avaient poussé ses moraines frontales jusqu’au-delà de Lyon, était en
décrue; il s’effondrait sur place, à l’état de glacier mort, et il laissait re culer
son front de plus en plus haut dans la vallée. Où en était-il de ce
recul lorsque des chasseurs de Rennes sont venus s’établir dans les
grottes de Veyrier, près Genève ? Etait-ce dans les moraines latérales
de gauche de ce gigantesque glacier qui venait de s’adjoindre au pied
du Salève l’affluent puissant du glacier de l’Arve arrivant perpendiculairement
à l’axe du glacier principal1? Etait-ce dans la retraite du front
du glacier plus haut flans la vallée que Genève? Nous ne le savons. Toujours
est-il que les découvertes faites vers 1840 par T a i l l e f e r et
May o r, renouvelées et étendues vers 1870 par A. F a v r e (>), 11.
G o sse et T h io ly (*) ont permis d’affirmer le séjour dans notre
vallée de l’homme diluvien, ou paléolithique, contemporain des grands
glaciers.
Le lac élevait alors sa nappe à 30m au-dessus du niveau actuel, à la
cote 400-410“ ; le pays, au climat variable d’un voisinage de glaciers,
était habité par la faune diluvienne et par la flore alpine; le Mammouth
et le Renne laissaient leurs ossements dans le delta lacustre du Boiron,
près Morgès. L’homme lui-même était à un état fort primitif de Civilisation
: il savait briser un silex pour s’en faire avec les éclats un outil
ou une arme, mais il n’avait pas inventé l’art de tailler les pierres vertes
et de les aiguiser; il ignorait l’industrie du potier. En revanche il avait
appris à graver et à sculpter sur l’os où sur la pierre des dessins admirables,
premiers éléments des beaux arts, dont le génie naïf né sera
dépassé que bien plus tard, après de longs siècles de civilisation
progressive.
La découverte fait en 1870 par L. T a i lle f e r et H. d e S a u s s u r e
d’une station de l’âge du Renne, au Sex-du-Châtelard près de Ville-
neuve (3), quoiqu’elle ait fourni bien peu de documents nouveaux, a
cependant confirmé les faits mis en lumière par les fouilles de Veyrier
(4). Le pays était habité à l’époque du Renne.
(4) A. Favre. Station de l’âge de la pierre à Veyrier près Genève. Archives de-
Genève XXXI, 246,1868.
fi) F. Thioly. L’époque du renne au pied du Mont Salève. Revue Savoisienne,
mars 1868. — Documents sur les fiépoques du renne aux environs de Genève.
Bull, instit. Genevois, T. XV, 1869.
fi) H. de Saussure. La grotte du Sex, près Villeneuve. Station suisse de l’âge du
renne. Areh. Genève, XXXVIII, 105,1870, XLIV, 50, 1872.
fi) De nouvelles fouilles pratiquées en 1901 par les professeurs A. Schenk et
A. de Molin, de Lausanne, n’ont pas apporté de faits nouveaux.
Disons cependant qu’il était peu habité. Nous n’avons jamais rien
trouvé, en fait de monuments humains, dans les nombreuses carrières
de gravier et de sable ouvertes par centaines dans les terrasses postglaciaires
des rives du Léman. Pas une pierre taillée, pas un ossement
travaillé, pas un os humain; la population était fort clair-semée lors du
dépôt de ces cônes d’alluvion fluviatile, contemporains des cavernes
de Veyrier.
Après un intervalle Considérable, dont nous ne pouvons ni mesurer
ni apprécier la durée, mais qui compte certainement par milliers d’années,
après ce que j’ai appelé une lacune historique, et sur laquelle je
reviendrai plus loin, a commencé pour notre contrée la seconde période
de l’histoire anté-historique h umaine, la période lacustre o u l’époqu e
des Palafitteurs.
Le pays a pris son faciès actuel ; le niveau du lac s ’est abaissé et s’est
arrêté à peu près à la hauteur que nous lui connaissons aujourd’hui;
la faune, la flore, le climat ont acquis les caractères qui se sont continués
sans modifications jusqu’à nos jours; dans les forêts, le Cerf et
le Chevreuil ont succédé au Renne des moraines glaciaires. A cette
époque, de date inconnue, est arrivé dans la région subalpine un peuple
nouveau, venant on ne sait d’où, connaissant l’art du potier, sachant
marteler et polir des haches de pierre dure, peuple caractérisé par la
singulière coutume qui lui a valu son nom : Pfahlbauer des Allemands,
Palafitteuren français; émule des Castors, il bâtissait ses demeures de
bois et de branchages sur des pilotis plantés dans le sable de la beine
des lacs. C’est ce qu’on a appelé les populations lacustres, ou en abrégé
les Lacustres : je préfère le mot de Palafitteurs qui est d’une désignation
plus complète et moins ambiguë. Ce peuple néolithique, de culture
relativement avancée, a longtemps habité notre pays ; nous en décrirons
les moeurs d’après les ruines et les monuments archéologiques qu’il a
lâissés dans les eaux de nos lacs. Il a passé successivement de la civilisation
de la pierre à celle du bronze; il a même vu les premières
importations du fer. C’est par longues séries de siècles que doit se mesurer
son histoire dont les péripéties détaillées nous resteront toujours
ignorées.
L’âge du bronze lacustre se développait brillamment, et la civilisation
atteignait un degré remarquable de prospérité industrielle quand
est survenue une invasion qui nous amène presque à l’histoire docu