des perfonnes divines , la do&rine des nominaux ; ■
il comparoit" l’unité d’un Dieu dans la trinité des
perfonnes, au fillogifme où trois choies réellement
difoncles, la propofition, l’affoinption & la éonclu-
fion , ne forment qu’un feul raffonnement ; c’ëtoit :
un tiffü d’idées très-fubtiles , à travers lefquelles il
n’étoit pas difficile d’en rencontrer de contraires à
l’orthodoxie. Abélard fut accufé d’héréfie ; on répandit
qu'il admettoit trois dieux, tandis que d’après les
principes , il étoit fi ftri&ement aufterç, que peut-
être réduifoit-il les trois perfonnes divines à trois
mots ; il rifqua d’être lapidé par le peuplé : cependant
fes juges l’écouterent, & il s’en feroit retourné
abfous, s’il n’eût pas donné le temsà fes ennemis de
ramafîèr leurs forces & d’aliéner l’efprit du concile
qu’on avoit affemblé ; il fiit obligé de brûler lui-même
fon livre, de reciter le fymbole d’Athanafe , &
d’aller fubir dans l’abbaye de S. Médard de Soiffons,
la pénitence qu’on lui impofa ; cette condamnation
fut affligeante pour lui, mais plus deshonorante encore
pouf fes ennemis ; on revint fur fa caufe ; &
l’on dé te fia la haine & l’ignorance de ceux qui l’a-
voient accufé & jugé»
Il revint de Soillons à Saint-Denis ; là il eut l’imprudence
de dire, & qui pis eft, de démontrer aux
moines que leur faint Denis n’avoit rien de commun
avec l’àréopagite ; & dès ce moment ce fut un athée,
un brigand, un fcélérat digne des derniers fupplices.
On le jetta dans une prifon ; on le traduifit auprès
du prince comme un fujet dangereux, & peut - être
eut-il perdu la vie entre les mains de ces ignorans&c
cruels cénobites, s’il n’eut eu le bonnheur de leur
échapper. Ilfe jufofia auprès de la cour, & fe réfugia
dans les terres du comte Thibault. Cependant
l’abbé de faint Denis ne jouit pas long-tems‘ de l’avantage
d’avoir éloigné un cenleur auffi févere qu’Abe-
lard. 11 mouiut, 6c l’abbé Suger lui fucceda. On ef-
faya de concilier à Abélard la bienveillance de celui
ci ; mais on ne put s’accorder fur les conditions,
& Abélard obtint du roi la permiffion de vivre où il
lui plairoit. Il fe retira dans une campagne déferte,
entre Troye & Nogent. Là il fe bâtit un petit oratoire
de chaume 6c de boue, fous lequel il eût trouvé
le bonheur, fi la célébrité qui le fuivoit par-tout
n’eût raffemblé autour de lui une foule d’auditeurs,
qui 1e bâtirent des cabanes à côté de la fienne, &c
qui s’affujettirent à l’auflérité de fa vie, pour jouir
de fa fociété 6c de fes leçons. 11 vit dès la première
année jufqu’à fxx cens difciples. La théologie qu’il
profeffoit étoit un mélange d’ariftotélifme , de fubti-
lités, de difonêtions ; il etoit facile de ne le pas entendre
6c de lui faire dire tout ce qu’on vouloit. Saint
Bernard qui, fans peut-être s’en appercevoir, étoit
fecrettement jaloux d’un homme qui attachoit fur
lui trop de regards ,embraffa la haine des autres théologiens,
fortit de la douceur naturelle de fon caractère
, 6c fufcita tant de troubles à notre philofophe,
qu’il fut tenté plufxeurs fois de fortir de l’Europe 6c
d’aller chercher la paix au milieu des ennemis du
nom chrétien. L’invocation dix Paraclet fous laquelle
il avoit fondé une petite maifon qui fubfifte encore
aujourd’hui, fut le motif réel ou fxmulé de la perfécu-
tion la plus violente qu’on ait jamais exercée. Abélard
vécut long - tems au milieu des anxiétés. Il ne
voyoit pas des eccléfiaftiques s’affembler fans trembler
pour fa liberté. On attenta plufxeurs fois à fa vie.
La rage de fes ennemis le fuivoit jufqu’aux autels, 6c
chercha à lui faire boire la mort avec le fang de Jefus-
Çhrift. On empoifonna les vafes facrés dont il fe fer-
voit dans la célébration des faints myfteres. Héloïfe
ne jouiffoit pas d’un fort plus doux ; elle étoit pour-
fuivie, tourmentée, chaflee d’un lieu dans un autre.
On ne lui pardonnoit pas fon attachement à Abélard.
Ces deux êtres qui fcmbloient deltinés à faire leur
bonheur mutuel, vivoient fépàrés & de la vie là plus
malheureufe, îorfqii’Abélard appella Héloïfé au Paraclet
, lui confia là conduite, de ce monaftere & le
retira dans un autre, d’où il fortit peu dctems après
pour reprendre à Paris une école de théologie & de
philofophie ; mais les accufatfons d’impiété ne tardèrent
pas à fe renouveller. Saint Bernard ne garda plus
de mefure ; on dreffa des catalogues d’héréfiës qii’on
attribuoit à Abélard. Sa perfonne étoit moins en fureté
que jamais, lorfqu’il fe détermina de porter fa
caufe à Rome. Saint Bernard l’accufoit de regarder
l’Efprit-faint comme l’ame du monde, d’énleigner
que l’univers eft un animal'd’autant plus parfait què
l’intelligence qui l’animoit étoit plus parfaite; dé
chriftianifer Platon j &c. Peut - être notre philofophe
n’étoit-il pas fort éloigné de-là ; mais fes érreurs né
jufofient ni les imputations ni les violences de faint
Bernard.
Abélard fit le vôyâgë dé Rome. On l’y avoit déjà
condamné quand il arriva. Il fut faifi, mis en prifon,
fes livres brûlés, & réduit à ramper fous Bernard &
accepter l’obfcurité d’une abbaye de Clugni, où il
ceffa de vivre 6c de fouffrir. Il mourut en 1142.
Abélard forma plufxeurs hommes de nom, entre
lefquels on compte Pierre le Lombard. Celui - ci eft
plus célébré parmi les théologiens que parmi les
philofophes. 11 fit fes premières études à Paris. Il
profeffa la fcholaftique dans l’abbaye de fainte Géne-
vieve. Il fut chargé de l’éducation des enfans de France.
Il écrivit le livre intitulé le maître des fentences.
On pourroit regarder cet ouvrage comme le premier
pas à une maniéré d’enfeigner beaucoup meilleure
que celle de fon tems ; cependant on y trouve encore
des queftions très - ridicules, telle par exemple que
celle-ci : le Chrijlen tant qu'homme tjl-ilunepcrfonne
ou quelque chofe ? Il mourut en 1164.
Robert Pulleyn parut dans le cours du douzième
fxecle; les troubles de l’Angleterre fa patrie le chaffc-
rent en France, où il fe lia d’amitié avec faint Bernard.
Après un affez long féjour à Paris, il retourna
à Oxford où il profeffa la théologie. Sa réputation fe
répandit au loin. Le pape Innocent II. l’appella à
Rome, & Céleftin II. lui conféra le chapeau de cardinal.
Il a publié huit livres des fentences. On remarque
dans ces ouvrages un homme ennemi des fubti-
lités de la métaphyfxque ; le goût des connoiffances
folides, un bon ufage de l’Ecriture-fainte, & le courage
de préférer les dédiions du bon fens 6c de la rai-
fon, à l’autorité des philofophes 6c des peres.
Gilbert de la Porée acheva d’infecter la théologie
de futilités. La nouveauté de fes expreffions rendit
fa foi fufpeéte. On l’accufa d’enfeigner que l’effence
divine & Dieu étoient deux chofes diftinguées ; que
les attributs des perfonnes divines n’étoient point les
perfonnes mêmes ; que les perfonnes ne pouvoient
entrer dans aucune propofition comme pi'ædicats ;
que la nature divine ne s’étoit point incarnée; qu’il
n’y avoit point d’autre mérite que celui de Jefus-
Chrift, 6c qu’il n’y avoit de baptifé que celui qui de-
voit être fauvé. Tout ce que ces propofitions offrirent
d’effrayant au premier coup d’oeil, tenoit à des
difonctions fubtiles, & difparoiffoit lorlqu’on fe don-
noit le tems de s’expliquer ; mais cette patience eft
rare parmi les théologiens,qui femblent trouver une
fatisfa&ion particulière à condamner.Gilbert mourut
en 1x54, après avoir auffi éprouvé la haine du doux
faint Bernard.
Pierre Comeftor écrivit un abrégé de quelques livres
de l’ancien 6c du nouveauTeftament,avec un
commentaire à l’ufage de l’école ; cet ouvrage ne
fut pas fans réputation.
JeandeSarisberi vint en France en 1137. Perfonne
ne poffeda la méthod t fcholaftique comme lui. Il ƒ’en
étoit fait un jeu, 6c il étoit tout vain de la fuperiorite
qüë Céttê ëfpeëe deméchanifirte lui dôftifoit fui*
les hommes célébrés de fon tems. Mais il île tarda
pas à connoître la frivolité de fa fcience , & à chercher
àioxl efprit un aliment plus folide. Il étudia la
grammaire ; la rhétorique, la philofophie, & les mathématiques
fous différens maîtres. La pauvreté le
contraignit à prendre l’éducation de quelques enfans
de famille. En leur transmettant ce qu’il avoit appris,
il fe le rendoit plus familier à lui - même. Il fut le grec
tk. l’hébreu, exemple rare de fon tems. Il ne négligea
ni la phyfique ni la morale. 11 difoit de la diale&ique,
que ce n’eft par elle-même qu’un vain bruit , incapable
de féconder l’efprit, mais capable de développer
les germes conçus d’ailleurs. On rencontre dans
fes ouvrages des morceaux d’un fens très - juffe ,
pleins de force 6c de gravité. Les reproches qu’il fait
aux philofophes de fon tems fur la maniéré dont ils
profeffent, lur leur ignorance 6c leur vanité, montf ent
que cet homme avoit les vraies idées de la méthode,
& que fa fupériorité ne lui avoit pas ôté la modefoe,
Il fut connu , efomé, & chéri des papes Eugene III.
Adrien IV. Il vécut dans la familiarité la plus grande
avec eux. Il défendit avec force les droits prétendus de
la papauté contre fon fouverain. Cette témérité fut
punie par l’exil. Il y accompagna Becket. Il mourut
en France, où fon mérite fut récompenfé par la plus
grande confidération 6c la promotion à des places. Il
a laiffé des écrits qui font regretter que cet homme
ne foit pas né dans des tems plus heureux ; c’eft un
grand mérite que de balbutier parmi les muets.
Alexandre de Haies donna des leçons publiques
de théologie à Paris en 1230» Il eut pour difciples
Thomas d’Aquin & Bonaventure ; s’il faut s’en rapporter
à fon épitaphe , il s’appella le docteur irréfragable.
Il commenta le maître des fentences. Il compila
une fomme de théologie univerfelle. Il écrivit un livre
des vertus, 6c il mourut en 1245 » fous l’habit
de francifcain. Tous ces hommes vénérables , féra-
phiques, angéliques, fubtils , irréfragables, fi efo-
més de leur tems, font bien méprifës aujourd’hui.
On comprend encore fous la même période de la
philofophiefcholaftique, Alain d’Ifle ouïe docteur uni-
verfel. Il fut philofophe, théologien, & poëte. Parmi
fes ouvrages on en trouve un fous le titre de Ency^
clopedia verfibus hexametris diftincta in libros _$). c’eft
une apologie de la Providence contre Claudien. Il
paroit s’être auffi occupé de morale. Pierre de Riga,
Hugon, Jean Belith, Etienne deLanghton, Raimond
de Penna fo r t i, Vincent de Beauvais ; ce dernier fut
un homme affez inftruit pour former le,projet d’un
ouvrage qui lioit toutes les connoiffances qu’on pof-
fedoit de fon tems fur les fciences 6c les arts. Il compila
beaucoup d’ouvrages, dans lefquels on retrouve
des fragmens d’auteurs que nous n’avons plus. Il
ne s’attacha point fi fcrupuleufement aux queftions
de la diale&ique & de la métaphyfxque, qui occu-
poient 6c perdoient les meilleurs efprits de fon fxecle,
qu’il ne tournât auffi fes yeux fur la philofophie morale,
civile, & naturelle. Il faut regarder la maffe
énorme de fes écrits comme un grand fumier où l’on
rencontré quelques paillettes d’or. Guillaume d’A-
verne, connu dans l’hiftoire de la philofophie, de
la théologie 6c des mathématiques de cet ,âge. Il
méprifa les futilités de l’école & fon ton pédantefque
& barbare. Il eut le ftyle naturel & facile. Il s’attacha
à des queftions relatives aux moeurs & à la vie.
Il ofa s’éloigner quelquefois des opinions d’Ariftote
& lui préférer Platon. Il connut la corruption de
l’églife 6c il s’en expliqua foi'tement. Alexandre de
Villedieu, àftronome & calculateur. Alexandre Nec-
kam de Hartford. Ce fut un philofophe éloquent. Il
écrivit de la nature des chofes un ouvrâge mêlé de
profe & de vers. Alfred qui fut les langues, expliqua
la philofophie naturelle d’Ariftote, commenta
Tome X I ? .
féS îftétôfês ■, cbëi'cha à débfôüiilêr ië ixVfë aêâ pîart-
teS, 6c publia Un livre dti hïouvemth't dtl coeüt. Robert
Capiton, ou Groffe - tête, qui fut profond dans l’hébreu
, le grec, & le latin, & qui lut tant de philofophie
6c de mathématiques $ ou qui vécut àvec des
nommes à qui ces fciences étoient fi étrangères*
qu’il en paffa pour fprcier» Roger Bacon , qui étoit
un homme & qui s’y connoifioit, compare Groffe-
tête à Salomon & à Ariftote» On voit par fort Commentaire
fur Denis l’aréopagite, que les idées dë là
philofophie platonico-alexandrine lui étoient connues
; d’où l’on voit que la France, l’Italie, l’Ahgle-
terre ont eu des fcholaftiques dans tous les états. L’Allemagne
n’en a pas manqué; confultez là - deffus fort
hiftoire littéraire.
Seconde période de la phiiofôphiè fcholaftique. Albert
le grand qui la commence naquit en 1193- Cet
homme étonnant pour fon tems fut prefque tout ce
qu’on po\xvoit favoir ; il prit l’habit de S. Dominiqüé
ert 1221. 11 profeffa dans fon ordre la philofophie
d’Ariftote, profcrite par le fouverain pontife y Ce qui
ne l’emoêcha pas de parvenir aux premières dignités
monacales ôceceléfiaftiques. Il abdiqua ces dernieres
pour fe livrer à l’étude. Perfonne n’entendit mieux
la diale&ique 6c la métaphyfiqüe péripatéticienne*
Mais il en porta les fubtilités dans la théologie, dont
il avança la corruption» Il s’appliqua auffi à la con-»
noiffance de la philofophie naturelle : il étudia la nature
; il fut des mathématiques & de la méchanique î
il ne dédaigna ni la métallurgie, ni la lythologie. On
ditqu’ilavoitfaitune tête automate quiparloit,&que
Thomas d’Aquin brifa d’un coup de bâton : il ne pouj
voit guere échapper au foupçon de magie ; auffi en
fut-il accufé. La plûpart des oxxvragès qui ont paru
fous fon riom f font fuppofés. Il paroxt avoir connu le
moyen d’obtenir des fruits dans toutes les faifons. Il
a écrit de la phyfique, de la logique, de la morale $
de la métaphyfxque, de l’aftronomie & dë la théolo*
gie vingt & un gros volumes qu’on ne lit plus.
Thomas d'Aquin fut difciple d’Albert le grand ; il
ri’eft pas moins célébré par la fainteté de fes moeurs,
que par l’étendue de fes connoiffances théologiques*
Il naquit en 1224 : fa fomme eft le corps le plus complet
, 6t peut-être le plus efomé qvxe nous ayons en-«
core aujourd’hui. Il entra chez leS Dominicains en
1243 : il paroiffoit avoir l’efprit lourd ; fes cortdii-6
Ciples l’appelloient lè boeuf ; 6c Albert ajoutoit : O u i,
mais f i ce boeuf f i met à mugir, on entendra fon rtwgiffé*
ment dans toute la terre. Il ne trompa point les efpé“
rances que fon maître en avoit eoiiçues. La philofophie
d’Ariftote étoit fufpe&e de fon tems ; cependant
il s’y livra tout entier, & la profeffa en France & en
Italie. Son autorité ne fut pas moins grande dans
l’églife que dans l’école ; il mourut en 1274* Il eft le
fondateur d’un fyftème particulier fur la grâce & la
prédefonation, qu’on appelle le Thornifme* Voyez le s
articles Grâce , PRÉDESTINATION , &C.
Bonaventure le Francifcain fut contemporain, COrt*
difciple & rival deThomas d’Aquin. Il naquit e n m i ,
& fitprofeffion en 1243 ; la pureté de fes nioeurs, l’étendue
de fes connoiffances philofophiques & théologiques,
le bonté de fon caraâere, lui méritèrent les
premières dignités dans fon ordre & dans l’églife. Il
n’en jouit pas long-tems : il mourut en 1274, âgé de
53 ans. Sa philofophie fut moins futile & moins épi-
neufe que dans fes prédéceffeurs. Voici quelques-
uns de fes principes*
Tout ce qu’il y a de bon & de parfait, c*eft urt dort
d’en-haut, qui defcend fur l’homme du fein du pere
des lumières*
Il y a plufxeurs difiin&iorts à fairé entre les émanations
gratuites de cette fource libérale & lumi-
neufe* i | | . , ,
Q u o iq u e t o u t e illu m in a t i o n fe fa f f e in t e r ië u r e f t le iit
E E e e e ij