R I M
Ou vit cacher ? Fuyons dans la nuit Infernale !
Mais j que dis-je ? Mon perey tient l'urne fatale :
Le fo r t, dit-on , L'a mife en fes fiveres mains ;
Minos juge aux enfers tous les paies humains.
Mettez à leur place ,
Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale !
Mais , que dis-je ? Mon perey tient l'urne funefit!
Le fort , dit-on , l'a mije en J'es J'éveres mains ;
Minos juge aux enfers tous les pâles mortels.
Quelque poétique que Toit ce morceau, dit M. de
Voltaire, fera-t-il le même plaifir dépouillé de l’agrément
de la rime ? Les Aoglois & les Italiens di-
roient également comme les Grecs & les Romains ,
les pâles humains, Minos aux enfers juge, & enjam-
bcroient avec grâce fur l’autre vers ; la maniéré
meme de réciter en italien & en anglois fait fentir
des fyllabes longues & brèves , qui loutiennent encore
l’harmonie fans befoin de rimes. Nous qui n’avons
aucun de ces avantages , pourquoi voudrions-nous
abandonner les feuls que la nature de notre langue
nous laiflfe ?
Je fai bien que la rime feule ne fait ni le mérite du
poëte, ni le plaifir du lefteur. Ce ne font point feulement
les dactyles & lesfpondées quiplaifent dans
Virgile & dans Homere. Ce qui enchante toute la
terre, c’eft l’harmonie qui naît de celte mefure difficile.
Quiconque fe borne à vaincre une difficulté
pour le mérite feul de la vaincre , eft un fou ; mais
celui qui tire du fond de ces obftades mêmes des
beautés qui plaifent à tout le monde, eft un homme
fort l'age & prefque unique. Il eft très-difficile de
faire de beaux tableaux, de belles ftatues, de bonne
mufique, de bons vers, &c. Aulîî les noms des hommes
fupérieurs qui ont vaincu ces obftades dureront-
ils peut-être beaucoup plus que les royaumes oîiils
font nés ? M. de la Mothe nioit la néceffité de la rime
dans notre langue & l'harmonie des vers ; M. de la
Faye lui envoyant pour réponfe des vers harmonieux,
prit un bon parti,; il ;fe conduiftt comme le
philofophe qui, pour répondre à un fophifte qui nioit
le mouvement , 1e contenta de marcher en fa pré-
fence.
Il ne me relie plus que deux chofes ; i° à'donner
des principes généraux fur la rime ;, x° à indiquer
les noms des rimes barbares imaginées par nos
ayeux.
On n’admet poitjt pour la rime -une feule lettre,
quoiqu’elle falfe une fyllâbe ; àinfi les mots joués &
liés ne riment point enfemble. Il y a des mots qui fi-
niffant par différentes lettres , peuvent faire une
bonne rime , lorfque ces. lettres rendent le même
fon , comme dans les mots fang & flanc, nous &
doux.
On a profcrit la rime du limple avec fon compofé,
lorfque l’un & l’autre font employés dans leur figni-
fication naturelle ; ainfi ordre & defordre ne riment
pas enfemble, mais fo n t & affront riment bien. Un
mot peut rimer avec lui-meme lorfqu’il y, a deux
fens différens ; ainfi pas paffus rime avec pas, qui ell
tine particule négative. Dans les pièces régulières ,
on ne doit pas mettre de fuite plus de deux rimes
féminines. Les livres les plus communs vous apprendront
le refte. Ainfi je paffe à l’explication des noms
de rimes inventées par nos anciens poètes, la 'rime annexée
, batelée, brifeé, couronnée, empériere enchaînée
, équivoque fraternifée , kirielle , rétrogradé
, fénée, &c. & tout fera dit.
Rime annexée, cette rime dont on voit des exemples
dans les premiers poètes français, confiftoit à
commencer un vers par la derniere fyllabe du vers
précédent ; exemple :
Dieu gard’ ma maîtreffe & régente,.
R I M
Gente de corps & de façon;
Son coeur tient le mien en fa tente;
Tant & plus d'un ardent frijffon.
R ime hâtelèe, c’eft le nom qu’on donnoit autrefois
au vers dont la fin rimoit avec le repos du vers lui-
vant ; exemple :
Quand Neptune puiffant dieu de la mer
Ce (fa damier Cwaques & Galées.
Rime brifèe, cetté rime pratiquée autrefois, confiftoit
à conftruire des vers de façon que les repos des
vers rimaffent entr’eux, & qu’en les brilànt ils fiflent
d’autres vers ; exemple :
De coeur parfait, chaffe:£ toute douleur;
Soye\ foigneux ; n’ufe^de nulle feinte ;
Sans vilain fait entretenez douceur ;
Vaillant & preux, abandonnez la feinte.
en brifant ces vers on lit :
De coeur parfait
Soyez foigneux ;
Sans vilain fait
Vaillant & preux ;
Chaffez toute douleur,
Nufez de nulli feinte ;
.Entretenez douceur,
Abandonnez la feinte.
Vm/iE couronnée,^ rime étoit couronnée,10rfqu’el-
le le préfentoit deux fois à la fin de chaque vers;
exemple :M
a blanche Colombelle, belle,
Souvent je vais priant, criant;
Mais dtfj'ous la cordelle, d'elle ,
Me jette un oetl f iand, riant.'
Rime emperiere, c’étoit le nom de celle qui au
bout du vers frappoit l’oreille jufqu’à trois fois :
Bénins lecteurs , trés-diligens, gens , gens,
Prenez en gré mes imparfaits , faits, faits.
Rime enchaînée, c’ eft celle qui confifte à reprendre
le dernier mot du vers précédent, pour en former
le premier du vers fuivant. Ce goût barbare en
Poéfie pafloit pour un art très-ingénieux. On peut
ju{*er du mérite de ce genre d’efprit, autrefois fi fêté
, par l’exemple fuivant, tiré des bigarrures du fieur
des Accords :
Pour dire au tems qui court,
Cour efl un périlleux pafiage;
Pas J âge n e f qui va en cour ;
Cour e f fon bien & avantage;
Rage efl fa paix ; pleurs fes foulas' ;
Las ! c’efi un très-piteux ménage ;
Nage autre part pour tes ébats.
Cette rime eft la même que la rime annexée ou fraternifée.
Rime équivoque. Nos anciens poètes François fe
fervoient quelquefois d’une maniéré de rime qu’on
appelle rime équivoque, dans, laquelle la derniere fyl-r
lâbe de chaque vers eft reprife en une autre lignification,
au commencement ou à la fin du vers qui fuit.
Richelet en rapporte l’exemple fuivant :
E n ni ébattant je fais rondeaux en rime.
Et en rimant bien jbuvent je m'enrime i
Bref, c'ef pitié.entre nous rimailleurs,
Car vous trouvez aff6Z rimc ailleurs ;
Et quand vous plaît, mieux que moi rimaffez ,
Des biens avez » & de la rime affez, &c.
Maroteft l ’auteur deces vers bifarres ; c’étoit-là une
•gentilleffe du goût de fon fiecle. Nous avons de la
peine à concevoir aujourd’hui quel fel on pouvoit
trouver dans des produélions fi plates.
Rime fraternifée, cette rime qui a bien du rapport
avec la rime annexée, fi elle n’eft la même chofe
confiftoit fuivant nos anciens poètes, à repéter en
entier, ou en partie, le dernier mot d’un vers au
commencement du vers fuivant ; exemple :
R I M
Mets voiles du vent, cihgle vers nous, Caron,
Car on t'attend , &c»
Rime kirielle, elle confifte à terminer chaque couplet
d’un petit poème par un même vers:
Qui voudra favoir la pratique
De cette rime juridique
Saura que bien mife eii effet ,
La kirielle ainfi fe fait
De plates, de J'yllabes huit ;
Ujèz-en donc f i bien vous duil,
Pour faire le couplet parfait,
La kirielle ainfi fe fait.
Où voit bien que cet exemple fe reffent de l’origine
barbare de la kirielle ; mais nous ne manquons pas de
couplets de chanfons oîi elle eft mife avec efprit.
Rime rétrograde, fous Charles VIII. & Louis XII.
les poètes avoient mis les rimes rétrogrades en vogue ;
c’étoit le nom qu’on avoit donné aux vers, lorfqu’en
les lifant à-rebours, on y trouvoit encore la mefure
& la rime , comme dans ceux-ci ; exemple :
Triomphamment cherchez honneurs & prix ,
DéJ'olez » coeurs médians , infortunés
Terriblement êtes rnocquez & pris»
Lifez ces vers en remontant, vous trouverez les mêmes
rimes.
Prix & honneurs cherchez triomphamment, & c.
R ime fénée, on nommoit ainfi les vers où tous les
mots commençoient par la mênie lettre ; exemple :
Ardent amour, adorable Angélique.
Un poème dont tous tes vers commençoient par
une même lettre, s’appelloit poème en rimes fénées.
Rime féminine, les vers qui finiflent par un mot
dont la derniere fyllàbe a pour voyelle un e muet,
excepté dans lés imparfaits charmoient, aimoient ; ces
v e r s , dis-je, ont une rime féminine, & on les appelle
auiïi versféminins ; exemple:
Victoire "1 Armes
Gloire ■ . ( Charmes
Dans la rime féminine, la reffemblance du fon fe tire
de la. pénultième fyllabe, parce que l’e muet ne fe
failant point fentir, n’ eft compté pour rien. Dans le
dernier hémiftiche des vers de rime féminine, il y a
toujours une.fyllabe de jplus.que dans les versmafeu-
lins, qui eft la lyllabe formée.par, cet.e muet.
R ime mafculjne, c’eft.lorfque la derniere fyllabe
du derniér mot du vers ne corjiprend point un e muet,
qu’on nomme .autrement e féminin ; exemple :
Fierté ( Soupirs
Beauté { Defirs
Dans' cette forte AC rime', on ne confidere que la derniere
fyllabe pour la rcftëmblànce du fon, & c’eft
cette fyllabe qui fait la rime. Les mots qui ont un e
ouverp rimeroient très-mal avec ceux qui ont un e
fermé à la ,derniere fyllabe ; ainfi enfer & étouffer fe-
róient des //wwvicieules : il faut, autant qu’il eft pof-
fible, que les dernières fyllabé.s des deux vers qui riment,
le reftèmblent parfaitement; cependant onule
d’ indulgenceCet égard quand ie'fon de la deiniere
fyjlabe eft plein, ou que les rwes font rares.
R ime normande, on appelle ainfi des rimes qui ne
ÿefiemblent que dans.le fon, où dans la manière de
les écrire. Çes rimes quoiqu’àotorilées par l’emploi
qu’en ont fait des poètes célébrés , paroiflent toutefois
très-Vicieufts ; exemple :
Et quand avec trarifport jè penfe m'approcher,
De tout ce que les dieux m'ont laiffé de plus cher.
Rime redoublée, Chapelle ÇCIaude l’Huillier), çle-
v.e du célébré Gaflendi , infpira le goût des rimes redoublées
à l’abbé de Chaulieu, à ce qu’il nous dit lui-
même :
Chapelle au milieu d'eux, ce maître qui ni apprit.
Ait fon harino 'nieux dt rimes redoublées,
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L art de charnier C oreille & d'amüfer Vefprit,
Par la diverfité de cent nobles idées.
Ces vers ont fait croire à bien des gens que Chapelle
eft le premier qui s’eft fervi des rimes redoublées : mais
ç’eft une erreur; d’Afloucy les employa long-tems
avant lui, &c même avec quelque fuccès, comme M,
de Voltaire l’a remarqué.
Pourquoi donc ,fexe au teint de rofe ,
Quand la charité vous impofe
La fai d aimer votre prochain ,
Pouvez-vous me haïr fans caufi,
Moi qui ne vous fis jamais rien ?
Ah ! pour mon bonheur je vois bien,
Qu'ilfaut vous faire quelque chofe.
■ r .)
Rime riche, terme de Poéfie pour marquer le degré
de perfeâion dans cette partie du vers.
La rime féminine eft riche, lorfqu’immédiatement
devant la pénultième voyelle ou diphtongue, il y a
une même lettre dans les deux qui font la rime; exemple:
. Victoire i Rebelle
Hifîoire ( Ijabelle
La rime mafeuline eft riche, lorfqu’immédiatement
devant la derniere voyelle ou diphtongue', il le trou-
ve-quelque lettre femblable dans les deux mots, comme
dans heureux, généreux.
R ime fuffijante, la rime féminine eft fuffifante ,
lorfque la pénultième voyelle 'ou diphtongue avec
tout ce qui la fuit, rendent un même fon dans les
mots qui font la rime : Exemple,
Belle , Victoire ,
Infidelle. \ Gloire.
La rime mafeuline eft pareillement fuffifante, lorfque
la demiere voyelle ou diphtongue des mots avec
tout ce qui la fuit, rendent un même fon : Exemple ,
Efpoir, > Heureux,
Devoir. \ Honteux.
R im e s croifées, c’eft lorfqu’oii entrelace les vers
des deux efpeces,un mafculin après un féminin , ou
deux .mafeulins de même rime entre deux féminins
qui riment enfemble. L’ode, le rondeau, le lonnet,
la balade, fe compofent à rimes croifées.
R im e s mélées, c’ eft lorfque dans le mélange des
vers , on ne garde .d’autres réglés que celle de ne pas
mettre de fuite plus de deux vers mafeulins, ou plus
de deux féminins. Les fables, les madrigaux, les
chanfons , quelques idilles, certaines pièces de théâtre
, les opéra , les.cantates, &c. font compofés de
rimes mélées. La répétition de la même confonnance,
loin d’être vicieufe dans les rimes mélées, y jette pour
l’ordinaire de l’agrément.
R im e s plates, c’eft lorfque les vers de même rimes
fe fuivent par couples , deux mafeulins & deux
féminins. La comédie , l’églogue & l’élégie , fe compofent
à rimes plates. ,Pour le poème épique & la tragédie,
ils font nécefl'airement affujettis à cette ordonnance
de vers. Il faut avoir foin d’éviter la fre-
auente répétition des mêmes rimes, qui feroienfune
monotonie defagréable.
R im e S uniffonnes, rimes qui ont le même fon.
L’orthographe différente ne rend point la rime défec-
tueufe, quand le fon eft le même à la fin des mots.
Ainfi les rimes fuivantes & autres lemblables , font
régulières. Amant, moment; départ, hafard ; champêtre
, connoître ; fang ,fianc; aime, extrême.
Tout confpirt à la fois à troubler mon repos,
Et je meplains ici du moindre de mes maux.
Au refte M. l’abbé Maflieu prétend que le plus ancien
morceau de poéfie rimé qu’il y ait dans toute
l’Europe, eft la tradu&ion ou le poème de la grâce,