vant les voies naturelles de leur extension; par migration indirecte ou
passive, par transport par un agent quelconque, d autres espèces ont
été importées à travers les airs ou le long des cours d’eau. Nous avons
vu la société littorale et la société pélagique peupler ainsi les bords et
le plein lac du Léman. Mais pour la région profonde il ne peut en être
de même.
En effet, les couches profondes d’un lac sont absolument séparées
des couches analogues d’un autre lac. Il n’existe aucun canal, aucun
passage qui les unissent : les eaux courantes qui les joignent, les fleuves,
les rivières, les ruisseaux sont des eaux purement de surface l 1).
Si la société biologique qui nous occupe est cantonnée dans la
région profonde, si elle ne peut s’élever dans les couches supérieures,
ni migration active, ni migration passive ne peuvent les atteindre. Les
Oiseaux d’eau dont le rôle est si actif et si efficace dans la dissémination
des espèces aquatiques ne peuvent intervenir dans ce cas; ils ne
savent que nager à la surface, et même les meilleurs plongeurs ne
descendent jamais dans les couches de la région profonde; ils ne peuvent
donc pas aller chercher des germes pour les transporter ailleurs.
Pour passer d ’un lac à l’autre, les organismes de la région profonde,
non seulement donc auraient à surmonter les difficultés du transport
d’un lac à l’autre, mais il faudrait encore s’élever jusqu’à la surface,
ce qui leur est impossible. Il n’y a donc aucun rapport médiat ou
immédiat entre les régions profondes des divers lacs; la société de
ces régions ne peut pas passer d’un lac à l’autre. La société abyssale
du Léman ne peut provenir de la société des eaux profondes d’autres
lacs.
Troisième solution. La société de la région profonde descend des
organismes de la région littorale qui se sont égarés dans les grands
fonds, par migration active ou par migration passive, et qui s’y sont
adaptés aux conditions de milieu nouvelles pour eux.
Cette solution, je la tiens'pour juste et je vais en démontrer la possibilité,
la probabilité, l’authenticité.
f1) -Le réseau des eaux souterraines qui circulent dans les canaux du sous-sol
ne s’ouvre qu’exceptionnellement dans les lacs. 11 y a quelques sources sous-
lacustres qui débouchent sur les talus d’un lac; il y a dans quelques lacs des
émissaires souterrains- qui partent d’une crevasse de la cuvette. Mais combien y
a-t-il dé ces rivières souterraines dont les deux orifices, celui de départ et celui
d’arrivée, s’ouvrent sous l’eau de deux lacs voisins ? Je n’en ai aucun à citer.
La p o s s ib ilité . 11 n’y a pas de barrières entre la région littorale et
îa- région profonde : l’une continue directement l’autre. Tandis qu’il y
aurait opposition complète de milieu entre la région profonde et la région
pélagique, masse d’eau indéfinie, illimitée, où des organismes nageurs
ou flotteurs peuvent seuls trouver place, il y a analogie évidente
pour certaines conditions de milieu avec la région littorale; les deux
régions possèdent le même sol vaseux dans lequel et sur lequel les
organismes limicoles trouvent leur insertion et les nécessités de leur
vie. Enfin les migrations sont possibles.
Des migrations actives sont possibles. Etant connues les allures très
lentes des animaux limicoles qui forment la majorité de la faune littorale,
les migrations actives doivent jouer un rôle peu important dans
leur dissémination. Cependant, quelque petit que soit le déplacement
.d’un individu animal dans le cours de sa. vie, si ce déplacement se renouvelle
pendant plusieurs générations, il peut, en së multipliant, couvrir
des distances considérables. Je suis convaincu que les espèces
mobiles du littoral, les espèces du moins dont l’existence n’est pas
liée à la présence de pierres ou de plantes vertes, peuvent s’égarer
parfois dans leurs excursions et descendre petit à petit vers les abimes
•de la région profonde.
Mais, dira-t-on, comment ne sont-ils pas repoussés par l’obscurité et
par le froid des grands fonds? comment ne sont-ils pas attirés, au contraire,
par la lumière e t la chaleur qui devraient les rappeler vers le littoral?
Je répondrai à cette question. D’abord je constaterai que tous les
animaux aquatiques sont myopes et ne voient qu’à une très faible distance
; puis si je me mets à leur place, je reconnaîtrai qu’ils sont dans
l’impossibilité de se diriger. S’ils sont dans la région où la lumière pénètre
encore, ils ont au-dessus d’eux un firmament éclairé; mais autour
- d’eux, dans toutes les directions, l’horizon est également obscur. Le sol
monotone et sans accidents sur lequel ils rampent est trop peu incliné
pour qu’ils puissent reconnaître la ligne de plus grande pente contre laquelle
ils auraient à remonter pour regagner le rivage. En les supposant
capables de faire les raisonnements compliqués qui leur feraient rechercher
leur chemin, ils seraient dans l’impossibilité de le retrouver.
J’admets donc que par migration aëtive, mais accidentelle et non
voulue, les animaux mobiles de la région littorale peuvent s’égarer et se
disséminer de plus en plus loin dans les régions profondes. Ce procédé
d e peuplement doit, du reste, être peu efficace.