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d’Alexandre. « Je ne t’ai pas pris à ma folde , lui dit-
» il en le frappant de fa javeline, pour parler mal de
» ce prince, mais pour combattn; contre lui ». Voilà
une belle nuixime : elle n’étoit guere pratiquée du
tems de François I. 6c de Louis XIV. & je ne fai fi
on la pratique mieux au tems préfent.
Freinshemius obferve qu’au fiége d’Halicarnaffe,
Memnon s’oppofa vigoUreufement à quelques grecs
fugitifs remplis de haine pour le nom macédonien ,
qui ne vouloient pas qu’on permît à Alexandre d’en-
terrer fes morts; quoi qu’en le lui permettant, on fe
pût glorifier de la vidoire. Memnon n’écouta point
la paifion de ces fugitifs ; il accorda la fufpenfion d’armes
, 6c les cadavres que demandoit le roi de Macédoine.
La veuve de Memnon fut la première femme qu’aima
ce jeune prince après fes viftoires. Elle s’appel-
loit Rarfene, 6c étoit petite fille d’un roi de Perfe :
-elle fut prife en même tems que la mere , la femme ,
6c les filles de Darius. Elle favoit 6c parloit à ravir
le grec ; fa douceur, fon caraélere, fes grâces , & fa
beauté, triomphèrent d’Alexandre. Il en eut un fils,
combla la mere de biens, &: maria très-avantageufe-
ment fes deux feeurs, l’une à Eumenes, 6c l’autre à
Ptolomée : Alexandre étoit fait pour conquérir tout
le monde.
On peut joindre à Memnon, TimofUiene le rhodicn ;
il floriffoit vers la cent vingt-fixieme olympiade, fous
le régné de Ptolomée Philadelphe , qui le fit général
de les armées de mer. C’étoit de plus .un homme curieux,
6c quijoignoit aux lumières de faprofeffion,
toutes celles de la Géographie. Il avoit écrit un livre
intitulé les porcs dt mer, 6c un autre fous le titre de
ûadiafme, qui marquoit les diftanees des lieux dans
une très-grande étendue de pays. Ces ouvrages n’e-
xiftent plus; mais on fait qu’Eratofthène & Pline en
ont beaucoup profite. '
Clitophon né à Rhodes, décrivit aufli la Géographie
de plufieurs pays ; entre autres celle d’Italie 6c
des Gaules ; ouvrages qui fe font perdus, 6c qui fe-
roient pour nous fort intérefians. Il avoit aufli mis
au jour la dsfeription des Indes, dont Plutarque &
Stobée ont fait mention.
Dio°ncte de Rhodes, rèndit par fon génie de fi
grands fèrvices à fa patrie, qu’il obligea Démétrius
Poliorcfetes d’en lever le fiége la première année dé
la cent dix-neuvieme olympiade, & 304 ans avant
Jefus-Chrift. Les Rhodiens comblèrent d’honneurs
Diognete, 6c lui afîignerent comme à leur libérateur
une penfion très-confidérable.
Hipparqut mathématicien, 6c grand aftronome,
étoit encore de Rhodes, félon Ptolomée, 6c floriffoit
fous les régnés de Philométor 6c d’Evergete rois d’Egypte
, depuis la cent quarante-troifieme olympiade
, jufqu’a la cent cinquante-troifieme, c’eft-à-dire,
depuis l’an 168 avant Jefus-Chrift, jufques à l’an 119.
Pline parle d’Hipparque avec de grands éloges. Il
laifla plufieurs obfervations fur les aftres , 6c un commentaire
fur Aratus, que nous avons encore.
Antagoras , poète de Rhodes, vivoit fous la cent
vingt-fixieme olympiade ; Antigonus Gonatas, roi
de Macédoine, le combla de faveurs, 6c fe l’attacha
par fes bienfaits. Il ne nous refte de fes ouvrages
qu’une épigramme contre Crantor ; le tems nous a
ravi fon grand poème, intitulé la Thébàide.
Enfin Sojicrate , dont les écrits cités par les anciens
, ont péri par l ’outrage des tems, étoit aufli natif
de Rhodes ; tout prouve en un mot, que cette
ville a fourmillé d’hommes illuftres en tout genre.
(Le Chevalier DE J AU COU RT.')
RHODES colojje d e, ( Ar t Jlatuaire anc. ) ouvrage
admirable de l’art, que l’on a placé au rang des
merveilles du monde. Je ne puis rien faire de mieux
pour en parler feiemment, que de tranferire ici la
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defeription de Pline, c. vij. p. 1 oS. 6c d’y joindre lé
commentaire de M. le comte de Caylus, inféré dans
les’ mémoires de Littérature, tome X X V . in-40. Voici
le texte de Pline.
« Le plus admirable de tous les coloffes, eft celui
» du foleil, que l’on voit à Rhodes, 6c qui fut l’ou-
» vrage de Charès de Linde, éleVe de Lyfippe. Ce
» coloffe avoit foixante-dix coudées ( environ io ÿ
» piés) de hauteur. Un tremblement de terre le ren-
» verfa après qu’il eut été einquante-fix ans en place;
» & quoique renverfé, c’eftune chofe prodigieufe à
» voir. Il y a très-peu d’hommes qui piiiflènt em*-
» braffer fon pouce ; fes doigts font plus grands que
» la plupart des ftatues ; fes membres épars paroif-
» fent de vaftes cavernes, dans lefquelles on voit les
» pierres prodigieufes que l’ojn avoit placées dans
» l’intérieur du coloffe , pour le rendre plus ferme
» dans fa pofition. Charès avoit été douze ans à le
» faire , 6c il coûta trois cens talens (un million qua-
» trecens dix mille livres) que les Rhodiens avoient
» retirés de tous les équipages de guerre, que le roi
» Démétrius avoit laines devant leur ville , ennuyé
» d’en continuer le fiége ».
Solis coloJJ'us.Rhodi. Rhodes étoit avec raifon adonnée
au culte du foleil : après avoir été inondée par
un déluge, elle croyoit devoir le deflechement de fa
terre aux rayons du foleil.
Qjiem fecerat Charès , Lindius. Linde étoit une des
principales villes de l’île de Rhodes ; elle fut la patrie
de Charès, que quelques auteurs ont nommé
Lâchés. Meurfius concilie cette différence, en difant
que Charès étant mort avant que d’avoir achevé le
coloffe, Lâchés l’acheva. Suivant Sextus Empiricus,
Charès s’étoit trompé, 6c n’avoit demande que la
moitié de la fomme néceflaire ; 6c quand l’argent
qu’il avoit reçu fe trouva employé au milieu de l’ouvrage
; il s’étoit donné la mort.
Septitaginta cubitorum altitudinis fuit. La plûpart
des auteurs donnent avec Pline , foixante-dix coudées
de hauteur à ce coloffe ; quelques autres lui ont
donné jufqu’à quatre-vingt coudées ; Hygin veut
qu’il n’ait eû que quatre-vingt-dix piés. Nous avons;
dit M. de Caylus ,' un moyen bien fimple de vérifier
ce calcul, par lamefure d’une partie qui nous eft indiquée
par le texte; ce moyen eft toujours plus certain
que les chiffres, dont l’incorreétion n’eft que
trop connue dans les manuferits : de plus, l’exemple
dePythagore, pour retrouver les proportions d’Her-
cille , eft fi bon, qu’on ne fauroit trop le fiiivre.
Les proportions des figures font variées félon les
âges & les occupations de l’homme : la feule com-
paraifon d’un Hercule à un Apollon, fuffira pour
convaincre de cette variété. Ainfi l’on conviendra
fans peine, que les membres d’un homme de trente-
cinq à quarante ans qui a fatigué, different en grof-
feur de ceux d’un jeune homme de vingt-quatre à
vingt-cinq ans, délicat 6c repofé. On pourroit donc
s’égarer dans les différentes proportions , ou du-
moins laiffer du fôupçon fur la précifion du calcul
qu’on va préfenter; mais on marche ici avec sûreté.
Nous favons que ce coloffe repréfentoit le foleil,
6c nous connoiffons les Grecs pour avoir été fort
exaéts à conferver les proportions convenables aux
âges 6c aux états; nous voyons qu’ils les ont toujours
tirées du plus beau choix de la nature. Ce fera donc
fur l’Apollon du V atican, une des plus belles figures
de l’antiquité, qu’on va comparer toutes les mefures
données par la groffeur du pouce. Pline nous en
parle comme pouvant à peine être embraflê par un
homme : ce qu’il ajoute immédiatement après, que
fes doigts font plus grands que la plûpart des ftatues,
prouve qu’il entend le pouce de la main , dont les
doigts plus alongés ont plus de rapport à l ’idée? gé-
péralq
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jiéraîe des ftatues. C’eft donc fur le pouce de la màift
qu’il faut établir toutes les mefures.
Le pouce a deux diamètres principaux 6c différens
entre eux : l’Apollon ayant fept têtes , trois parties,
neuf minutes, 6c de notre pié de roifix piés cinq pouces
; il réfulte que le plus petit de ces deux diamètres
nous donne quatre-vingt dix-fept piés cinq
pouces f| 7 , 6c le plus grand, cent douze piés dix
pouces.
Nous voyons p.ar-là que Pline nous a confervé la
mefure du plus grand diamètre, 6c que fon calcul de
cent cinq piés ou environ eft jufte , d’autant que s’il
y avoit peu d’hommes qui puffent embraffer ce pouc
e , il y en a peu auftVde, la grandeur de l’Apollon,
qui fert ici de réglé , pour donner des mefures dont
on ne préfente ici que le réfultat, fans même vouloir
entrer dans le détail du pié romain, que l’on fait
être d’un peu plus d’un pouce plus court que le
nôtre.
Pofi 5€. annum terra mont pr.ojlratum; c’eft le fen-
timent commun. Scaliger prétend prouver , contre
Pline, par un calcul chronologique, qu’il faut compter
66 ans. Ce qu’il y a de plus.certain, c’eft que le
tremblement de terre qui le fenverfa eft arrive dans,
la 13 9e. olympiade , félon la chronique d’Eufebe *;r,
celle d’Alexandrie le place cependant dans la 1.3.8.
Sed jacens quoque nùraculo' efl. Selon Strabon y il.
s’étoit rompu vers les genoux. Euftathe afait mention
de cette circonftance, 6c quelques auteurs modernes,
l’ont copié. Lucien dans fon hiftoire fabuleufe ; qu’il*
appelle véritable, fuppofe des hommes grands comme
la moitié fupérieure du ,coloffe. Cette moitié'étoit
donc à terre ; il étoit donc aifé de. la mefurer..aufli--
bien que le pouce qu’on ne pouvoit embraffer. .Delà
il eft naturel de conclure, que fi ce coloffe avoit
été placé à l’entrée du port 6c les. jambes, écartées *
cette moitié rompue leroit tombée dans la mer.
Speclantur intus magna inolis fa x a . Philon 6c Plutarque
difent la même chofe; ce dernier en faitunei
belle application, aux princes qui refTemblent au-
coloffe, fpécieux par le dehors, plein de terre , de-
pierre , 6c de plomb, au-dedans.
Duodecim annis ejjéclum 300 lalentis, qua contule-
rant ex apparatu regis .Démitrit. Tout le mondeAeft
d’accord fur ces trois articles ; on différé fur le tems
où l’on commença à y travailler : lapins commune
opinion, eft , qu’il, fut fini l’an 278 avant J. C. après-
12 ans de travail, 6c qu’il fut renverfé 5 6 ans après,
l’an 222.
M. de Caylus examine ici ce qu’il.à pu raflemblef'.
fur la vérité 6c l’erreur de cette pofition. Par ce qui
a été dit à l’occafion de la chûte du coloffe, on voit
qu’il n’étoit point placé fur la mer, & que les jambes
écartées qu’on lui donne, font une fuite de l’opinion
qu’il étoit placé à l’entrée du port. Plutarque ,
dans l’endroit cité plus haut, dit que les plus mauvais
fculpteurs, pour en impofer'davantage , repréfen-
toient les coloffes avec les jambes les plus écartées
qu’ils pouvoient ; argument indireél contre l’écartement
des jambes de celui de Rhodes, dont affurément
il faifoit autant d’eftime que les anciens Grecs. La
traduction du prétendu manufcrit.grec fur le colojje
de Rhodes, cite par M. du Choul, fait pofer le coloffe
fur une bafe triangulaire, fans doute par rapport à la
figure de l’île, que Pline, à caufe de cette prétendue
figure , appelle Trinacria, dans la lifte de fes autres
noms.
Quoique ce prétendu manuferit grec ne mérite
guere de croyance, parce qu’il ajoute aux narrations,
connues, mettant une épee 6c une lance dans les
mains du coloffe, avec un miroir pendu à fon cou,
(outre d’autres circonftances fabuieufes) ; cependant
cette bafe triangulaire pour les deux piés du co-
loffe, eft digne de remarque.
Tome X IV .
R H O *57
Colomiés, qui cite dette traduElion comme un
fragment de Philon, ne prend pas garde qu’elle finit
par l’enlevement des débris, ce qui démontre que fi
l’auteur a exifté, ce ne peut être 'qu’à la fin du vij.
fiecle. Philon de Byzance écrivoit à-peu-près du
tems que le coloffe etoit encore fur pié, puifqu’il né
parle point de fa chûte ; on le croit un peu pofté**
rieur à Archimede. On ne fait fi c’eft lui dont parle
Vitruve, ou, celui dont l’ouvrage grec a été imprimé
au Louvre; car il y a un très-grand nombre de
Philons, poètes , hiftoriens 6c mathématiciens, &c.
Celui qui nous a lailfé un petit traité fur les fept merveilles
, ne parle que d’une bafe , 6c la dit de marbre
blanc ; la grande idée qu’il en donne, convient au
monument qu’elle portoit; mais ce qui nous importe,
c’eft qu’il ne fait mention que d’une, 6c dans la fup-
pofition moderne, il en auroit fallu deux pour laiffer
le paffage aux vaifleaiix.
Il eft àffez étonnant que dans.ces derniers tems oii
ait imaginé le coloflè placé à l’entrée du port, aveo
les jambes écartées ; on ne le trouve décrit dans cette
pofition dans aucun auteur, ni repréfenté dans aucun
monument ancien : ce ne peut être que quelque1
vieille peinture fur verre, ou quelque deffein d’ima-'
gination, qui ait été la première fource de cette
erreur. Vigenere eft peut-être le premier quife foit
avifé de l’écrire : il a été fuivi de Bergier de Chevreau,
qui, tout homme de lettres qu’il eft, ajoute
pourtant que ce coloffe tenoit un fanal à la main ; de-
M. Rollin, 6c de là plupart de nos diétionnaires, &c*
Daper ne dit pas un mot de cette pofition. De quelque
façon que ce coloffé ait été placé , voici- les .réflexions
de M. le comte de'Caylus fur les' moyens
dont il a .pu. être exécuté; -
- 3’avois'toujours imaginé, dit-il , que des corps
d’une étendueq>areille à ces coloffes, ne pouvoient
être jettés d’un feul jet. Tout a des bornes dans la na*
ture, & 'la chaleur ne peut fe conferver à .une aufli
grande diftance du fourneau dont elle part , pour
porter la matière à un degré convenable de chaleur,
à des parties aufli éloignées : il ne faut pas 'douter
ué lés anciens qui ont apporté une fi grande fagacité
ans la pratique , n’aient connu le moyen dé réunir
la fonte chaude à la froide ■, ainfi qu’on l’â vu pratiquer
par Varin ; celfiit ainfi qu’il répara la ftatue
équeftre.du roi, exécutée par Lemoine pour la ville
de Bordeaux. Toute la moitié fupérieure du cheval
avoit manqué horifontalement à la première fonte ,
6c elle fut réparée à la fécondé.
Sans entrer dans le détail d’une opération , qui ne
convient point ici, il eft poflible que ce moyen , qui
ôtoit l’apparence de toutes les foudures 6c de toutes
les liaifons, ait été pratiqué anciennement. A la vérité
cette pratique ne peut avoir été fuivie que pour
les figures plus petites, 6c plus fous l ’oeil que celle-
dont il s’agit ; il eft d’autant plus probable que les an-'
ciens ont connu les pratiques les plus délicates 6c les
mieux entendues de cet art, qu’on a vu plus d’un-
bronze antique fi bien jetté , qu’il n’avoit jamais eu
befoin d’être réparé ; Bouchardon confirme cette'
opinion.
Quoi qu’il en foit, on n’avoit certainement pas
employé pour le colojje de Rhodes des recherches 8c
des foins , que fa prodigieufe étenduë rendoit inutiles.
Il eft donc à préfumer qu’il a été jetté en tonnes,*
c’eft-à-dire, par parties qui fe raccordoicnt, 6c fe
plaçoient les unes fur les autres. Pline ne le dit pas,
mais il en fournit une preuve convaincante, en parlant
du coloffe renverfé; il compare le creux des membres
épars à de vaftes cavernes, dans lefquelles on
voyoit des pierres prodigieufes , &c. Il eft confiant
que ces pierres n’ont pu erre placées qu’après coup ;
donc les morceux de la fonte ont été rapportés , 6c
rejoints en place ; car ces pierres néceffaires à lafoli