mais quand ils "furent mêlés parmi les Barbares, ils ÿ
•contrarièrent un efprit d’indépendance qui faifoit le
caraftcre de ces nations; & fi l’on lit les guerres de Bé-
ïifaire contre lesGoths,on verra un général prefque
toujours dëfobéi par fes officiers.
Dans cette pofition, Attila parut dans le monde
pour foumettre tous les peuples du nord. Ce prince
dans fa maifon de bois, oîi nous le repréfente Prifi
eus, fe fit connoître pour un des grands monarques
dont l’hiftoire ait jamais parlé. Il étoit maître de
toutes les nations barbares, & en quelque façon de
prefque toutes celles qui étoient policées. Il s’étendit
depuis le Danube jufqu’au Rhin, détruifit tous
les forts & tous les ouvrages qu’on avoit faits fur ces
fleuves , 8c rendit les deux empires tributaires. On
voyoit à fa cour les ambafladeurs des empereurs qui
venoient recevoir fes lois, ou implorer fa clémence.
Il avoit mis fur l’empire d’orient un tribut de deux
mille cent livres d'or. 11 envoyoit à Conftantinople
ceux qu’il vouloit récompenfer, afin qu’on les comblât
de biens, faifant un trafic continuel de la frayeur
•des Romains. Il étoit craint de fes fujets ; & il ne
paroît pas qu’il en fut haï. Fidèlement fervi des fois
mêmes qui étoient fous fa dépendance, il garda pour
lui feul l’ancienne fimplicité des moeurs des Huns.
Après fa mort, toutes les nations barbares fe re-
diviferent ; mais les Romains étoient fi foibles, qu’il
n’y avoit pas de fi petit peuple qui ne put leur nuire.
Ce ne fut pas une certaine invafion qui perdit l’empire
; ce furent toutes les invafions. Depuis celle
qui fut fi générale fous Gallus, il fembla rétabli,
parce qu’il n’avoit point perdu de terrain ; mais il
alla de degrés en degrés , de la décadence à fa chute,
jufqu’à ce qu’il s’affaifl'a tout-à-coup fous Arcadius
8c Honorius.
En vain on auroit rechafle les Barbares dans leur
pays , ils y feroient tout de même rentrés , pour
mettre en fureté leur butin. En vain on les extermina,
les villes n’étoient pas moins faccagées, les villages
bridés , les familles tuées ou difperfées. Lorf-
qifune province avoit été ravagée, les barbares qui
fuccédoient, n’y trouvant plus rien , dévoient paffer
à une autre. On ne ravagea au commencement que
laThrace , la Myfie , la Pannonie. Quand ces pays
furent dévaftés , on ruina la Macédoine, la Theffa-
lie , la G rece; de-là il fallut aller aux Noriques. L’empire
, c’eft-à-dire le pays habité, fe rétréciffoit toujours,
& l’Italie devenoit frontière.
L’empire d’occident fut le premier abattu , 8c Honorius
fut obligé de s’enfuir a Ravennes. Théodoric
s’empara de l’Italie, qu’Alaric avoit déjà ravagée.
Rome s’étoit aggrandie-, parce qu’elle n’avoit eu
que des guerres fucceffives, chaque nation, par un
ibonheifr inconcevable , ne l’attaquant que quand
l’autre avoit été ruinée. Rome fut détruite , parce
que toutes les nations l’attaquerent à la fois, 8c pénétrèrent
partout.
L’empire d’orient (dont on peut voir l’article au
mot Orient) , après avoir effuyé toutes fortes de
tempêtes, fut réduit fous ces derniers empereurs,
aux faubourgs de Conftantinople, 8c finit comme le
Rhin, qui n’eft plus qu’un ruiffeau lorfqu’il fe perd
dans l ’Océan.
Je n’ajoute qu’une feule, mais admirable réflexion,
qu’on doit encore à M. de Montefquieu. Cë n’eft
pas, dit-il, la fortune qui domine le monde ; on peut
le demander aux Romains qui eurent une fuite continuelle
de profpérités ', quand ils fe gouvernèrent
fur un certain plan, & une fuite non interrompue
de revers, lorfqu’ils fe conduifirent fur un autre. Il
y a des caufes générales, foit morales , foit phyfi-
ques, quiagiffent dans chaque monarchie, l’élevent,
la maintiennent ou la précipitent ; tous les accidens
fouTO | çes taufes j ê{ 6 le hafard d’une bataillle
-, c’eft-à-dire une caufe particulière, a ruine un
état, il y avoit une caufe générale qui faifoit que cet
état devoit périr par une feule bataille. En un mot,
l’allure principale entraîne avec elle tous les accidens
particuliers. (Le Chevalier de J au court?)
ROMAINS. Philofophie des Etriifques & des Romains^
( Hiß. de la Pkilojophie. ) nous lavons peu de choie
des opinions des Etrufques fur le monde, les dieux ,
l’ame 8c la nature. Ils ont été les inventeurs de la
divination par les augures , ou de cette fcience frivole
qui confifte à connoître la volonté des dieux,
Ou par le Vol des oifeaux, ou par leur chant, ou par
l’infpeôion des entrailles d’une viélime. O combien
nos.lumieres font foibles &,trompeufes I tantôt c’eft
notre imagination, ce font les événemens, nos pallions
, notre terreur 8c notre curiofité qui nous entraînent
aux fuppofitionsles plus ridicules;tantôt c’eft
une autre forte d’erreur qui nous joue. Avons-nous
découvert à force de raifon 8c d’étude quelque principe
vrailfemblable ou vrai ? Nous nous égarons dès
les premières conféquerices que nous en tirons, 8c
nous flottons incertains. Nous ne favons s’il y arvice
ou dans le principe, ou dans la conféquenCe ; 8c nous
ne pouvons nous réfoudre , ni à admettre l’un, ni à
rejetter l’autre, ni à les recevoir tous deux. Le fo-
phifme confifte dans quelque chofe de très-fubtil qui
nous échappe. Que répondrions-nous à un augure
qui nous diroit : écoute philofophe incrédule, 8c humilie
toi. Ne conviens-tu pas que tout eft lié dans la
nature ? . . . J ’en conviens. . . . Pourquoi donc ofes-tti
nier qu’il y ait entre la conformation de ce foie 8c
Cet événement, un rapport qui m’éclaire ? .. Le rapport
y efl fans doute, mais comment peut-il £ éclairer ?..
comme le mouvement de l’aftre de la nuit t’inftruit
fur l’élévation ou l’abaiffement des eaux de la mer ;
8c combien d’autres circonftances oh tu vois qu’un
phénomène étant, un autre phénomène eft ou fera ,
lans appercevoir entre ces phénomènes aucune liai-
fon de caufe 8c d’effet ? Quel eft le fondement de ta
fcience en pareil cas ? D’où fais-tu que fi Ton approche
le feu de ce corps, il en fera confirmé ? . . . .
De [ expérience. . . . Eh bien l’expérience eft aufiï le
fondement de mon art. Le hafard te conduifit à une
première obfervation, &moiauflï. J’en fis une fécondé
, une troifieme ; & je conclus, de ces obferva-
tions réitérées, une concomitance confiante 8c peut-
être néceffaire entre des effets très-éloignés 8c très-
difparates. Mon efprit n’eut point une autre marche
que le tien. Viens donc. Approche-toi de l’autel. Interrogeons
enfemble les entrailles des viôimes, 8c fi
la vérité accompagne toujours leurs réponfes, adore
mon art 8c garde le filence..... Et voilà, mon philo-
fophe, s’il eft un peu fincere, réduit à laiffer de côté
fa raifon , 8c à prendre le couteau du facrificaîeur ,
ou à abandonner un principe inconteftable ; c’eft que
que tout tient dans la nature par un enchaînement
néceffaire ; ou à réfuter par l’expérience même, la
plus abfurde de toutes les idées ; c’eft qu’il y a une
liaifon ineffable 8c fecrette, entre le fort de l’empire
8c l’appétit ou le dégoût des poulets facrés. S’ils
mangent, tout va bien ; tout eft perdu, s’ils ne mangent
pas. Qu’on rende le philofophe fi fubtil que l’on
voudra , fi l’augure n’eft pas un imbécille, il répondra
à tout, 8c ramènera le philofophe, malgré qu’il
en ait, à l’expérience.
Les Etrufques difoient, Jupiter a trois foudres :
un foudre qu’il lance au hafard , 8c qui avertit les
hommes qu’il eft ; un foudre qu’il n’envoy e qu’après.
en avoir délibéré avec quelques dieux 8c qui intimide
les médians ; un foudre qu’il ne prend que dans-
le confeil général des immortels, 8c qui écrafe 8c
qui p.erd.
Ils penfoient que Dieu avoit employé douze mille
ans à créer le monde, & partage fa durée en dou-
'zz périodes de mille ans chacune. Il créa dans les
premiers mille ans , le ciel 8c la terre ; dans les féconds
mille ans, le firmament ; dans les troifiemes,
la mer 8c toutes les eaux; dans les quatrièmes,.le fo-
leil, la lune 8c les autres aftres qui éclairent le ciel ;
dans les cinquièmes, les oifeâux , les infe&es, les
reptiles,les quadrupèdes, 8c tout ce qui vit dans l’air,
dans les eaux 8c fur la terre. Le monde avoit fix milles
ans, que l’homme n’étoit pas encore. L’efpece
humaine lubfiftera jufqu’à la fin de la derniere période
; c’eft alors que les tems feront confommés.
Les périodes de la création des étrufques, corref-
pondent exa&ement aux jours de la création de
Moïfe. j Il arriva fous Marius un phénomène étonnant. On
entendit dans le ciel le fon d’une trompette, aiguë 8c
lugubre ; 8c les augures Etrufques confultés en inférèrent
le paffage d’une période du monde à une autre
, 8c quelque changement marqué dans la race
des hommes.
Les divinités d’Ifis 8c d’Ofiris ont-elles été ignorées
ou connues des Etrufques ? c’eft une queftion
que nous laiffons à difeuter aux érudits.
Les premiers Romains ont emprunté fans doute ,
des Sabins, des Etrufques , 8c des peuples circon-
voifins, le peu d’idées raifonnables qu’ils ont eues ;
mais qu’étoit-ce que la philofophie d’une poignée
de brigands, réfugiés entre des collines, d’où ils ne
s’échappoient par intervalles, que pour porter le fer,
le feu , la terreur 8c le ravage chez les peuples malheureux
qui les entouroient ? Romulus les renferma
dans des murs qui furent arrofés du fang de fonfrere,
Nurna tourna leurs regards vers le c ie l, & il en fit
defeendre les lois. Il éleva des autels ; il inftitua des
danfes , des jours de folemnité 8c des facrifices. Il
connut l’effet des prodiges fur l’ëfprit des peuples ,
i8c il en opéra ; il fe retira dans les lieux écartés 8c dc-
ferts ; conféra avec les nymphes ; il eut des révélations
; il alluma le feufacré ; il en confia le foin à des
veftales ; il étudia le cours des aftrés, & il en tira la
mefure des tems. Il tempéra les âmes féroces de fes
fujets par des exhortations , des inftitutions politiques
8c des cérémonies religieufes. Il éleva fâ tête
entre les dieux pour tenir les hommes profternés à
fes pies j il-fe donna un caraâere augufte, en alliant
ie rôle de pontife à celui de roi. Il immola les coupables
avec le fer fiicré dont il égorgeoit les vi&i-
mes. Il écrivit, mais il voulut que fes livres fuffent
dépofés avec fon corps dans le tombeau, ce qui fut
exécuté. Il y avoit cinq cens ans qu’ils y étoient,
lorfque dans une longue inondation, la violence des
eaux fépara les pierres du tombeau de Numa, 8c offrit
au prêteur Petilius les volumes de ce légiflateur.
On les lut ; on ne crut pas devoir en permettre la
connoiffance à la multitude , 8c on les brûla.
Numa difparoît d’entre les Romains ; Tullus Hof-
tilius lui fuccede. Les brigandages recommencent.
Toute idée de police 8c de religion s’éteint au milieu
des armes, & la barbarie renait. Ceux qui commandent
n’échappent à l’indocile férocité des peuples,
qu’en la tournant contre les nations voifines ; & les
premiers rois cherchent leur fécurité dans la même
politique que les derniers confuls. Quelle différence
d’une contrée à une autre contrée ? A peine les Athéniens
8c les Grecs en général ont-ils été arrachés des
cavernes 8c raffemblés en fociété, qu’on voit fleurir
au milieu d’eux les Sciences 8c les Arts, & les progrès
de l’efprit humain s’étendre de tous côtés, comme
yn grand incendie pendant la nuit, qui embrafe
8c éclairé la nation, 8c qui attire l ’attention des peut
pies circonvoifins. Les Romains au contraire ref-
tent abrutis jufqu’au tems où l’académicien Carnéa-
de , le ftoïcien D iogène, 8c le peripatéticien Crito-
laus viennent folliciter au féjxat la remife de là fom-
Tome XIE.
me d’argent à laquelle leurs compatriotes avoient été
condamnés pour le dégât de la ville d’Orope. Publius
Scipion , Nafica 8c Marius Marcellus étoient alors
confuls, 8c Aulus-Albinus exerçoit la préture.
Ce fut un événement que l’apparition dans Rome
des trois philofophes d’Athènes, On accourut pour
les entendre. On diftingua dans la foule, Lelius, Fu-
rius 8c Scipion, celui qui fut dans la fuite furnommé
l'Africain. La lumière alloit prendre, lorfque Caton
l’ancien, homme fuperftitieulement attaché à la grof-
fiereté des premiers tems, 8c en qui les infirmités de
la vieilleffe augmentaient encore une mauvailè humeur
naturelle, preffa la conclufion de l'affaire d’O rope
, 8c fit congédier les ambafladeurs.
On enjoignit peu de tems après au préteur Pom-
ponius, de veiller à ce qu’il n’y eût ni école, ni philofophe
dans R.ome, 8c l’on publia contre les rhéteurs
ce fameux decret qu’Aulugelle nous a confervé; il
eft conçu en ces termes : Sur la dénonciation qui
nous a été faite , qu’il y avoit parmi nous des hommes
qui accréditoient un nouveau genre de difcipli-
ne ; qu’ils tenoient des écoles où la jeuneffe romaine
s’affembloit ; qu’ils fe donnoient le titre de rhéteurs
latins, 8c que nos enfans perdoient le tems à les entendre:
nous avons penfé. que nos ancêtres inftrui-
foient eux-mêmes leurs enfans 8c qu’ils avoient pourvût
aux écoles, où ils avoient jugé convenable qu’on
les enfeignât; que ces nouveaux établiffemens étoient
contre les moeurs 8c les ufages des premiers tems ;
qu’ils étoient mauvais 8c qu’ils dévoient nous déplaire
; en conféquence nous avons conclu à ce qu’il
fût déclaré, 8c à ceux qui tenoient ces écoles itou*-
velles , 8c à ceux qui s’y rendent , qu’ils faifoient
une chofe qui nous déplaifoit.
Ceux qui fouferivirent à ce decret étoient bien
éloignés de foupçonner qu’un jour les ouvrages de
Cicéron , le poëme de Lucrèce , les comédies de
Plaute 8c de Térence , les vers d’Horace 8c de Virgile
, les élégies de Tibulle, les madrigaux de Catulle,
l’hiftoire de Salufte, deTite-Live 8c de Tacite
, les fables de Phedre, feroient plus d’honneur au
nom romain que toutes fes conquêtes, 8c que la pofi
térité ne pourroit arracher fes yeux remplis d’admiration
de deffus les pages facrées de fes auteurs, tandis.
qu’elle les déiourneroit avec horreur de l’infcrip-
tion de Pompée , après avoir égorgé trois millions
d'hommes. Que refte-t-ii de toute cette énorme grandeur
de Rome ? La.mémoire de quelques a&ions ver-
tueufes, & quelques lignes d’une écriture immortelle
pour diftraire d’une longue fuite d’atrocités.
L’éloquence pouvoittout dans Athènes. Les hom- •
mes ruftiques & gfofliers qui commandoient dans
Rome,craignirent que bientôt elle n’y exerçât le même
defpotifme. llleur étoit bien plus facile de chaffer
les Philofophes, que de le devenir. Mais la première
impreffion étoit faite, & ce fut inutilement que l’on re-
nouvella quelquefois le decret de profeription. La
jeuneffe fe porta avec d’autant plus de fureur à l’étude,
qu’elle étoit défendue. Les tems montrèrent que Caton
8c les peres confcripts qui avoient opiné après
lui, avoient manqué doublement de jugement. Ils
pafferent; & les jeunes gens qui s’étoient inftruits fe-
crétement, leur fuccéderent aux premières fon&ions
de la république, 8c furent des proterieurs déclarés
de la fcience. La conquête de la Grece acheva I’out
vrage. Les Romains devinrent les difciples de ceux
dont ils s’étoient rendus les maîtres par la force des
armes, 8c ils rapportèrent fur leurs fronts le laurier
de Bellone entrelacé de celui d’Apollon. Alexandre
mettoit Homere fous fon oreiller ; Scipion y mit Xé-
néphon. Ils goûtèrent particulièrement l’aufterite
lîoïcienne. Ils connurent fuceeflivement i’Epicureif-
me, le Platonifme, le Pythagorifme, le Cynifme ,
l’Ariftotélifme, & la Philofophie eut des' fixateurs