les jouissances qu’il en obtiendra ne seront égalées que par celles de
ses successeurs lorsqu’ils reprendront le. même thème considéré sous
d’autres faces, avec l’éclairage de nouvelles lumières; le sujet qui
semblait épuisé reprendra vie sous ces jeunes études et nos descendants
y trouveront autant de plaisir que nous-mêmes quand ils corrigeront
et compléteront nos antiques recherches.
C’est ainsi que, bien infime, j’ai su glaner quelques épis dans le
champ moissonné avant moi par ces géants de la science, les H.-B. de
S a u s s u r e , les Alphonse Favre, les Daniel Colladon, les Charles et
Louis Du fo u r , les Fritz B u r n i e r , les Ju-rine, l e sVa u c h e r , etc.,
etc. Je pourrais croire avoir tout ramassé, j’ai du moins recueilli tous
les brins de chaume qui ont frappé mon oeil. Mais parce que je suis au
bout de mon oeuvre, le champ doit-il être considéré comme fermé ?
N’y a-t-il plus rien à récolter? Loin de là. D’autres viendront après moi
qui y trouveront de nombreuses et d’épaisses javelles. Et cette moisson
se renouvellera indéfiniment pour les naturalistes qui nous succéderont,
et qui, les uns après les autres, mettront au jour de nouvelles
vérités.
Des vérités! la vérité! C’est ce que nous cherchons, c’est ce que
nous trouvons.
D e s v é r i t é s , c’est-à-dire des faits d’une part, et d’autre part des
synthèses d’observations, des généralisations de déductions, l’explication
de phénomènes, la théorie enfin qui est la forme la plus élevée
de nos travaux intellectuels. Hypothétiques d’abord, nos théories arrivent
de plus en plus à la certitude ; de probables elles deviennent certaines,
et alors elles sont des vérités. Des vérités, nous avons fréquemment
la joie d’en rencontrer sur notre route de naturalistes, et, dans la
belle carrière que nous suivons, c’est la plus douce récompense de
nos travaux. Le temps, le labeur, souvent la peine que nous consacrons
à l’étude de la nature sont largement payés par l’intérêt intrinsèque
de ces recherches; même lorsqu’elles n’aboutissent pas à un résultat
immédiat, elles nous passionnent par leur cbarme môme. Mais quand
nous avons la bonne fortune d’arriver à une solution, à la constatation
d’un fait, à l’explication d’un phénomène, à une théorie plausible, oh
alors ! c’est la satisfaction la plus intime, la plus puissante, la plus absolue,
c’est une volupté intellectuelle réellement parfaite. Je ne puis
me figurer que ce sentiment de joie soit dépassé par aucune des satisfactions
de 1 amour-propre, de l’ambition, de l’orgueil ; en tout cas c’est
le plus pur et le plus innocent de tous les triomphes.
Et ce sentiment, nous le goûtons quelle que soit l’importance de nos
découvertes. Un simple fait bien étudié, une petite hypothèse bien
assise, nous cause peut-être autant de jouissance immédiate que la
plus grande des théories en a donné à un N ew t o n , à un Da rwi n , ,
à un H e 1 mh o 11 z, à u n P a s t e u r . La volupté de la découverte de
la vérité ne se mesure pas à l’utilité, à l’étendue, à la valeur intrinsèque
de la trouvaille, pas plus qu’à la puissance intellectuelle de celui qui l’a
faite. C’est une illumination soudaine de notre esprit qui entrevoit ou
qui saisit 1 explication longtemps cherchée, qui perçoit les rapports
entre les phénomènes jusqu’alors séparés en apparence; c’est un trait
de lumière qui éclaire l’obscurité dans laquelle nous nous traînions.
C’est probablement ce que les anciens prophètes désignaient sous le-
nom d’inspiration — il semble vraiment qu’un souffle d’en haut soit
intervenu pour nous montrer la vérité. Plus tard viendront la mise à
profit de la découverte, son utilisation, le développement de ses conséquences;
ce sera de nouveau le travail ingrat, improbus labor, qui reprendra
possession de l’ouvrier intellectuel enchaîné à sa tâche ; mais
n’importe ! le glorieux laboureur aura eu, en l’instant de la révélation,,
la récompense intime qui l’encouragera pour longtemps, lui l’homme
de science, dans la poursuite de ses investigations.
En proportionnant le champ de nos recherches à l’étendue de nos
moyens personnels, chacun de nous peut arriver à la découverte d’une-
vérité, chacun de nous peut participer une fois ou plusieurs fois dans'
sa carrière à cette suprême jouissance de la solution d’un problème-
soumis à notre curiosité. Grâce à la nouveauté relative du sujet d’études
auquel je me suis voué, j ai souvent eu ce bonheur, et je puis me-
déclarer heureux entre les hommes, pour avoir goûté plus souvent
peut-être qu’à mon tour ce qui est pour nous, les amants de la nature,
la volupté idéale, ineffablement pure, admirablement intense et
profonde.
Des vérités, nous en trouvons parfois; la v é r i t fé, pouvons-nous de
même y aspirer? La vérité, c’est-à-dire l’explication définitive du
monde extérieur à notre moi, et de ce moi lui-même. Laissons ce dernier
point, notre âme avec ses obscurités et ses grandeurs; elle ne saurait
rentrer dans l’histoire naturelle descriptive qui nous occupe dans ce