2° L’eau des grands fonds n ’est pas partout pure, et n’a que sur les
talus du lac la limpidité que nous lui connaissons à la surface; sur la
plaine profonde du centre du Grand-lac, et souvent aussi probablement
dans les cuvettes du Petit-lac, elle est troublée par les eaux limoneuses
des affluents du Iac(‘). En été les eaux glaciaires du Rhône, au
pi intemps et en automne les eaux bourbeuses des rivières et torrents
gonflés par les pluies et la fonte des neiges ont, par leur charge d’allu-
vion, une densité supérieure à celle des eaux du lac. Elles gagnent dans
le lac le niveau correspondant à cette densité, s’y étalent en nappes
horizontales d’eau trouble, dont le limon se dépose lentement en se
précipitant sur le sol; les particules-très fines de l’alluviôn profonde
tombent à travers l’eau du lac comme les flocons de la neige traversent
notre atmosphère pour se déposer sur la terre. Dans ce procès de
précipitation sur le fond du lac, les couches inférieures sont successivement
traversées par toutes les poussières en suspension dans les
couches sus-jacentes; il en résulte que la turbidité dès couches d’eau
doit aller en augmentant de haut en bas.
L’eau qui repose sur la grande plaine centrale du Léman doit être
une eau très trouble, probablement tout à fait opaque, quelque chose
homme l’eau du Rhône d’été.
Le Rhône, l’affluent principal du Léman, présentant une variation annuelle
de limpidité, ayant pendant tout l’hiver des eaux relativement
ti ansparentes, cette variation peut-elle se faire sentir dans l’eau trouble
des grands fonds du lac; cette cpuche d’eau trouble de la plaine centrale
du lac peut-elle se clarifier d’un été à l’autre? La précipitation de
Falluvion impalpable en suspension dans l’eau est si lente que j ’ose à
peine le croire. Les expériences relatées plus haut(2) montrent qu’en
six jours une couche de 40™ d’eau n’a pas été clarifiée. D’après cela
il faudrait plus de 60 jours pour rendre transparente line couche d’un
mètre, près de 2 ans pour la clarification d’une couche de 10™ d ’épaisseur.
L’épaisseur de la couche d’eaux troubles du Léman n ’est pas
connue. Est-elle de 50™, de 100™?(3) Je n ’en sais rien. Mais je ne puis
croire que les eaux des grands fonds du lac arrivent jamais à une
limpidité parfaite.
■'.(*)'Voir1.1, p f86?.
© T. I, p. 106.
(:i) Cf. 1 observation des troublons du Rhône, t. II, p. 280.
3° La température de l’eau est très basse, 5.0" d 1° dans le Léman.
4° La température de l’eau est presque constante dans les très grands-
londs. La variation journalière y est nulle ; la variation annuelle, très-
laible dans les profondeurs de 50 à 100 ou 150™, est nulle dans les-
couches plus profondes. Seule la variation cyclique peut y apparaître,,
mais ses limites sont bien peu étendues; 1 à 2 ou 3 dixièmes de degré-
par an en phase de réchauffement, 1 à 2 degrés en quelques mois en
phase de refroidissement (grand hiver) (*).
Les très grands fonds des lacs protonds sont avec les régions abyssales
de l'océan f2), au point de vue de la température, le milieu le
plus invariable où des animaux soient appelés à vivre sur notre planète
(3).
5“ Les radiations lumineuses et actiniques y sont complètement,
éteintes ou du moins considérablement affaiblies. Nos expériences photographiques
ont montré que l’action des rayons solaires sur le chlorure
d’argent ne dépasse pas 45™ en été et 110™ en hiver; les bromo-
iodures d’argent les plus sensibles trouvent leur limite d’obscurité-
absolue vers-.200™ de profondeur (*).
Nous aurons à étudier l’effet de ces conditions d’obscurité physique-
sur les phénomènes physiologiques de la vision des animaux et de l’assimilation
des plantes,
6°. Au point de vue mécanique, un repos presque complet doit.
règner dans les régions profondes du lac. L’action des vagues ne s’y
fait plus sentir; l’action des courants doit y être presque nulle. Les-
grands' fonds des grands lacs sont aussi probablement l’un des plus-
calmes parmi les milieux habités de notre planète.
7° La pression y est considérable, augmentant d’une atmosphère-
par chaque 10™ de profondeur d’eau.
— En résumé, il parait que les conditions de milieu de la région profonde
de nos lacs peuvent se caractériser dans une tendance au calme,
au repos, à l’absence d’agitation et de mouvement. Peu ou pas de
mouvements mécaniques; les vagues sont sans effet, les courants ther-
(i) Voyez t. II, p. 355.
© Ajoutons encore les cavernes et les eaux souterraines.
(3) Nous aurons cependant à signaler une variabilité plus grande des eaux qun
reposent sur la plaine centrale du lac.
- © T. II, p. 433 sq.