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à te r re , & je l’arrofois de mes larmes. Enfin j’avois
recours à la fainte Vie rg e ma protectrice , qui m’a
toujours foutenuë. Mes habits s’étant u f e z , jai beaucoup
fouffert par le froid & par le chaud ; & fou vent
je tombois par terre & demeurois hors d’haleine &
fans mouvement. J ’ai ioutenu de grandes tentations
des dénions. Comme elle emploïoit de temps en temps
des pacages de l’écriturr, Zofime lui demanda fi elle
avoit étudié. A quoi elle répondit en fouriant:Croïez-
m o i , depuis que j’ai paifé le J ourd ain, je n’ai vû ame
Vivante jufqu’aujourd’h u i , pas même aucune bête ;
& je n’ai jamais rien appris : mais c’eft Dieu qui en-
feigne aux hommes la lcience. A u refte ne m’en demandez
pas davantage ; & de tout ce que je vous ai
d i t , je vous conjure par notre Seigneur Jefus-Cbrift
de n’en rien dire à perfonne jufqu’à ce que Dieu me
retire de ce monde. Faites feulement ce que je vais
vous dire. Le carême prochain ne paifez point le
J ourd ain , fuivant la coutume de votre monaflere.
Demeurez dans la maifon , & le foir du jeudi-faint
prenez le corps & le fang de J efus -Ch rift,& m’attendez
iur le bord du Jourdain du côté de la terre habitée.
Car je n’ai point reçu les facrez dons depuis que
je les reçus dans l’églife de S. Jean, & je les defire très-
ardemment.
Après avoir ainfi p a r lé , elle fe recommanda à fes
prières , & courut vers le fond du deferr. Zofime fe
mit à genoux , & baifa la terre où elle avoit arrêté
fes pieds : puis il s’en retourna louant Dieu & rempli
de jo ie , & le rendit au monaftere comme les autres
pour le dimanche des Rameaux. Pendant toute cette
année il n’ofaparler de ce qu’il avoit v û , attendant
avec impatience le carême fuivant. Les autres moines
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fortirent à l ’ordinaire ; pour lui la fièvre le p r it , &
l’obligea à demeurer , fuivant la prédiction de la
fainte, qui lui avoit dit qu’il ne pourroit fortir quand
il voudroit. Il guérit quelques jours après ; & le Jeudi
faint, il prit dans un petit calice le corps & le fang
de notre-Seigneur, & dans un panier des figues, des
datnôtes, & quelques len tille s , & alla s’aifeoir auprès
du Jourdain, attendant la fainte. M a is ilé to iten peine
comment elle le palferoit. Elle parut de l ’autre côté ,
& aïant fait le figne de la croix fur le fleuve , elle
vint marchant fur l ’eau. Etonné de ce miracle, il voulut
s’incliner devant elle : mais elle lui cria : Que faites
vous, mon pere, vous qui êtes prêtre, & qui portez
les divins myfteres ? Eniuite elle le pria de dire le
fymbole & l’o raifon dominicale j &c après avoir reçu
le faint facrement, elle le pria de revenir encore l ’année
fuivante : jufqu’au torrent où il l’avoit trouvée la
première fois. Il la pria de fon côté de prendre la
nourriture qu’il lui avoit appqrtée. Elle prit feulement
trois lentilles du bout des d oig ts , & fe recommanda
à fes prières, puis s’en retourna fur le Jourdain
comme elle étoit venue.
L ’année fuivante Zofime paifa dans le defert félon
la coûtume ; Si étant arrivé à la ravine il y trouva
la fainte étendue m o r te , & lui arroia les pieds de
fes larmes. Puis aïant recité des pfeaumes , & dit
les prières des funérailles, comme il doutoit s’il la
devoit enterrer , il vit écrit à terre près de fa tête :
Abbé Zofime , enterrez ici le corps de la pauvre
M a r ie , & priez pour moi qui fuis morte cette même
nuit de la paffion du Seigneur, après avoir reçu les
faints myfteres. Il eut bien de la joïe d’avoir appris
le nom delà fainte : mais il ne fçavoit comment creufer