F a tio distingue parmi les Truites de nos eaux deux formes, l’une
petite, forma rninor, la T r u i t e d e s r u i s s e a u x , le Sàlmo fario des
auteurs, l’autre grande, forma m ajor, la T r u i te d e s la cs, qu’il divise
en variétés rhmana, Lemani, meridionalis et excélsa.
La variété du Léman présente les caractères suivants: Tête forte,
oeil petit, maxillaire dépassant le bord postérieur de l’oeil. Livrée plus
■ou moins tachetée. Vorner de forme et de dentition particulières. (’)
A côté de cette Truite normale et féconde on trouve dans le Léman,
-comme dans la plupart dès lacs subalpins, une Truite, stérile, dont les
glandes génitales sont plus ou moins atrophiées, la T r u i t e b l e u â t r e
ou a r g e n té e . Ses formes sont plus élancées, sa tête plus conique,
son pédicule caudal plus allongé ; sa chair est rose ou saumonée, sa
taille plus faible que celle de la Truite normale» Les analogies avec le
type du Saumon sont frappantes. Aussi nombre d’auteurs attribuent-ils
cette forme au produit d’un croisement entre l’espèce Truite et l’espèce
-Saumon, le produit un m u le t étant, comme c’est le cas en général,
stérile. Cette opinion est fortifiée par le fait que les Truites argentées
n’ont pas été vues par J u r in e au commencement du XIXe siècle, et
qu’elles n’ont été signalées dans le Léman que depuis l’importation
dans notre lac du Saumon vers 1850. Cependant, d’autres arguments
trop longs à développer ici, empêchent d’adopter sans réserve'Cette
interprétation qui doit encore être spumise è. une discussion ultérieure.
Quant à la chair s a um o n é e , ce ne sont pas seulement les Truites
-stériles qui ont cette particularité, si fort appréciée p a rle s gourmets;
elle apparait accidentellement chez des Truites parfaitement fécondes,
sans qu’elle soit du reste signalée par aucun caractère extérieur. On
ne connaît pas avec certitude les conditions de sa production, qui est
attribuée par les pêcheurs à l’abondance des Crevettes, Gammarus,
■entrant dans le régime de la Truite.
Tandis que la Truite des ruisseaux reste toujours de petite taille,
peut-être parce qu’elle émigre dans les lacs sitôt qu’elle prend des
■dimensions trop grandes pour les creux des rivières où elle stationnait
dans sa jeunesse, la Truite des lacs peut devenir énorme dans les
grandes eaux de notre Léman. L u n e l en a vu une de 15ks avec
longueur maximale de 1,1m ; il signale de plus un squelette de Truité
(') Voir Fatio. Poissons, II, 349.
conservé au Musée d’histoire naturelle de Genève qui mesure 1,31™
de longueur. J u rin e , après avoir constaté que dans les quinze dernières
années (avant 1815) la plus grosse Truite pêchée dans les nasses de
Genève ne dépassait pas 32 livres de 18 onces (17,6ks), indique cependant
comme poids maximal 36 livres, soit 19,8ks. Il y a loin de là à la
Truite historique de 62 livres envoyée en 1663 de Genève à Amsterdam
dans les flancs d’un énorme pâté (*), et aux Truites légendaires de
G ré g o ir e de Tours qui pesaient un quintal. (a)
La Truite fraie normalement en octobre ou commencement de novembre,
dans les rivières et cours d’eau. Pour cela elle sort du lac;
elle entre dans les petits affluents, Aubonne, Venoge, Promenthouse,
etc., mais surtout dans le fleuve affluent, le Rhône du Valais, et dans
le fleuve émissaire, le Rhône de Genèvë. 11 est intéressant de constater
combien les instincts anadromes de ces poissons les font aussi bien
remonter contre le courant d’un fleuve glaciaire, aux eaux limoneuses
et froides, ou descendre -le courant d’un émissaire lacustre aux eaux
tièdes-èt limpides. Il est vrai qu’à deux kilomètres aval de Genève, ils
trouvent dans l’Arve, à supposer qu’ils y arrivent en évitant les nombreux
pièges et nasses qui leur sont tendus de tous côtés, les eaux
glaciaires qui semblent le mieux leur convenir; mais si réellement
les Truites savent se mettre à la recherche des eaux de l’Arve en tra versant
celles du Rhône genevois, il y a là bien plus qu’un fait d’instinct,
mécanique et impulsif, j’y vois une manifestation spontanée
d’une intelligence active, curieuse et aventureuse.
Leur sortie du lac commence déjà en avril et mai, mais n’atteint son
maximum d’activité qu’en été; la rentrée au lac commence à partir du
20 octobre et dure jusqu’à fin décembre. Jurine nous donne en tableau
le nombre des Truites pêchées de 1802 à 1807 dans les nasses de Ge-
nève; j’en tire les'chiffres extrêmes et moyens qui nous offrent des
notions intéressantes sur les allures de ces migrations temporaires.
0) « Anno 1663 Genevae Tratta LXII librarum capta uti ccutoiCTYji&àuxoxitjtoi;
miài retulit, quae opere pistorio condita Àmstelrodamum missa fuit. » J. J. Wagner
Historia naturalis Helveticae curiosa p. 220. Zurich 1680. '
(*) * In hoc stagno (Lemano) ferunt tructar.um piscium magnitùdinem usque ad
centum librarum pondera trutinari- ». Divi Gregorìi archiep. turonensis « De
gloria martyrum ». Cap. de Sancto Mauricio et sociis.