L’eflence -de ce monde, relativement au moteur
<lont il reçoit fon afiion, qui n’eft point matériel,
<jui eft un abftrait qui ne peut tomber fous le fens,
-qu’on ne peut s’imaginer , qui produit les mouve-
mens céleftes fans différence, fans altération, fans
relâche , eft quelque chofe d’analogue à ce moteur.
Toute fubftancc corporelle a une forme, fans la-
iquelle le corps ne peut ni être conçu ni être. Cette
iorme a une caufe ; cette caufe eft Dieu : c’eft par
«elle que les chofes font, fubliftent, durent : fa puif-
lance eft infinie, quoique ce qui en dépend foit fini.
Il y a donc eu création. Il y a priorité d’origine,
mais non de tems, entre le monde 6c la caufe efficiente
du monde. Au moment qu’on la conçoit, on
peut la concevoir, difant que tout foit, & tout étant.
Sa puilfence & fa fageffe, fi évidentes dans fon
oeuvre, ne nous laiffent aucun doute fur fa liberté,
fe prévoyance 6c les autres attributs : le poids de
l ’atome le plus petit lui eft. connu.
Les membres qu’il a donnés à l’animal, avec la
faculté d’en ufer, annoncent fe munificence 6c fa
«niféricorde.
L’être le plus parfait de cet univers n’ eft rien en
comparaifon de fon auteur. N’établilTons point de
rapports entre le créateur & la créature.
Le créateur eft un être fimple. Il n’y a en lui ni
privation ni défaut. Son exiftence eft néceflaire ;
c ’eft la fource de toutes les autres exiftences. Lui, lui ;
tout périt excepté lui.
Le Dieu des chofes eft le feul digne objet de notre
comtemplation. Tout ce qui nous environne,
nous ramene à cet être , 6c nous tranfporte du
monde .fenfible dans le monde intelligible.
Les fens n’ont de rapport qu’au corps; l’être qui
-eft en nous, & par lequel nous atteignons à l’exif-
tence de la caufe incorporelle, n’eft donc pas corps.
Tout corps fe diffout 6c fe corrompt; tout ce qui
fe corrompt 6c diffout, eft corps. L’ame incorporelle
eft donc indiffoluble, incorruptible, immortelle.
Les facultés intelligentes le font, ou en puiffance
ou en afiion.
Si une faculté intelligente conçoit un objet, elle
■ en jouit à fa maniéré; & fa jouiffance eft d’autant
plus exquife , que.l’objet eft plus parfait; 6c lorf-
qu’elle en eft privée, fa douleur eft d’autant plus
grande.
La fomme des facultés intelligentes, l’effence de
l ’homme ou l’ame , c’eft la même chofe.
ji -Si l’ame unie au corps n’a pas connu Dieu ; au
fortir du corps, elle n’en peut jouir : elle eft étrangère
au bonheur de pofféder ou à la douleur d’être
privée de la contemplation de l’être éternel ;
que devient-elle donc? Elle del’cend à l’état des
brutes. Si l’ame unie au corps a connu Dieu ; quand
elle en fera féparée ; devenue propre à la jouiffance
de cet aftre par l ’ufege qu’elle auroit fait de fes
fens 6c de fes facultés, lorfqu’elle les commandoit,
elle fera ou tourmentée éternellement par la privation
d’un bien infini qui lui eft familier, ou éternellement
heureufe par la poffefïïon : c’eft félon les
oeuvres de l’homme en ce monde.
La vie de la brute fe paffe à fatisfaire à fes befoins
& à fes appétits. La brute ne connoît point D ieu;
après fa mort elle ne fera ni tourmentée par le defir
•d’en jouir, ni heureufe par fa jouiffance.
L’incorruptibilité, la permanence, l’éclat, la durée
, la confiance du mouvement des aftres, nous portent
à croire qu’ils ont des âmes , ou effences capables
de s’élever à la connoiffanee de l’être néceflaire.
Entre les corps de ce monde corruptible , les uns
ont la raifon de leur effence dans certain nombre de
qualités furajoutées à la corporéité, 6c ce nombre eft
plus ou moins grand ; les autres dans une feule qualité
furajoutée à la corporéité, tels font les élémens.
Plus le nombre des qualités furajoutées à Ta corporéité
eft grand, plus le corps a d’afiion ; plus il a de
vie. Le corps confédéré fans aucune qualité furajoutée
à la corporéité, c ’efl: la matière nue ; elle eft
morte. Ainfi voici donc l’ordre des vies , la matière
morte, les élémens, les plantes, les animaux. Les
animaux ont plus d’afiions , 6c conféquemment vivent
plus qu’aucun autre être.
Entre les compofés, il y en a oh la coordination
des élémens eft fi égale, que la force ou qualité d’aucun
ne prédomine point lur la force ou qualité d’un
autre. La vie de ces compofés en eft d’autant meilleure
& plus parfaite.
L’efprit animal qui eft dans le coeur eft un compofé
de terre & d’eau très-fubtile ; il eft plus groffier que
l’air 6c le feu ; fe température eft très-égale ; faforme
eft celle qui convient à l’animal. C’eft un être moyen
qui n’a rien de contraire à aucun élément : de tout
ce qui exifte dans ce monde corruptible , rien n’eft
mieux difpofé à une vie parfaite. Sa nature eft analogue
à celle des corps céleftes.
L’homme eft donc un animal doué d’un efprit
d’une température égale 6c uniforme, femblable à
celle des corps céleftes, & fupérieure à celle des autres
animaux. Auffi eft-il deftiné à une autre fin. Son
ame eft fa portion la plus noble ; c’efl: par elle qu’il
connoît l’etre neceffaire. C ’eft quelque chofe de divin
, d’incorporel, d’inaltérable, d’incorruptible.
L’homme étant de la nature des corps celeftes, il
faut qu’il s’affimiie à eux, qu’il prenne leurs qualités,
6c qu’il imite leurs actions.
L’homme eft un de la nature de l’être néceflaire ,
il faut qu’il s’affimile à lui, qu’il prenne fes qualités,
6c qu’il imite fes afiions.
Il repréferite toute I’efpece animale par fa partie
abjecte. Il fubit dans ce monde corruptible le même
fort que les animaux. Il faut qu’il boive, qu’il mange
, qu’il's’accoupie.
La nature ne lui a pas donné un corps fens deffein ;
il faut qu’il le loigne 6c le conferve. Ce foin 6c cette
confervation exigent de lui certaines actions corref-
pondantes à celles des animaux.
" Les afiions de l’homme peuvent donc être confi*
dérées, ou comme imitatives de celles des brutes, ou
comme imitatives de celles des corps céleftes, oit
comme imitatives de celles de l’être éternel. Elles
font toutes egalement -néceffaires : les premières ,
parce qu’il a un corps ; les fécondés, parce qu’il
a un efprit animal; les troifiemes, parce qu’il a une
ame ou effence propre.
La jouiffance ou contemplation ininterrompue de
l’être néceflaire, eft la fouveraine félicité de l’homme.
Les afiions imitatives de la brute ou propres ait
corps, l’éloignent de ce bonheur; cependant elles ne
font pas à négliger ; elles concourent à l’entretien 6c
à la confervation de l’efprit animal.
Les a étions imitatives des corps céleftes ou propres
à l’efprit animal, l’approchent de la vilionbéatifique.
Les aftions imitatives de l’être néceflaire, ou pro--
près à l’ame ou à l’effence de l’homme, lui acquièrent
vraiment ce bonheur.
D’oh il s’enfuit qu’il ne faut vaquer aux premières,
qu’autant que le befoin ou la confervation de
l’efpnt animal l’exige. Il faut fe nourrir, il faut fe vêtir
; mais il y a des limites à ces foins.
Préférez entre ces alimens ceux qui vous diftrai-
ront le moins des afiions imitatives de l’être nécef-
faire. Mangez fe pulpe des fruits, 6c jettez-en les per
pins dans un endroit oh ils puiffent germer. Ne reprenez
des alimens qu’au moment oh la défaillance des
autres afiions vous en avertira.
Vous n’imiterez bien les afiions des corps céleftes,'
qu’après les avoir étudiés 6c connus.
Les
Les corps céleftes font lumineux, tranfparens ,
purs’, mus autour d’un centre ; ils ont de la chaleur;
ils obéiffent à l’être néceflaire ; ils s’en occupent.
En vous conformant à leur bontés vous ne bleffe-
rez ni les plantes, ni les animaux ; vous ne détruirez
rien fans néceffité ; vous entretiendrez tout dans fon
état d’intégrité: ; vous; vous attacherez à écarter de
vous toute feuillure extérieure. Vous tournerez fur
vous-même, d’un mouvement-circulaire 6c rapide ;
vous pourfüivrez ce mouvement jufqu’à ce que le
faint vertige vous, feififfe : vous vous eleverez par la
contemplation au-deffus des chofes de la terre.. Vous,
vous l'éparerez de vos fens ; vous fermerez vos yeux
6c vos oreilles aux objets extérieurs ; vous enchaînerez
votre imagination ; vous tenterez tout pour vous
aliéner 6c vous unir à l’être néceflaire. Le mouvement
fur vous-même , en vous étourdiffant, vous facilitera
beaucoup cette pratique. Tournez donc fur
vous-même, étourdiffez-vous, procurez-vous le feint
vertige,. ■
Le feint vertige fufpendra toutes les fonfiions du
corps 6c de l’efprit animal, vous réduira à votre ef-
fence, vous fera toucher à l’être éternel, vous aflimi-
lerà à lui.
Dans l’aflimilation à l’être divin, il faut eonfidérer
fes attributs. 11 y en a de pofitifs ; il y en a de négatifs.
Lés pofitifs conftituent fon effence; les privatifs fa
perfefiion.
Vos afiions feront imitatives de celles de l’être né-
ceffaire , fi vous travaillez à acquérir les premiers ,
6c à éloigner de. vous toutes les qualités dont les féconds
fuppofent la privation.
Occupez-vous à féparer de vous toutes les qualités
furajoutées à la corporéité. Enfoncez-vous dans
une caverne, demeurez-y en repos, la tête penchée,
les yeux fixés en terre ; perdez , s’il fe peut, tout
mouvement, tout fentiment ; ne penfez point, ne
réfléchiffez point, n’imaginez point ; jeûnez , con-
duifez par degrés toute votre exiftence, jufqu’à l’état
fimple de votre-effence ou de votre ame ; alors un,
confiant, pur , permanent, vous entendrez la voix
de l’être néeeffair-e ; il s’intimera à vous ; vous le faifi-
rez ; il vous parlera, 6c yous jouirez d’un bonheur
que celui qui ne l’a point éprouvé n’a jamais conçu,
& ne concevra jamais.
C’eft alors que vous eonnoîtrez que votre effence
différé peu de l’effence divine ;; que vous fubfiftez ou
qu’il y a quelque chofe en vous qui fubfifte par foi-
même , puil'que tout eft détruit, 6c que ce quelque
chofe refte & agit; qu’il n’y a qu’une effence, 6c que
cette effence eft gpmfhe la lumier-e de-notre monde,
une & commune à tous les êtres éclairés.
Celui qui a là connoiffanee de cette effence, a auffi
cette effence. C’eft en lui la particule de contafi avec
Feflence univerfel'le.
La multitude, le nombre, la divifibilité, la colle-
fiion, font des attributs d#la-corporéité.
H n’y a rien de cela dans l’effence fimple.
La iphere fùprème, au-delà de laquelle il n’y a
point de corps , a une effence propre. Cette effence
eft incorporelle. Ce n’-eft point la même que celle de
Dieu. Ce n’eft point non plus quelque chofe- qui en
différé ; l’une eft- à l’autre comme le foleil eft à fon
image repréfentée dans une glace.
Chaque -Iphere -célefte a fon effence immatérielle,
qui n’eft point ni la même que l’effence divine, ni là
même que l’ effence d’une autre fpnere, 6c qui n’en
eft cependant pas -différente.
Il y a différens ordres d’ effences.
Il y a des eftcnces pures ; il y -en a de libres ; il y
•'en a d’enchaînées à des corps ; il y en a de fouilléés ;
il y en a d’heureufes ; il y en a de malheureufes.
-Lés -efiè-noes-div-ines les âmes héroïques font li-
Torne XIV.
bres. Si elles, font unies ou liées à quelque chofe ,
c’eft à Feffence éternelle 6c divine, leur principe,
leur caufe, leur perfefiion , leur incorruptibilité ,
leur éternité, toute leur perfefiion.
Elles n’ont point de corps & n’én ont pas befoin. !
Le monde fenfible eft comme Fombre du monde
divin ^quoique celui-ci n’ait nulle dépendance, nul
befoin du premier, il feroit abfurde de fuppofer l’un
exiftant, 6c l’autre non exiftant.
Il y a corruption, viciffitude , génération , changement
dans le monde fenfiblê ; mais rien ne s’y refont
en privation abfolue.
Plus on s’exercera à la vifion intuitive de l’effence
première, plus on l’acquerra facilement. Il en eft du
voyage du monde fenfible dans le monde divin, comme
de tout autre.
Cette vifion ne fera parfaite qu’après la mort. L’ame
ou-l’effence de l’homme fera libre alors de toiis
les obftacles du corps.
Toute cette feienee myftique eft contenue dans le
livre du feint prophète; je ne fuis que l’interprete. Je
n’invente aucune vérité nouvelle. La raifon étoit
avant moi ; la tradition étoit avant moi ; Faleoran
étoit avant moi. Je rapproche ces trois foucces de lumière.
Pourquoi le feint prophète ne l’a-t-il pas fait lui—
meme? c’eft un châtiment qu’il a tiré de l’opiniâtreté ,
de ladefobéiffance 6c de i’imbéciilité de ceux qui l ’é-
coutoient. Il alaiffé à leurs defeendans le foin de s’élever
par eux-mêmes à la connoiffanee de Funité vraie.
L’imitateur du faint prophète, qui travaillera comme
lui à éclairer fes femblables, trouvera lès mêmes
hommes, les mêmes obftacles, les mêmes paffions,
les mêmes jaloufies, les mêmes inimitiés, & il exercera
la même vengeance. Il fe taira ; il fe contentera
de leur preferire les principes de cette v ie , afin qu’ils
s’abftiennent de l’offenfer.
Peu font deftinés à la félicité de la vie ; les feuls
vrais croyans l’obtiendront.
Quand on voit un derviche tourner fur lui-même
jufqu’à tomber à terre, fans connoiffanee, fens fentiment;
y vre , abruti, étourdi, prefqué dans un état de
mort, qui croiroit qu’il a été conduit à cette pratique
extravagante par un enchaînement incroyable de
conféquences déliées, & de vérités très-fublimes?
Qui croiroit que celui qui eft affis immobile au
fond d’une caverne , les coudes appuyés fur fes genoux
, la tête penchée fur fes mains, lés yeux'fixé-
ment attachés au bout de fon nez, où il attend des
-journées ent-ieres l’apparition béatifique de la flamme
bleue , eft un auffi grand philofophe que celui qui le
regarde comme un fou , & qui fe promene tout fier
d’avoir découvert qu’on voit tout en Dieu ?
Mais après avoir expofé les principaux axiomes
de la philofophie naturelle des Arabes & des Sarra-
Jîns, nous • allons paffer à leur philofophie morale.
Après avoir remarqué que c’eft vraisemblablement
par une fuite de ces idées que- les mufulmans révèrent
lès. idiots : ils les regardent fans doute comme
des hommes étourdis de naiffance, qui font naturellement
dans l’état de vertige , 6c dont la ftupidité
innéefufpendant toutes les fonfiions animales 6c vitales
; l’effence de leur être eft fans habitude, fans
exercice ; mais par-une faveur particulière du ciel ,
intimement unie à l’effence éternelle.
Mahomet ramena les idolâtres à la connoiffanee de
l’unité de Dieu, il afiiira les fondemens de la feienee
morale , la diftinfiion du jufte 6c de l’injufte ,-1’im-
! mortalité de Famé, les recontpenfes & les chatimens
à venir ; il preffentit aue là paffion des femmes étoit
trop naturelle, trop générale & trop violente, -pour
tenter avec quelque fuccès àla refrener; il aima mieux
y conformer fe légiflation , que d’en multiplier à Fin-
fini lesïnfrafiions , en-oppolant fon autorité-à l’im-
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