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A n. 1091. leur faifant obfervër une difcipline auffi exaéte que
dans le monaftere le plus régulier. Aucun n’eût ofé
parler à Ton compagnon, r ir e , ou regarder à droit ou à
gauche ; 8c quand ils étoient dans le choeur, on les eût
pris pour des moines deClugni. il ne leur fouffroit ni
fréquentation avec les femmes, ni parure dans leurs
habits ou leurs cheveux : autrement il les eût chaffez
de fon école, ou l’eût abandonnée lui même. A l’heure
de fes leçons il ne permettoit à aucun laïque d’entrer
dans le cloître des chanoines , qui étoit auparavant le
rendez-vous des nobles 8c des bourgeois pour terminer
leurs affaires. Il ne craignit pas de choquer par cette
défenfe Everard châtelain de Tournai : car il difo.it
qu’il étoit honteux à un homme fage, defe détourner
tant foit peu du droit chemin par la confideration des
grands. Toute cette conduite le faifoit aimer 8c efti-
mer , non-feulement des chanoines 8c du peuple, mais
de Rabod évêque de Noïon 8c de Tournai : toutefois
quelques-uns difoient, que fa régularité venoit plus
de philofophie que de religion.
il gouvernoit l’école de Tournai depuis près de cinq
ans, quand un clerc lui aïant apporté le livre de S. A u guftin
du libre arbitre, il l’acheta, feulement pour garnir
fa biblioteque ; 8c le jetta dans un coffre avec d’autres
livrés, aimant mieux alors lire Platon que S.Augu-
ftin.Environ deux mois après,expliquant à fes difciples
le traité de Boëce, de la confolation de la philofophie,
il vint au quatrième livre, où l’auteur parle du libre arbitre.
Alors fe fouvenant du livre qu’il avoit acheté, il fe
le fit apporter : 8c après en avoir lû deux ou trois pages,
il fut charmé de la beauté du ftile, 8c aïant appelle fes
difciples, il leur dit : J’avouë que j ’ai ignoré jufques à
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prefent,que S. Auguftin fût fi éloquent 8c fi agréable. A n.1051.
Auffi-tot il commença à leur lire cet ouvrage ce jour-
là 8c le fuivant, leur expliquant les paffages difficiles.
Il vint à l’endroit du troifiéme livre, oùS. Auguftin mAu^ m.*
comparel’ame pechereffe à un efclave condamné pour 17! 9'n'
fes crimes à vuider le cloaque , 8c contribuer ainfi à fa
maniéré à l’ornement delamaifon. A cette lecture Ou-
dard foupiradu fond du coeur, 8c dit :Helas ! que cette
penfée eft touchante ! Elle femble n’être écrite que
pour nous. Nous ornons ce monde corrompu de peu
de fcience que nous avons, mais après la mort nous ne
ferons pas dignes de la gloire celefte : parce que nous
ne rendons à Dieu aucun fervice , 8c que nous abufons
de notre fcience pour la gloire du monde 8c la vanité.
Aïant ainfi parlé il fe le v a , 8c entra dans l’églife fondant
en larmes : toute fon école fut troublée, 8c les
chanoines remplis d’admiration. Deilors.il commença
infenfiblement à ceffer fes leçons, aller plus fouvent a
l ’églife 8c diftribuer aux pauvres, principalement aux
pauvres clercs, l’argent qu’il avoit amail’é, car fes d ifciples
luifaifoient de grands prefens. Il jeûnoit fi ri-
goureufement, que fouvent il ne mangeoitque ce qu’il
pouvoir tenir de pain dans fa main fermée : de forte
qu’en peu de jours il perdit fon embonpoint, 8c devint
fi maigre 8c fi atténué, qu’à peine étoit-il connoiffable.
Le bruit fe répandit auffi-tôt dans tout le païs, que
le doèteur Oudart alloit renoncer au monde : quatre de
fes difciples lui promirent de ne le point quitter, 8c lui
firent promettre de ne rien faire que de concert avec
eux. Les abbez de toute la province, tant de moines
que de chanoines, vinrent à Tournai, 8c chacun invi-
toit Odon de venir à fon monaftere : mais fes difciples