
L’impression en France. —- L’insurrection continuait
sans qu’on pût l’arrêter, bien que la position d’Ant-
bohitsimafy eût été enlevée, le 18 juillet, aux rebelles du
triotes, s attaquant aux propriétés et aux personnes des Européens sans acception
de nationalité. On a vu que leurs premières yict’mes avaient été le missionnaire
anglais Johnson et sa famille ; puis, en février, deux prospecteurs,
un Belge et un Anglais, avaient été massacrés par le brigand Rainibetsimi-
saraka. La masse rebelle, composée de campagnards peu instruits* voyait Tin-
dépendance nationale menacée par les blancs et se battait contre les blancs,
sans faire de différence entre les Français, les Anglais et les Norvégiens ;
elle exterminait aussi les évangélistes indigènes, pour punir en eux les complices
de l'étranger, les importateurs de sa doctrine, et elle vouait la même
haine aux officiers royaux qui marchaient d’accord avec nous. De novembre
1895 à septembre 1896, cent quinze chapelles ou écoles indigènes catholiques
furent détruites ou mises à sac, et dans la même période plus de six cents
écoles ou temples, patronnés par Jes missions protestantes norvégiennes et
anglaises, subirent le meme sort. Aussi l’attitude des Anglais comme des
Norvégiens était-elle celle de gens menacés comme nous dans leur existence
et dans leurs biens ; celte menace (n’eussent-ils pas eu d’autres mobiles) suffisait
à les amener à faire cause commune avec nous, à nous prêter notamment
le concours de leurs informations souvent précieuses, et à attendre de nos
armes le minimum de protection que nous ne pouvions, contre des hordes
sauvages, refuser aux Européens établis à l’ombre du drapeau français. Eh
fait, aucune faute ne lut relevée en 1896 a la charge des missionnaires
étrangers, et, dès lors, le résident général n’avait pas à sévir à leür égard.
« Mais on accusait la reine et les ministres malgaches de se servir contre
nous de 1 autorité que nous leur avions imprudemment laissée. Les journaux
ignoraient que nous avions retenu entre nos mains l’autorité tout entière,
ne conservant dans notre organisation les ministres et* la reine que comme
une enseigne utile pour rassurer la population indigène et lui montrer en
nous des amis marchant d’accord avec ses anciens chefs légitimes. Le personnel
de l’administration centrale indigène, composé d’hommes triés d’abord
avec soin par M. Rancbot, était d’ailleurs sous la direction et la surveillance
immédiates du secrétaire général de la résidence, du directeur de l'intérieur,
de chefs de bureaux et d’interprètes français, qui tous travaillaient au
milieu d’eux, dans les mêmes locaux, du matin au soir.
« La reine ne disposait pas de plus d’initiative ; elle ne signait que des actes
préparés par nous et qui ne devenaient ensuite exécutoires que revêtus de la
signature du résident général. Dépourvue d’ambition politique, dépourvuè de
la capacité et du caractère indispensables pour jouer un rôle indépendant,
inoffensive, craintive, Ranavalona était entouree par nous d’une surveillance
qui la montrait sans reproche. La prétendue faiblesse, dont le résident général
aurait usé avec elle, consistait en des égards extérieurs, en une simple
courtoisie, dont les instructions de Paris recommandaient de ne point se
départir.
« La reine, comme un assez grand nombre de ses sujets, avait accepté
sin èrement la souveraineté de la France, en attendant la réalisation de progrès
considérables pour l’île, et s’efforçait de nous apporter un loyal concours,
c’est-à-dire, avant tout, une soumission docile (car nous^ étions portés à ac^
siid, et qu’au commencement du mois d’août, Ambaton-
drazaka eût été pour la seconde fois débloqué.
En France, l’opinion publique était très émue d e là
cueillir avec circonspection plutôt qu’à encourager les initiatives de son gouvernement).
Tandis que nous cherchions des indigènes capables d exercer
les hautes fonctions de gouverneurs généraux des provinces, nous ne l’avions
pas consultée (tant elle comptait peu 1). Elle osa prier le résident général de
l’écouter, et lui désigna trois hommes, recourant, pour lui faire comprendre
leur mérite, à une curieuse comparaison employée en langue malgache : « Ils
ne sont pas, dit-elle, confondus dans la masse des étoiles; ils sont comme
les trois brillantes qu’une brasse sépare entre elles.' » (Ce. sont les trois
étoiles formant le baudrier d’Orion, considérées comme plus brillantes que
les autres étoiles du ciel, et paraissant, aux yeux des habitants de la terre,
distantes seulement d’une brasse de ¡’une i l’autre. En termes moins imagés,
la reine aurait dit : « Ce sont tout à fait trois hommes d’élite. #)
« Le .résident général nomma ces trois candidats. Six semaines plus tard,
le premier d’entre eux, Rakoutouvoualave, défendant avec une poignée de
soldats le chef-lieu du Vounizoungue, où trois Français étaient réfugiés, était
frappé de trente-six blessures et succombait glorieusement. Quinze jours plus
tard le second, Rainitsimbe, gouverneur général du Marouvatua, accompagnait
en tournée le résident Pradon, lorsque cent cinquante rebelles, se montrant
sur les rochers qui dominaient le sentier, y firent pleuvoir les balles ; le résident
Pradon ordonna à ses compagnons de se coucher à terre en attendant
l’arrivée de l’escorte qui était à un quart d’heure en arrière ; mais comme
lu’-mème restait debout, Rainitsimbe voulut rester debout aussi, le couvrit
de son corps, et fut tué presque aussitôt. — Le troisième gouverneur général
nommé à l’instigation de la reine s’appelle Rainidzaunare ; c’est lui qui, à
la tète de ses soldats, délivra Antsirabe, où trepte-cinq Européens étaient
assiégés depuis trois jours par mille rebelles ; son infatigable dévouement et
son éclatante bravoure secondèrent si bien le résident Alby que la rébellion,
en 1896, ne put pénétrer dans le Vakinankaratra ; il fut proposé pour la
croix, reçut du ministre des colonies une médaille d’honneur, et demeura
sous le général Gallieni, jusqu’en igo3, chef de province. Tels étaient les
hommes que nous offrait le gouvernement de la reine, les hommes que
M. Laroche avait investis de hauts commandements indigènes. On en pourrait,
citer bien d’autres, qui ont prouvé leur loyalisme en versant à notre
service, comme Rainitsimbe et Rakoutouvoualave, jusqu’à la dernière goutté,
dè leur sang.
« L’opinion publique française s’égarait donc en imputant au résident général
civil, sans pouvoir d’ailleurs indiquer aucun fait à l’appui de cette imputation,
de tolérer des menées coupables, de la part des étrangers, de la part
de la reine ou de la part des chefs indigènes, à qui il avait confié d’importantes
fonctions. Ces prétendues menées ne se sont pas produites; la rébellion
avait quelques chefs d’une grande activité; c’est dans ses rangs qu’il
fallait les chercher, au lieu de la supposer inspirée ou conduite à distance
soit par des étrangers, qui étaient comme nous ses victimes, soit par des indigènes
du nombre de ceux qui, groupés autour du représentant de la France
à Tananarive, étaient deyenus pour elle des sujets soumis et fidëies. » (Note
de M. le résident général H. Laroche.)