
.An. io9J. Quelque tems après, la plupart des évêques & des
feigneurs vinrent à Haftingues par ordre au roi lui
fouhaiter un heureux voïage , comme il alloit paflet
en Normandie. Le roi y féjourna un mois retenu par
les vents contraires. Un jour l’archevêque l’étant venu
v o i r , 8c étant affis auprès de lui , fuivant la coutume
, lui dit : Sire, afin que votre entreprife Toit heu-
reufe , commencez par nous accorder votre protection,
pour rétablir en votre roïaume la religion qui
s’en va perdue. Quelle protection ? dit le roi; Aniel-
me reprit : Ordonnez que l’on tienne des conciles félon
l’ancien ufage. Car il ne s’en eil point tenu de
général en Angleterre depuis que vous êtes r o i , ni
long-tems auparavant. Cependant les crimes fe multiplient
, 8c paifent en coutume. Ce fera , dit le r o i ,
quand il me plaira , 8c nous y penferons dans un autre
tems. Puis il ajouta en raillant : Et dequoi parleriez
vous dans un concile ? l’archevêque reprit: Des
mariages illicites-, 8c des débauches abominables qui
fe font depuis peu introduites en Angleterre , 8c
qu’il faut reprimer par des peines qui répandent la
terreur par tout le roïaume. Et en cela , dit le r o i ,
que feroit-on pour vous ? Anfelme dit : Si on ne fai-
foit rien pour moi on feroit pour Dieu & pour vous-
même. C ’efb aiTez , dit le r o i , ne m’en parlez pas davantage.
L’archevêque changeant dedifcours ajouta :
il y a plufieurs abbaïes fans pafteurs ; ce qui fait que
les moines mènent une vie feculiere 8c meurent fans
penitence. Je vous confeille donc 8c vous prie d’y
mettre des abbez : il y va de vôtre falut. Alors le roi
ne pouvant plus fe contenir , lui dit en colere : Que
vous importe ? les abbaïes ne font-elles pas à moi ;
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vous faites ce que vous voulez de vos terres : ne ferai-
je pas ce qu’il me plaira de mes abbaïes ? Elles font à
vous, dit le prélat,pour en être le protedeur, non pour
les piller, biles font à Dieu , afin que fes ferviteurs en
v iv e n t , non pour foûtenir vos guerres. Vous avez des
domaines 8c de grands revenus pour fubvenir à vos affaires
; laiiTez. à l’églife fes biens. Sachez dit le roi,
que ces difcours me déplaifent extrêmement. Vôtre
predecelfeur n’eût ofé parler ainfi à mon pere ; 8c je
ne ferai rien à vôtre confideration. Anfelme voïant
qu’il parloir en l’air , fe leva 8c ie retira. Enfuite con-
fiderant combien il lui importoit, pour l’intérêt même
de l’églife , d’être bien avec le roi : il le fit prier
de lui rendre fes bonnes grâces , ou de dire en quoi
il l’avoit offenfé. Le roi di t , qu’il ne l’accufoit de rien :
mais qu’il ne lui rendroit point ion amitié ; 8c les
évêques dirent à Anfelme, que le feul moïen de fe raccommoder
avec le r o i , étoit de lui donner de l’argent :
à. quoi il ne putfe refondre, prévoïant les confequen-
ces.
Ce fut en ce tems-là qu’Anfelme confulta Hugues
archevêque de Lion , fur la conduite qu’il devoir tenir
à l’égard du roi. Il y a des terres, d it - il, que des
gentilshommes Anglois ont tenues de l’archevêque de
Cantorberi , avant que les Normans entrafTent en
Angleterre. Ces gentilshommes font morts fans en-
fans : le roi prétend pouvoir donner leurs terres à
qui il lui plaira : voici ma penfée. Le roi m’a donné
l’archevêché , comme Lanfranc mon predeceffeur l’a
pofledé jufques à la fin de fa vie ; 8c maintenant il
ôte à cette églife ce dont Lanfranc. a joüi paifible-
ment fi long tems. Or je fuis affuré, qu’on ne don-
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