ne savons dans quelle race philologique nons devons les faire entrer.
Ils ne sont logés nulle part dans l’arbre généalogique des nations; ils
sont une espèce incertae sedis.
Nous sommes donc obligés de leur donner un nom paléontologique.
Nous étudions leurs constructions et leur industrie, nous les admirons
comme nous le ferions d’une colonie de Castors donf nous re trouverions
les huttes à l’état fossile. Ce serait beaucoup pour des
bêtes. C’est peu de choses pour des hommes. Nous qui avons appris à
aimei Ces antiques habitants des bords de nos lacs, nous voudrions les
considérer comme appartenant à nos familles humaines. Hélas! ils restent
pour nous des étrangers. Nous ne pouvons les appeler ni des
Celtes, ni des Ligures, ni des Ibères, ni des Finnois, ni des Etrusques,
ni des Proto-helvètes, comme 011 l’a proposé. Palafitteurs, constructeurs
de pilotages, ils sont ainsi caractérisés par leur occupation la
plus évidente; mais qu’ont-ils à faire dans la lignée de nos peuples indigènes?
Nous l’ignorons-absolument, et pour mon compte je le déplore
douloureusement.
CHAPITRE IV. L’ÉBOULEMENT DU TAUREDUNUM
Un événement historique survenu en Bas-Valais', l’an 563 de notre
ère, a vivement ému l’imagination populaire qui en a conservé le souvenir
traditionnel jusqu’à nos jours; une certaine incertitude régnant
sur la localisation de la catastrophe, celle-ci est devenue le sujet de
discussions scientifiques souvent renaissantes; peu de questions ont
plus animé l’ardeur des historiens et des naturalistes suisses que celle
de 1 emplacement du château de Tauredunum.
Ayant pris une part, peu active il est vrai, dans le débat (‘>, qui du
reste intéresse incontestablement l’histoire du lac Léman, je dois exposer
ici les termes du problème, et la solution que je crois juste.
Les deux récits que nous possédons de la catastrophe sont dus à
des chroniqueurs contemporains.
(') Soc. Vaùd. Sc. turt. 2 févr. 1876. Bull. XIV, 473.
M a riu s , le premier évêque de Lausanne, fut élu évêqued’Avenches-
ën l’an 573 et mourut le 31 décembre 593 à Lausanne(i). Il avait
été contemporain, voisin, et presque témoin de la catastrophe de 563.
Son témoignage a donc de l’autorité. Voici la traduction complète du
passage de ses Chroniques qui nous intéresse (2) :
« Dans cette année une montagne considérable, appelée Tauretunum,,
dans le pays du Valais, s’écroula subitement en écrasant un château,,
des villages et tous leurs habitants. Il ébranla tellement le lac sur une-
longueur de 60 mille pas et sur une largeur de 20 milles que celui-ci
sortit de ses rives, qu’il ravagea des villages antiques, leurs habitants
et leurs troupeaux et qu’il détruisit plusieurs églises avec leurs desservants;
il renversa les ponts de Genève, les moulins et les hommes
et, pénétrant dans la ville, il y tua plusieurs personnes. »
Le récit de G r é g o i r e d e Tours est aussi d’un contemporain, mais
d’un témoin plus éloigné;- son narré est de seconde main. G e o r gi u s
F l o r e n t i u s G r e g o r i u s , né en Auvergne en 539, élu évêque p a r
la ville de Tours en 573, mort en 594, a écrit plusieurs livres renommés,
parmi lesquels son histoire des Francs qui'traite de l’histoire des
Gaules de l’an 417 à l’an 591. Voici comment il raconte l’événement,
qui s’est passé dans notre pays (3) :
« En Gaule, un grand prodige eut lieu au fort de Tauredunum; situé
sur une montagne, qui domine le Rhône. Après avoir fait entendre pendant
soixante jours une espèce de mugissement, cette montagne se détachant,
et se séparant d’une autre montagne contiguë,. se précipita
dans le fleuve avec les hommes, les églises, les constructions et les
maisons qu’elle portait; et lui barrant le passage entre ses rives qu’elle
obstruait-, elle refoula ses eaux en arrière. Cette localité en effet est resserrée
de toutes parts entre des montagnes, et le fleuve torrentueux
coule dans de véritables défilés. Inondant donc la partie supérieure^
le fleuve recouvrit et détruisit tout ce qui se trouvait sur ses rives. Puis
l’eau qui s’était accumulée en arrière, se frayant' un passage subit, atteignit
les hommes qui ne s’y attendaient pas, les noya, renversa leurs-
maisons, tua leur bétail, et tout ce qui était sur les bords, jusqu’à la
0 Secretan. Galerie Suisse I, 1, 8.
U M a r ii A .v e n t ic e n s is é p is , c lir o n ic o n . Mém. et doc. Soc. hist. Suisse--
romande XIII, 38. Lausanne jL853.
(3) S. Gr e g o r i i e p i s c o p i T u r o n e n s i s h i s t o r i a f r a n c or uni
IV, xxxi. Migne. Patrologtae cursus completus etc. LXXI, 298. Paris 1858.