pélagique; s’est faite peut-être dans un temps reculé; et dans des eaux
peut-être fort distantes des nôtres; ils n ’ont eu pour s’établir dans le Léman
qu’à subir l’adaptation au climat spécial de nôtre lac.
La genèse de ces trois sociétés est donc fort différente, et je trouve
dans ces faits ma justification d’en avoir établi la distinction. Je me
base en partie sur cette diversité très évidente entre la genèse de la
société littorale et celle de'la société pélagique pour maintenir la séparation
entre ces deux sociétés que plusieurs de mes collègues et amis,
et parmi eux des hommes lès plus autorisés et les plus compétents,
voudraient réunir en un tout qu’ils appellent la société limnétique.
Leur proposition est admissible pour aussi longtemps qu’on ne considère
que les petits lacs et étangs où les faits limnologiques sont enchevêtrés
les uns dans les autres;-sitôt que l’on arrive dans un grand lac,
la région pélagique et la société biologique spéciale q u i ,l’habiter deviennent
évidentes et leur distinction apparaît parfaitement légitime.
CHAPITRE Y — FAITS DIVERS
Dans les chapitres précédents nous avons , énuméré les organismes
connus dans les eaux du Léman, ou se rattachant de près ou de loin
à sa biologie; puis nous les avons groupés en sociétés régionales dont
nous avons étudié les relations et la genèse. Je vais à présent traiter
plus en détail quelques faits spéciaux se rapportant à l’un ou l’autre
des groupes d’organismes du lac; non seulement ils représentent pour
moi des sujets favoris, mais encore ils me paraissent offrir assez d’in térêt
pour que j’ose les développer plus longuement.
Ce chapitre de faits divers, j ’aurais pu l’étendre indéfiniment; en
quarante-cinq ans d’études sur un sujet on aecumule bien des notes
et des souvenirs. Mais il faut savoir se borner.
I. Çygnes faux-albinos.
Depuis une trentaine d’années, nous assistons, sur le Léman, à une
variation importante de l’espèce du Cygne tuberculé qui mérite d’ètre
étudiée attentivement, car elle soulève quelques questions générales ■
intéressantes. J’en ferai l’histoire dans ses grands traits.
11 est connu que les jeunes Cygnes que, pour abréger, nous appellerons
des « cygnets», possèdent dans leur première année un plumage
tout différent decelui de l’adulte; le. gracieux coiffe cl’An d e r s e n , le
«Vilain canard», dépeint fidèlement la livrée gris-sale, peu elegante
de ces jeunes oiseaux.
Voici la description que donne Buffon du plumage des cygnets(l ).
‘ «Les, petits Cygnes naissentfort laids et seulement couverts d’un duvet
gris ou jaunâtre, comme les oisons; leurs plumes ne poussent que
quelques semaines après, et sont encore de la même couleur. Ce vilain
plumage change à la première mue, au mois de septembre; ils
prennent alors beaucoup de plumes blanches, d’autres plus, blondes
que'grises, surtout à la poitrine et sur-.le dos. Qe plumage chamarré
tombe à la seconde mue et ce .n’est qu’à dix-huit mois et même à deux
ans d’âgé, que ces oiseaux ont pris leur belle robe d’un blanc pur et
sans taché; ce n’est aussi que dans ce temps qu’ils sont en état de
produire ».
Ma description est plus simple et plus rapide. « P r emi è r e a n n e e :
Duvet à l’éclosion, gris. Premières plumes- de l’été, gris; mue de
l’automne, brun chamarré de blanc. Deu x ième an n é e : Mue de printemps,
blanc.». Tel est le plumage du Cygne tuberculé type.
Or au printemps de 1868, nous vîmes dans une couvée de quatre cygnets
éclos dans le port deMorges, un seul Oiseau présenter cette parure
classique; les trois autres étaient blancs; je les ai appelés provisoirement
faux-albinos (2). Le premier duvet d é ces cygnets anormaux
était blanc : non pas, il est vrai, le blanc brillant du plumage de 1 adulte,
plutôt'le blanc jaunâtre du plumage de jeunes oisons, mais blanc
bien caractérisé .en opposition au duvet gris de leur frère normal.
Leurs premières plumes de l’été d’un blanc pur et sans tache. A l.âge
de six mois leur plumage ne les distinguait en rien dé l’adulte
Le bec dé nos cygnets faux-albinos était déjà rougeâtre;.ce n é tait
pas encore lé rouge orangé brillant du bec de l’adulte, m a is, quoique
encore pâle, leur couleur était déjà très différente du noir plombé du
bec de leur frère normal.
1 . (i) Buffon. Histoire, naturelle des Oiseaux. IX, 349. Paris 1784.
P) F.-A. Forel. Faux-albinisme de trois jeunes Cygnes de Morges. en -1868...Bull-
. S. V. S. N;. X. 132. Lausanne 1868.