude 6c fon affedion, quel
fonge affreux a troublé ton ame ? Je viens dès l’aurore
pour te chercher, pour t’embralfer, avec le jour
naiffant; mais quelle tempête intérieure t’agite ? Que
tu reçois mal mon tendre amour ! Quand viendront
hélas , les jours fortunés, les jours délicieux où là
paix 6c l’amitié fraternelle rétablies feront revivre
dans nos âmes le doux repos 6c les plaifirs rians, ces
jours après lefquels notre pere affligé 6c notre tendre
mere loupirent avec tant d’ardeur? O Caïn , tu ne
comptes donc pour rien ces plaifirs delà réconciliation
, à quoi tu feignis toi-même d’être fenfible, lorf-
que tout tranfporté de joie je volai dans tes bras ?
EU ce que je t’aurois offenfé depuis ? Dis-moi fi j ’ai
eu ce malheur; mais tu ne celfes pas de me lancer
des regards furieux. Je t’en conjure partout ce qu’il
y a de lacré, laiffe-toi calmer, fouffre mes innocentes
carelfes ! En difant ces derniers mots, il femit en devoir
d’embrafl'er les genoux de Caïn ; mais celui-ci
recula en-arriere ; . . . ah, ferpent, dit-il, tu veux
m’entortiller M . . & en même tems ayant faifi une
lourde malfue , qu’il éleva d’un bras furieux , il en
frappa violemment la tête d’Abel. L ’innocent tomba
à fes pies, le crâne fracaflé ; il tourna encore une
fois fes regards fur fon frere, le pardon peint dans
les yeux, 6c mourut ; fon l'ang coula le long des boucles
de fa blonde chevelure , aux piés même du
meurtrier.
A la vue de fon crime, Caïn épouvanté étoit d’une
pâleur mortelle ; une fueur froide couloit de fes
membres tremblans ; il fut témoin des dernieres con-
vulfions de fon frere expirant. La fumée de ce fang
qu’il venoit de verfer, monta jufqu’à lui. Maudit
coup ! s’écria-t-il, mon frere ! . . . reveille-toi. . . .
reveille-toi, mon frere ? Que fon vifage efl pâle !
Que fon oeil efl: fixe ! Comme fon fang inonde fa
. tête . . . Malheureux que je fuis . . . ' .Ah, qu’eft-ce
que je preflëns ! . . . Il jetta loin de lui là mafîiie
langlante. Puis fe baillant fur la malheureufe vidime
de fa rage, il voulut la relever de terre. Abel ! . . . .
mon frere . . . . crioit-il.au cadavre fans vie; Abel,
réveille-toi. . . . A h , l’horreur des enfers vient me
failir ! O mort....... c’en efl donc fait pour toujours,
mon crime efl fans remede. ( Le chevalier d e Jau-
c o u r T. )
Sacrifices du paganifme , ( Mythol. antiq. Lit. )
Théophrafte rapporte que les Egyptiens furent les
premiers qui offrirent à la divinité des prémices, non
d’encens & de parfums, bien moins encore d’animaux
, mais de fimples herbes , qui font les premières
produirions de la terre. Ces premiers facrifices
furent confumés par le feu , & de là viennent les .termes
grecs Svuv, $ùuci, âv'/xcLTtpiov, qui lignifient fa crifier
, &c. On brilla enfuite des parfums, qu’on ap-
pella àpas/juTu., du grec àpaopai, qui veut dire prier.
On ne vint à facrifier les animaux que lorfqu’ils eurent
fait quelque grand dégât des herbes ou des fruits
qu’on devoit offrir fur l’autel. Le même Théophrafte
ajoute qu’avant l’immolation des bêtes, outre les offrandes
des herbes 6c des fruits de la terre, les facri-
fices des libations étoient fort ordinaires, en verfant
fur les autels de l’eau, du miel, de l’huile , 6c du
vin, 6c ces facrifices s’appelloient Nephalia , Melitof
potida, Eloeofponda , Ænofponda,
Ovide allure que le nom même de victime marque
qu’on n’en egorgea qu’après qu’on eut remporté
des victoires fur les ennemis , 6c que celui d’hoftie
fait connoître que les hoftilités avoient précédé. En
effet, lorfque les hommes nevivoient encore que de
légumes , ils n’avoient garde d’immoler des bête$
S A C
dont la loi du facrifice vouloir qu’on mangeât quelque
partie.
Ante Deos homini quod conciliare valeret,
Fas erat, & puri lucida miéa fatis.
Pythagore s’éleva contre ce maffacre des bêtes ,
fc * pour les manger, ou les facrifier. Il prétehdoit
qu'il feroit tout au plus pardonnable d’avoir facrifié
le pourceau à Céres, '6c la chevre à Bacchus , à caufe
du ravage que ces animaux font dans les blés 6c dans
les vignes ; mais que les brebis innocentes , 6c les
boeufs utiles au labourage de la terre , ne peuvent
s’immoler fans une extrême dureté , quoique les
hommes tâchent inutilement de couvrir leur injufti-
ce du voile de l’honneur des dieux : Ovide embraffe
la même morale.
Nec fatis efl quod taie nef as committitur ipfos
Infcripfere deos fceleri ; numenquefupernum ,
Ccede laboriferi credunt gaudere juvenci.
Horace déclare auflî que la plus pure 6c la plus
Ample maniéré d’appaifer les dieux, efl de leur offrir
de la farine , du f e l , 6c quelques herbes odoriférantes.
Te nihil attinet
Tenture multd ccede bidentium ,
MoUibis averfos pénates ,
Farre pio, «S* faliente mica.
Lespayens avoient trois fortes de facrifices, de publies
, de domeftiques , 6c d’étrangers.
Les publics , dont nous décrirons les cérémonies
avec un peu d’étendue , fe faifoient aux dépens du
public pour le bien de l’état, pour remercier les
dieux de quelque faveur fignalée , ou les prier de
détourner les calamités qui menaçoient, ou qui af-
fligeoient un peuple , un pa ys, une ville. .
Les facrifices domeftiques le pratiquoient par ceux
d’une même famille, 6c à leurs dépens, dont ils char-
geoient fouvent leurs héritiers. Aufli Plaute fait dire
a un valet nommé Ergajile, dans fes captifs, qui
avoit trouvé une marmite pleine d’o r , que Jupiter
lui avoit envoyé tant de biens , fans être chargé de
faire aucun facrifice.
Sine facris hæreditatem fuam adeptus effertijfimam. -
« J’ai obtenu une bonne fucceflion, fans être obligé
» aux frais des facrifices de la maifon ».
Les facrifices étrangers étoient ceux qu’on faifoit
lorfqu’on tranfportoit à Rome les dieux tutélaires
des villes ou des provinces fubjuguées , avec leurs
myfteres & les cérémonies de leur culte religieux.
De plus , les facrifices s’offroienf encore ou pour
l’avantage des vivans, ou pour le bien des défunts ,
car la fête des morts eft ancienne, les Romains l’a-
voient avant les. catholiques ; elle fe célébroil .chez
eux au mois de Février, ainfi que Cicéron nous l’apprend
: Februario menfe, qui tune extremas anni men-
fis erat, mortuis parentari voluerant.
La matière des facrifices étoit comiqe nous l’avons
dit, des fruits de-laterre, ou des vidimes d’animaux,
dont on préfentoit quelquefois la .chair 6c les. entrailles
aux dieux quelquefois on fe contentoit de leur
offrir feulement l’ame des vidâmes, comme Virgile
fait faire à Entelius , qui immole un taureau à JEryx-,
pour la mort de Darès , donnant ame pour ame ,
Hanc tibi, Eryx, melioretn animant pro morte Daretis ,
Perfolvo.
Les facrifices étoient différens par rapport à la di-
verfité des dieux que les anciens ador,oient; - car il. y
en avoit auxdieux céleftes , . aux dieux des enfers ;
aux dieux marins , aux dieux dé l’air, & aux dieux
de la terre. On facrifioit aux premiers des vidimes
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blanches en nombre impair ; aux féconds des vid imes
noires , avec une libation de vin pur 6c de lait
chaud qu’on repandoit dans desfoffes avec le fang
des vidimes; aux troifiemes on immoloit des hoiries
noires 6c blanches fur le bord de la mer, jettant les
entrailles, dans les eaux, le plus loin que l’onpouvoit,
6c y ajoutant une effufion de vin.
cadentem in littore tqurum ,
Confiitutam ante aras voti reus, extaquefalfos
Porriciam in fiucius , 6* vina liquentia fundam.
On immoloit aux dieux de la terre des vidimes
blanches , 6c on leur élevoit des autels comme aux
dieux céleftes ; pour les dieux de l’air , on leur of-
froit feulement du v in , du miel, & de l’encens, ;
On faifoit le choix de la vidime, qui devoit être
faine 6c entière, fans aucune tache ni défaut ; par
exemple elle ne devoit point avoir la queue pointue
, ni la langue noire, ni Jes oreilles fendues, comme
le remarque Servius, fur ce vers du 6 d e l’E-
néïde.
Totidem leclas de more bidentesi
Ideft^ne habeant caudam aculeatam, nec linguam ni-
gram, nec aurem fiffam : 6c il falloit que les taureaux
n’euffent point été mis fous le joug.
Le choix de la vidime étant fa it , on lui doroit le
front & les cornes, principalement aux taureaux,
augéniffes, & aux vaches:
E t flatuam ante aras auratd fronte juvencum.
Macrobe rapporte au I. Uv. des faturnales, un
arrêt du fénat, par lequel il eft ordonné aux décemvirs
, dans la fplemnité des jeux apollinaires , d’immoler
à Apollon un boeuf doré, deux chevres blanches
dorees, 6c à Latone une vache dorée.
On leur ornoit encore la tête d’une infule de laine;
d’où pendoient deux rangs de chapelets, avec des
rubans tortilles , & fu r le milieu du corps une forte
d’étole affez large qui tomboit des deux côtés1; les
moindres vidimes etoient feulement ornées de chapeaux
de fleurs 6c de feftons , avec des bandelettes
ou guirlandes blanches.
Les yidimes ainfi parées, étoient amenées devant
l’autel, 6c cette adion s’exprimoit par ce mot grec
dyuv, «xàV, agere, ducere ; la vidime s’appelloitàgd-
nia, 6c ceux qui la conduifpient, agones.' Les petites
hofties ne fe menoient point par le lien , on les
conduifoitfeulement, les chaffant doucement devant
foi ; mais on menoit les grandes hofties avec un licou
, au lieu du facrifice ; il ne falloit pais que la victime
fe débattît, ou qu’elle ne voulût pas marcher,
car la réfiftance qu’elle faifoit étoit tenue à mauvais
augure , le facrifice devant être libre.
La vidime amenée devant l’autel, -étoit encore
examinée 6c confiderée fort attentivement , poujr
voir fi elle n’avoitpas quelque défaut, & cette adion
fe npmmoit probatio hojliamm , & expioratio. Après
cet examen le prêtre revêtu de fes habits -facerdo-
tau x, 6c accompagné des vidimaires * autres miniftres
des facrifices, s’étant lavé 6c purifié fiiivant
les cérémonies preferites, eommençoit le facrifice
par une confeflîon qu’il faifoit tout haut de fon indignité
, fe reconnoiffajitcoupable de plufieurs péchés,
dont il demandoit pardon aux dieux, efpérant que
fans y avoir égard, ils voudroient bien lui accorder
fes demandes.
.Cette confeflîon faite , le prêtre criojt àu public,'
hoc âge, foyez recueilli & attentif au facrifice ; aufli-
tôt une efpèce d’huiflier tenant en main une baguette
qu’on nommôit commentaculum , s’en alloit par le
temple , & en faifoit fortir tous ceux qui n’étoient
pas encore inftruits dans les myfteres de la religion
6c ceux qui étoient excommuniés, La coutume des