du nombre des poffibles, il faut faire attention tant
aux chofes qui coexiftent enfemble dans cet univers,
qu’à celles qui s’y fuccedent les unes aux autres. Il
faut de plus remarquer que l’univers efl compofé de
grands corps qu’on peutappeller totaux, & de moindres
que nous nommerons partiaux. Le nombre des
grands corps de l’univers affez limité tant qu’on n’a
pu lçs obferver qu’à la fimple vue, s’eft prodigieufe-
ment augmenté depuis l’invention des télefcopes. M.
Wolf a fait ià-deffus un calcul fort propre à donner
l’idée de l’immenlité des corps céleffes. Voici fur
quoi il le fonde. Le p. Riccioli donne à la conftella-
tion d’Orion près de cinq cens degrés en quarré d’ef-
pace dans le ciel. Or Galilée a obfervé cinq cens étoiles
dans un efpacc de quatre degrés ; ainfi fur le môme
pié on pourra fuppofer dans Orion entier 61500 étoiles.
La circonférence du cercle eft de 360 degrés, &
ion diamètre de 115: ce qui donne,fuivant les théorèmes
d’Achimede, pour la furface entière de la fphere,
41400 degrés en quarré. En prenant donc pour hy-
pothefe que la furface delà fphere du monde eft également
remplie d’ctoiles, le nombre des fixes iroit à
5175000 ; & quoique l’arrangement des fyftèmes
planétaires autour des fixes ne loit pas le même, on
peut pourtant fuppofer que chaque étoile fixe placée
comme foleil au centre, peuteclairer & échauffer
quinze planètes : ce qui fera monter le nombre des
corpstotaux du monde à 77625000. Il n’y a rien dans
les l'uppofitions précédentes qui ne foit admiiïible. Si
au télefcope divers efpaces paroiffent moins remplis
que les quatre degrés d’Orion fur lefquels on a calculé.,
il y en a d’autres où ces étoiles fourmillent en
beaucoup plus grande abondance , comme la voie
laéfée & les étoiles nébuleufes. Si du nombre des
grands corps du monde nous paifons aux dimenfions
de l’efpace qu’ils doivent occuper, la fomine en fera
bien plus prodigieufe encore. Suivant les obferva-
tions de M. Caflini, la diftance moyenne de la terre
au foleil efl: de 22000 demi-diametres terreflres, ou
de 18920000 milles d’Allemagne. Cette diftance
étant à celle de Saturne comme 2 à 19, cela donne
179740000 milles de plus à caufe de la proportion
du diamètre de la terre qui efl de 1720 milles d’Allemagne
au diamètre de l’anneau de Saturne, laquelle
proportion efl comme 1 à 45.Le diamètre de cet anneau
efl de 77400 milles d’Allemagne : ce qui donne,
fuivant les calculs de Caflini, pour diftance du dernier
fatellite au centre de Saturne, 81 2700 milles
d’Allemagne. En ajoutant .cette diftance à celle de
Saturne aufoleil, vous avez le demi-diametre dufyf-
tème planétaire auquel la terre appartient, lequel
étant doublé , il en réfulte le diamètre entier de
36115400 milles. Cela iroit encore beaucoup plus
loin, fi l’on reçoit la détermination de la parallaxe
du foleil, telle qu’elle a été donnée par M. delà Hire.
Il eftinconteftable que Saturne eft féparé par un fort
grand efpace des étoiles fixes de la première grandeur
; & quoique les fyftèmes planétaires puiffent
différer entr’eux par rapport à l’étendue, il n'y a
pourtant point d’inconvéniens à les fuppofér égaux.
En multipliant donc le cube du diamètre du lÿftème
planétaire , par le nombre des étoiles fixes ci-deffus
indiqué, le nombre qui en provient, exprime le cube
du diamètre de la fphère qui comprend tous les
fyftèmes que nous pouvons découvrir probablement
par lavoiedestélelcopes ordinaires. Mais pour diminuer
les difficultés de cette multiplication, en reffer-
rant les nombres, prenons le diamètre du fyftème
planétaire en diamètres terreflres qui, fuivant les
hypothefes précédentes, feront 209904, leur cube
qui fait 92483305005195264 multiplié par 5175 000,
donne pour cube du diamètre qui égale toute l’étendue
de la fphere obfervable,4786oi 103401885491-
200000 diamètres terreflres , dont chacun eft de
5088448000 milles cubiques. Quelle ne doit donc
pas être l’étendue de l’intelligence divine, qui comprend
l’univers formé de l’affemblage immenfe de
tous ces fyftemes? Mais que fera-ce , fi nous y joignons
l’idée da tous les mondes poffibles, de toutes
les combinaifons qui peuvent réfulter des chofes qui
entrent dans la compofition de l’univers & de tant
d’autres chofes que la puifl'ance divine pourroit effectuer
? Ici fe préfentent des abymes impénétrables
pour nous : ici ceffent tous les calculs. Que fi de l’ordre
phyfique on paffe à l’ordre moral , & qu’on
veuille examiner toutes les chofes poffibles que Dieu
voit clairement, le philofophe, ainfi que le chrétien
n’eft-ilpas obligé de s’écrier plein d’admiration & de
refpeft : domine., quisfimilis tibi ?
On eft encore plus effrayé fi l’on paffe à la confi-
dération de ce qu’emporte la repréfentation diftinfte
de tous les poffibles dans l’entendement divin. Reprenons
encore pour un moment la voie du calcul.
On peut comparer l’étendue des entendemens aux
grandeurs des efpaces, & fuivant cette idée, un entendement
qui faifiroit diftinûement toute notre terre
, feroit à celui qui comprendrait avec la même
diftinftion le fyfteme planétaire entier , comme 1 à
92483305005195264. Mais quelle fera la proportion
de l’entendement humain à celui qui comprendrait
diftin&ementle globe terreftre? Pour en juger,
prenons l’oeil, le plus propre de nos organes aux
perceptions diftincîes. Un bon oeil quin’eft ni miope,
ni presbyte, voit diftinftement ce qui eft compris
dans l’efpace de huit pouces. L’optique enfeigne que
ce q\ie l’oeil faifit d’un feul coup , eft compris dans la
circonférence d’un angle droit, & que le diamètre
d’un objet vu fous cet angle droit, eft double de la
diftance. En égalant donc la force vifuelle à la force
perceptive, on aura pour mefure de l’étendue de
l’entendement humain, le cube d’un diamètre de fei-
ze pouces, c’eft-à-dire , 4096 pouces cubiques. Le
diamètre de la terre mefuré par M. Caflini, a été
trouvé de 39391077 piés ou 472692924 pouces.
Ainfi le diamètre de la fphere qui mefure la capacité
del’entendementhumain,fera comme 1 à 2.9543308,
& par conféquent l’entendement humain eft à celui
qui faifit diftinûement la terre entière d’un coup
d’oe il, comme 1 à 257856074311206674112. L’entendement
de ce dernier à celui qui comprend tout
le fyfteme, eft en raifon fous-millionieme : donc &
pour derniere conclufion, l’entendement humain eft
par rapport à celui qui comprend tout lefyfteme planétaire
70;0>000000000000000000000006. ttooo __—_.
Nous ne poufferons pas plus loin ces obfervations.
Ce ne font là que les bords de l’intelligence divine;
qui pourroit en fonder la profondeur? Cet article eß
tiré des papiers de M. Formey, hifioriographe & fecré-
taire de L'académie royale de P ruße.
La fcience de vifion eft celle par laquelle Dieu voit
tout ce qui a exifté, exifte ou exiftera dans le tems :
ce qui emporte la connoiffance de toutes les penfées
& de toutes les aérions des hommes, préfentes, paf-
fées & à venir, auflibien que du cours de la nature,
& des mouvemens qui font arrivés, qui arrivent ou
qui arriveront dans l’univers : tout cela connu dans
la derrière précifion, & toujours préfent aux yeux
de Dieu. On peut juger par ce qu’on vient de lire fur
la fcience de fimple intelligence, de ce que c’eft que
l’entendement humain le plus éclairé fur le préfent
& le pafle ; car pour l’avenir il eft impénétrable à fes
yeux, & Dieu feul s’en eft réfervé la connoiffance
qu’il communique aux hommes, quand il lui plait.
On demande dans les écoles fi cette fcience de vifion
eft la caufe des chofes qui arrivent, & quelques
théologiens tiennent pour l’affirmative ; mais iis confondent
la fcience de E?ieu avec fa volonté. Le plus
grand nombre reconnoitque la fcience divine eft feulement
caufe dire clive, mais non pas efficiente, des
chofes qui arrivent ou qui doiventarriver, parce que
félon l’axiome reçu, les chofes ne font pas futures ,
parce que Dieu les prévoit, mais Dieu les prévoit,
parce qu’elles font futures.
Mais comme les chofes futures font ou futures ab-
folument, ou futures conditionnellement, & qu’entre
ces dernieres il en eft qui arriveront certainement
, parce que la condition dont elles dépendent,
fera polée, & d’autres qui n’arriveront pas, parce
que la condition dont elles dépendent, ne fera pas
pofée : quelques théologiens Ont diftingué en Dieu
une troilieme efpe.ee de fcience qu’ils nomment la
fcience des conditionnels, feientia conditionatorum.
Us définiffent cette fcience des conditionnels, la con-
noiflance que Dieu a des chofes confidérées du côté
de leur eflence , de leur nature ou de leur exiftence
réelle , mais fous une certaine fuppofition, laquelle
entraîne une condition, qui cependant ne fera jamais
accomplie.
Ainfi, difent-ils, Iorfque David fuyant la perfé-
cution de Saiil, demanda à Dieu fi les habitans de
Ceila , ville où il s’étoit retiré , le livreraient à fes
ennemis, Dieu qui favoit ce qui arriverait à David,
au cas qu’il continuât de refter à Ceila, lui répondit :
ils vous livreront, tradent. Ce que Dieu favoit, ajoutent
ils , par la fcience des conditionnels.
Le p. Daniel remarque que les vérités qui font
l’objet de la fcience des conditionnels, font fort différentes
de celles que la fcience de fimple intelligence
ou celle de vifion, ont pour objet; que c’eft une troi-
fieme clafle d’idées mitoyenne entre les chofes purement
poffibles, & les chofes qui exiftent ou exifte-
ront abfolument. Mais les Thomiftes &.les Augufti-
niens leur répondent que de deux chofes l’une: où*
les conditionnels font futurs fous une condition qui
doit être remplie , & qui le fera effectivement, & en
ce cas ils rentrent dans la clafle des futurs abfolus :
ou ils font futurs fous une condition qui ne fera jamais
remplie, & alors il faut les ranger dans le nombre
des chofes purement poffibles.
Au refte ces derniers ne refufent pas d’admettre
cette fcience -des conditionnels, comme une opinion
philofophique, mais ils la combattent fortement con-
fidérée comme opinion théologique , c’eft-à-dire ,
comme néceffaire pour éclaircir les queftions de la
prédeftination, de la réprobation & de la grâce.
La fcience des conditionnels confédérée fous ce rapport
, eft appellée dans les écoles fcience moyenne,
j'cientia media. Les Moliniftês qui l’ont imaginée, la
définiffent : la connoiffance des conditionnels par laquelle
Dieu voit ce que la créature libre fera , ou ne fera
pas de bien ou de mal conditionnellement, 6.’eû-à-dire,
fi dans telles ou telles circonftances Dieu lui accorde
telle ou telle grâce. Ils la fuppofent antérieure à tout
decret abfolu & efficace en Dieu, & qu’elle dirige
Dieu dans la formation de fes decrets. Cette opinion
a fes défenfeurs & fes adverfaires, dont on peut voir
les raifons pour & contre dans tous les théologiens
modernes ; & il eft libre de la foutenir dans les écoles,
quelques efforts qu’on ait fait pour la noircir &
pour la décrier. Voye^ A u g u s t in ie n s , T h o m is te
s , Mo l in is t e s , &C.
S c ie n c e s e c r e t e , (Hi(l. de l'E g l. ) c’eft félon
Clé.ment d’Alexandrie, la doûrine particulière qui
ne devoit être communiquée qu’aux parfaits, trop
fublime & trop excellente pour le vulgaire, parce
qu’elle eft au,-defîùs de lui. il paraît que ce pere de
l’Eglife eft un des premiers qui ait tâché d’introduire
la difcipline de la fcience fecrete chez les chrétiens ;
car avant lui, perfonne ne l’imagina; mais Clément
s’écarta de l’iifage reçu, & fe fit des principes à part,
femblables à ceux,des payens, qui cachoient leurs
my fteres, & qui enveloppoient la fcience d’énigmes.
Leur exemple l’entraîna , & on le voit aifément par
ce mot de Pindare qu’il rapporte lui-même pour étayer
fon opinion : n'expofe{ point les anciennes doclrines en
préfence de tout le monde ; la voie du filence efl la plus
sure.
D’ailleurs ,c’étoit une ancienne coutume dés fages,
dévoiler la fageffe, & de ne la communiquer que par
des emblèmes, par des figures énigmatiques , & par
des fentencesobfcures.Les Egyptiens le faifoient; Py-
thagore l’avoitfait à leur exemple. Hipparque ayant
ofé décrier les dogmes de Pythagore, & les expliquer
dans un livre exprès, on le chalfa de l’école & on
lui éleva un tombeau, comme s’il eut été mort. II y
avoit des ouvrages d’Epicure qu’on tenoit fecrets; il
y en avoit de Zenon, & d’autres philofophes. Ainfi
Clément d’Alexandrie1 fe perfuada fans peine, qti’il
y avoit auffi des doétrines fecretes qu’il ne fafloit
communiquer que de vive voix de chrétien à chrétien
, digne de les recevoir.
Cependant il rie faut pas s’imaginer, que ces doctrines
fecretes , que S. Clément ne permet de communiquer
qu’aux parfaits, foient des vérités de la
foi, ou des vérités eflèntielles, puifqu’on les prê-
: choit à tout le monde ; mais ce qu’il nomme doclrines
fecretes, font les explications myftiques des lois,
. des cérémonies, en général de celles qui avoient
été inftituées dans le vieux Teftament, ou ce qui
avoit été dit myftiquement par les prophètes. C’étoit
là la fcience fecrete , dont il ne falloit parler qu’aux
initiés. C’étoit là la tradition que J. C. avoit enfei-
gnée à fes difciples , la fageffe myftérieufe. Ce que
S. Clément avoit permis de divulguer & d’enfeigner
| à tous ; c’eft ce que S. Paul appelle le lait, c’eft-à-
dire la do&rine des cathéchumenes, la foi, l’efpé-
rancë , la charité ; mais ce qui, félon lui, ne devoit
point être divulgué ; c’eft ce que l’apôtre appelle
viande fo lid e, c’ell-à-dire la connoiflànce des fecrets,
ou la compréhenfion de l’eflence divine. Voilà , continue
t-il , cette fcience fecrete dont J. C. fit part à fes
difciples depuis fa réfurreftion.
Quoi qu’il en foit de toutes les idées de Clément
d’Alexandrie fur la fcience fecrete, il eft confiant que
les chrétiens n’ont jamais caché leurs myfteres aux
infidèles. S. Paul n’avoit point cette pratique ; elle ne
fut point d’ufage du tems de Tertullien , de Minu-
cius Félix , & de Juftin martyr; ce dernier déclare
qu’il feroit bien fâché qu’on l’accufât de rien difli-
muler par malice, ou par affeftation ; mais Clément
d’Alexandrie fe fraya une nouvelle route, & l’appla-
nit fi bien par fon crédit & par fon érudition, qu’il
trouva des feftateurs, & S. Chryfoftome lui - meme
tout homme fenfé qu’il étoit. On peut voir la differ-
tation de Cafaubon fur le filence myflérieux, exercit.
X I I . n ° 4 3 . (D . J .)
S c ie n c e s , jeux infiruclifs pour apprendre le s ,
( Litter.') C’eft ainfi qu’on a nommé divers jeux de
cartes, & même de dez , imaginés pour apprendre
aux enfans & aux jeunes gens , non-Xeulement les
fciences qui ne demandent que des yeux & de la mémoire
, telles que f hiftoire, la géographie, la chronologie
, le blafon, la fable ; mais ce qu’il y a de
plus fingulier, les fciences mêmes qui demandent le
plus de raifonnement & d’application, telles que la
logique & le droit.
Le premier qui ait cherché la méthode d’apprendre,
les fciences par des figures, & à rendre utile pour
l’efprit le jeu de cartes , eft un eprdelier allemand ,
nommé Thomas Mürner, né à Strasbourg. Ce religieux
enfeignant au commencement du xvj fiecle la
philofophie en Suiffe, s’apperçut que les jeunes gens
étoient rebutés des écrits d’un Efpagnol, qu’on leur
donnoit pour apprendre les termes de la dialeftinbe.
Il en fit une nouvelle par images & par figures, en
forme de jeu de cartes, afin que le plaifir engageant