Et comment les modernes pourroient-ils entrer en
concurrence ? Les honneurs , les diftinctions , les
encouragemens , les recompenfes , tout manque à
leur zè le, & à leurs travaux ; la nature qu’ils copient
eft fans fentiment & fans action ; ils rte peuvent
s’exercer que fur des hommes qui n’ayant fait
que des exercices de force, n’ont jamais connu les
fituations délicates ou nobles qui dans leur état euf-
fent paru ridicules. Inutilement voudroit-on donner
à de fimples artifans , clans le tems qu’on les defline,
la poiition d’un héros ; on n’en fera jamais que des
perfonnages mauffades, & dont l’air fera décontenancé
; un pâtre revêtu des habits d’un courtifan ,
ne peut déguifer l’éducation de fon village ; mais
les Grecs qui copioient la belle nature, habitués à
l’émotion & à la nobleffe, purent donner à leurs ouvrages
une vérité, une force d’expreflion, que les
modernes ne fauroient attraper ; ces derniers ont rarement
répandu de la phylionomie dans toutes les
parties de leurs figures, fouvent même ils ne paroif-
lent avoir cherché l’exprefîion que dans les traits du
vifage ; alors afin que cette expreflion fut plus frappante
., ils n’ont pas craint quelquefois de palier la
nature, & de la rendre horrible ; les anciens lâvoient
bien mieux fe retenir dans la vérité de l’imitation. Le
Laocoon, le Gladiateur, le Rotateur dont nous avons
parlé, nous intéreffent ; mais ils n’ont rien d’outré
ni de forcé.
Cependant la fculpture moderne a été pouflée fort
loin, elle a découvert l’art de jetter en fonte les fta-
tues de bronze, elle ne cede en rien à la fculpture antique
pour les bas reliefs, & elle l’afnrpaflé dans l i mitation
de quelques animaux , s’il eft permis d’appuyer
ce jugement fur des exemples particuliers. A
confidérer les chevaux de Marc-Aurèle, ceux de
Monte-Cavallo, les p. étendus chevaux de Lyfippe
qui fe trouvent fur le portail de l’églife de S. Marc à
Venife, le boeuf de Farnèfe, &£ les autres animaux
du même grouppe,il paroîtroit que les anciens n’ont
point connu .comme nous , les animaux des autres
climats, qui étoient d’une plus belle efpece que les
leurs. Quelqu’un pourroit encore imaginer qu’il fem-
ble par les chevaux qui font à Venife , & par d’anciennes
médailles, que les artiftes de l’antiquité n’ont
pas obfervé dans les chevaux, le mouvement diamétral
des jambes ; mais il faut bien fe garder de décider
fur de li légères apparences.
Encore moins faut-il fe perfuader que les Grecs
ayent négligé de repréfenter les plis &c les mouve-
mens de la peau dans les endroits oii elle s’étend, &
fe replie félon le mouvement des membres ; il eft vrai
que le fentiment des plis de la peau, de la molleffe
des chairs , &C de la fluidité du lang, eft fupérieure-
ment rendue dans les ouvrages du Puget ; mais ces
vérités fe trouvent-elles moins éminemment exprimées
dans le Gladiateur, le Laocoon , la Vénus de
Médicis ? &ç. Je fuis aufîi touché que perfonne de
l’Andromède , mais combien l’étoit-on dans l’antiquité
des ouvrages de Polyclete? Ne fait-on pas que
fa ftatue du jeune homme couronné, étoit fi belle
pour l’expreflion des chairs, qu’elle fut achetée environ
vingt mille louis ? ce feroit donc une efpece de
délire , de contefter aux Grecs la prééminence qui
leur eft encore due à cet égard ; il n’y a que la médiocrité
qui s’avife de calculer à l’infçu du génie.
L’Europe eft trop heureufe que la ruine de l’empire
grec y ait fait refluer le peu de connoiffances
dans les arts, qui reftoient encore au monde. La magnificence
des Médicis,. & le goût de Léon X , les fit
renaître.
La richefle des attitudes, la délicatefle des contours,
l’élégance des ondulations , avoient été totalement
oubliées pendant plufieurs fiecles. Les Goths n’a-
voient fçu donner à leurs figures ni grâce ni mouvemertt
; ils imaginoient que des lignes droites Si
des angles aigus, formoient l’art de la fculpture ; &
•c’eft ainfi qu’ils fendoient les traits du vifage , les
corps & les bras ; leurs ftatues portoient des écriteaux
qui leur fortoient de la bouche, & oit on pou-
voit lire les noms & les attributs des repréfentations
qui n’avoient rien de reflemblant. Les modernes reconnurent
ces ridicules extravagances, & fe rapprochèrent
fagement de l’antique.
Michel Ange r’ouvrit en Italie les merveilles de la
fculpture , Sc le Goujon imita fes traces ; il a été fuivi
par Sarralïn, le Puget, Girardon, Coyfevox, Couf-
tou , le Gros , &c. qui ont élevé cet art dans la France
, à une fupériorité glorieufe pouf la nation ; vous
trouverez leurs articles au mot S c u l p t e u r s m o d
e r n e s .
Jene veux point prévoir la chute prochaine de cèt
art parmi nous ; mais félon toute apparence, il n’y
régnera pas aufîi long-tems que chez les Grecs, à la
religion defquels il tenoit effentiellement.
Ne voyons-nous pas déjà la dégénération bien
marquée de notre peinture? Or comme je l’ai dit, la
peinture & la fculpture font deux foeurs à peu près du.
même âge , extrêmement liées enfemble, & quifub-
fiftent des mêmes alimens , honneurs , recompenfes
, diftincfions , dont la mode ne doit pas être l ’origine.
La fculpture tombera néceffairement chez tous les
peuples qui ne tourneront pas fes productions à la
perpétuité de leur gloire , & qui n’aflocieront ni
leurs noms, ni leurs a étions, aux travaux des habiles
artiftes.
Enfin plufieurs raifons, qu’il n’eft pas néceffaire de
détailler, nous annoncent que la fculpture feroit déjà
fannée dans ce royaume , fans les foins continuels
du prince qui lafoutient par de grands ouvrages auxquels
il l’occupe continuellement. ( Le chevalier DE
J AU COU R T . )
S c u l p t u r e e n B r o n z e , (Hijl. des beaux Arts
ant;q.) Nous ne traiterons ici que l’hiftorique ; les
opérations de l’art ont été favamment expofées au
mot B r o n z e .
Les ouvrages des Grecs, en bronze, étoient également
recommandables pan l’élégance de leur travail
& la magnificence de leur volume. Il ne faut pas s’en
étonner, ce genre de monument avoit pour objet la
religion, la récompenfe du mérite, une gloire noble
& bien placée.
La pratique de leurs opérations nous eft inconnue.
Pline n’en a pas parle. Il n’a décrit ni les fourneaux
des fculpteurs, ni leur maniéré de fondre, ni
l’alliage des matières qu’ils fondoient. Nos artiftes
doivent regarder le filence de cet hiftorien en ce
genre, comme une perte dans les A rts, parce qu’on
auroit pu tirer un grand profit des différences de
leur pratique, & des lumières qu’ils avoient acquifes
par une manoeuvre jufte ? & qu’ils ont fi conftam-
ment répétée. On doit moins regretter de n’être pas
inftruit du mélange de leur matière ; ce mélange a
toujours été affez arbitraire, c’eft-à-dire, dépendant
de la volonté & de l’habitude des fondeurs.
De plus, ce qui eft affez rare dans la nature, on peut
faire des expériences de ce mélange en petit, &: elles
font toujours certaines & utiles dans le grand.
Le nombre des ftatues de toute grandeur, que les
anciens ont faites en bronze, eft prefque incroyable.
Les temples, les places publiques, les maifons des
particuliers en étoient chargées : mais l’on ne peut
s’empêcher de fe récrier fur les entreprifes grandes
& hardies qu’ils ont exécutées dans cette opération
de l’art. Nous voyons, dit Pline, des maffes de ftatues,
auxquelles on donne le nom de colojfes, & qui
reffemblent à des tours. Tel étoit l’Apollon placé '
dans le capitole, & que Lucullus ayoit apporté
S C U
d’Apoïlonie de Thrace. C e colofle dont, îa hauteur
étoit de trente coudées (45 pies) avoit coûté cinq
cens talens, (environ deux millions trois cens cinquante
mille livres de notre monnoie.) Telle étoit
la ftatue coloffale de Jupiter que l’empereur Claude
avoit confacrée dans le champ de Mars; & t e lle Jupiter
que Lyfippe fità Tarènte, qui avoit quarante
coudées de haut.
Mais un nombre prefque infini d’artiftes s’illuf-
trerent par la prodigieufe quantité de petites ftatues
de fonte & de bronze qu’ils produifirent, les
unes grandes comme nature, & d’autres feulement
d’un ou deux piés. On en eft cqnVaincu par la quantité
de petits bronzes, qui fubfiftent encore. Il eft
vrai que lés bronzes grecs font rares, & que nous
n’en connoiffons giiere que de romains; mais nous ne
pouvons douter que Rome n’ait toujours été lé finge
de la Grece. La feule flotte de Mummius tranfporta
de Corinthe à Rome trois mille ftatues de marbre ou
de bronze, dont vraiffemblablement la plus grande
partie, étoit- ce que nous appelions des bronzes au-
deffus & audeffous d’un pié.
Les Grecs étoient dans l’ufage de couvrir leurs
bronzes avec du bitume ou de la poix. Ils ne pou-
voient prendre cette précaution que pour les con-
ferve r, & leur donner l’éclat & le brillant qu’ils
aimoient. Pline eft étonné que les Romains ayent
préféré la- dorure à cet ufage ; & en cela il parle
non-feulement en phifofophe ennemi du luxe, mais
en homme de goût, & au fait des Arts. La dorure a
plufieurs inconvéniens, dont Te principal fur-tout
quand on dore une ftatue qui n’a point été faite
pour être dorée, eft de l’empêcher de s’éclairer
félon la penfée & l’intention de l’auteur. Quant
à la poix dont les anciens couvroient leurs bronzes
, nous n’avons rien à defirer ; les fumées &
les préparations de nos artiftes font d’autant préférables,
qu’elles ont moins d’épaiïleur.
Il paroît par Pline , que la première ftatue de
bronze que l’on ait fondue à Rome, fut une Cérès
confaçréè par Spurius Caflîus, qui fut tué par fon
propre pere pour avoir afpiré à la; royauté. Les ftatues
de Romulus, que l’on voyoit dans le capitole,
& des rois prédéceffeurs de Tarquin', avoient été
fondues ailleurs, & tranfportées enfuite à Rome.
Cependant, quoique l’ufage de la fonte fut très-ancien
en Italie, elle continua de former fes dieux de
terre ou de bois jufqu’à la conquête de l’Afie. Toutes
ces obfervatïons font de M. de Caylus : je les ai pui-
fées dans fes Dïjfertations fur Pline, dont il a enrichi
les mémoires de Littérature. (Le Chevalier D E J A U -
C O U R T .)
S c u l p t u r e e n M a r b r e ; c’eft l’art de tirer &
de faire fortir d’un bloc de marbre une ftatue, un
grouppe de figures, un portrait, en coupant, taillant
& ôtant le marbre.
Lorfqu’un fculpteur ftatuaire veut exécuter une
ftatue, un grouppe de figures, ou autre fujet en marbre
, il commence par modeler, foit en terre, foit
en cire, une ou plufieurs efquiffes, voye{ Modèle
& Esquisses de fon fujet, pour tâcher de déterminer,
dès ces foibles commencemens fes attitudes,
& s’affurer de fa compofition. Lorfqu’il eft fatif-
fait, & qu’il veut s’arrêter à une de fës efquifles,
il en examine toutes lés proportions. Mais comme
dans ces premiers projets il fe trouvé beaucoup plus
d’efprit & de feu que de çorreftion ; il eft indifpen-
fablement obligé de faire un modèle plus grand &:
plus fini, dont il fait les études. Voyeç E t u d e s
d’après le naturel. Ce deuxième modèle achevé, il
le fait monter & tirer en plâtre, pour le conduire
a faire un troifieme modèle, qu’il fait à l’aide de
l’échelle de proportion ou pié réduit, de la même
grandeur & proportion qu’il veut exécuter fon fujet
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en. marbre. C’eft alors qu’il redouble fes attentions
qu’il examine & qu’il recherche avec foin toute la
correCHoh, la fineffe, la pureté & l’élégance des
contours. Il fait encore mouler en plâtre ce troifieme
modèle afin de le conferver dans fa grandeur & dans
fa proportion. Car s’il fe contentoit de fon modèle
en terre, il ne retrouveroit plus fes mefures, parce
que la terre en fe féchant fe concentre & fe retire,
ce qui le jetteroit dans un extrême embarras. Pour
déterminer la bafe du bloc de marbre , il fait faire
un lit fous la plinte du bloc, voye^ L i t s o u s l a
p l i n t e , & ce lit lui fert de bafe générale pour diriger
toutes fes’ mefures & tirer toutes fes lignes. Alors
il donne fur le bloc de marbre les premiers coups de
crayon , puis il le fait épanneler, V"jyeçEPANNELER.
Enfuite il fait élever à même hauteur le modèle &
le bloc de marbre, chacun fur une felle femblable &
proche l’une de l’autre à fa diferétion, voye^ S e l l e .
Quand le modèle & le bloc dë marbre font placés à
propos, l’on pofehorifontalementfurlatêtede l’u n&
de l’autre des chaflis de menuiferie, quàrrés & égaux,
& qui reviennent jufte en mefure avec ceux qui portent
les bafes ou les plintes des figures , voye^ les
Planches & les fig. de la Sculpture. L’on à de grandes
réglés de bois qui portent avec elles plufieurs morceaux
de bois armés d’une pointe de fer qui parcourent
à volonté tout le long de la réglé, & que
l’on fixe néanmoins où l’on veut avec dés vis : c’eft
l ’effet du trüfquin, voye?^ T r u s q u in . Ces réglés fe
pofent perpendiculairement contre les chaflis qui
font au-deffus & au-deffous du modèle pour y prendre
dès mefures & les rapporter fur le bloc de
marbre, en les pofant fur les chaflis dans la même
direftion où elles ont été pofées fur ceux du modèle.
C ’eft avec ces réglés qu’on pourroit mieux appeller
compas, à caufe de leur effet, que l ’artiftè marque &
établit tous les points de direftion de fon ouvrage ,
ce qu’il ne pourroit pas faire avec les compas ordinaires
, dont on ne fauroit introduire les pointes
dans les fonds & cavités dont il faut rapporter les
mefures. Il eft manifefte que cette opération fe réitéré
fur les quatre faces du bloc de marbre & du
modèle autant de fois que le befoin le requiert : car
la figure étant ifolée, demande à être travaillée avec
le même foin dans toutes fes faces.
L’artifte ayant trouvé & établi des points de direction,
qu’il a pofés à fon gré fur les parties les
plus faillantes de fon ouvrage, comme font les
bras, lés jambes, les draperies & autres attributs;
il retrace de nouveau les maffes ou fommes de la
figure du fujet, & fait jetter à-bas les fuperfluités
du marbre jufqu’au gros de la fuperficie, par des
ouvriers ou éleves, le repofant fur eux de ce pénible
travail, mais ayant toujours les yeux fur
l’ouvrage, de crainte qiie ces foibles ouvriers n’atteignent
les véritables nus & points du fujet. Il doit
aufli leur faire faire attention à ne travailler que fur
le Fort du marbre, cela s’entend, en cé que les outils
& les coups de maffe foient toujours dirigés
vers le centre du bloc. Autrement ils courroient
rifque d’étonner & d’éliter quelques parties du
marbre qui n’eft prefque jamais également fain,
étant fouvent compdlé de parties poufes & de
parties fieres. Voye^ P o u f & F i e r .
Les outils dont on fe fert pour cette ébauche
font la mafle, les pointes, les doubles pointes, la
marteline & la gradive, avec lefquels , ,en ôtant le
fuperflu petit-à-petit, on voit fortir le fujet. Alors
i’artifte luit de près l’approche de la figure, avec le
cifeau&tous lés autres outils quiluiiont néceffai-
res ; & il né la quitte plus qu’il ne l’ait terminée au
plus haut point de pêrfeCtion qu’il eft capable de
lui donner.
De quelque outil qu’il fe ferve,foit marteline,