CHAPITRE V. MESURES PROTECTRICES DU POISSON.
Nous ne savons pas retrouver dans notre histoire locale, aussi anciennement
qu'en France, des mesures protectrices contre la destruction
du poisson. L’ordonnance de P h ilip p e -le -B e l, roi de France, de
l’anl312 détendait de «pescher d’engin de quoi la maille ne soit de moulle
d’un gros tournois d’argent (4), de prendre Brochetaux (petits Brochets)
qui ne valent deux deniers, la Yandoise et le Chenevel (Chevaine) s’ils
n’ont cinq pouces de long, le Barbel (Barbeau) dont les deux ne valent
un denier tournois, le Carpel (Carpe) dont les deux ne valent un denier,
les Anguilles dont les quatre ne valent un denier tournois. Nous
détendons la blanche Bosse (Gardon) si elle n’a cinq pouces de long
et qu’on ne la puisse prendre avant demy-avril jusqu’à demy-mai. Nous
défendons que marchand de Poissons n’achète Poissons qui ne soient
de l’ordonnance dessus-dite; et s’ils étoient repris soustrayant ou vendant,
ils payeront comme ceux qui l’ont pesché » (*/. Nous renvoyons au
très intéressant chapitre d’Emile B la n c h a rd sur l’histoire de la législation
relative à la pêche et au commerce des poissons dans les eaux
françaises(3). Nous- signalons en particulier les articles de la grande
ordonnance de 1669 concernant l’interdiction de la pêche en temps de.
frai, entre autres pour la Truite « à savoir dans les rivières où la Truite
abonde sur tous les autres poissons du 1er février au 15 mars et dans
les rivières ordinaires du 1er avril au I e1'ju in » . Un grand nombre d’engins
de pèche sont prohibés en temps de frai. Quant à la dimension
minimale des poissons dont la pèche est tolérée, elle est de 6 pouces
(16‘2mm) entre l’oeil et la queue pour les Truites, Carpes, Barbeaux,
Brèmes et Monniers, de 5 pouces (135mm) pour les Tanches, Perches
et Gardons.
(!) Le gros tournois de Philippe IV a un diamètre de 25 Vg"1"1- (Prof. A. de M o lin ,
Lausanne.)
(2) Ordonnances des Rois de France. J, 541. Cité par E. Blanchard. Poissons des
eaux douces de France, Paris 1866, p. 628.
(3) lbid., p. 624 sq.
Il y a là des limites de taille protégeant le trop jeune poisson contre
une pêche destructive, et même pour le Gardon, déjà en 1312, il semble
y avoir Une, période de protection correspondant à l ’époque du frai qui
est en avril et mai (Blanchard).
Avec la complexité de la législation et des droits locaux de la Suisse
et de la_ Savoie, nous n’avons rien d’uniforme et de général à enregistrer
chez nous ; cependant il est évident que dès les 'mm et XVIe siècles,
l’on se préoccupait partout de la nécessité de prendre des mesures
pour empêcher la destruction du poisson, soit par la prohibition
de la pêche en général en certaines saisons, ou de la pêche de certaines
espèces en temps de frai, soit par l’établissement d ’un minimum de.
taille différent pour les,diverses espèces en dessous duquel le poisson
devait être rejeté au lac. Dans son histoire de la pêche en Suisse, Th.
d e L ie b e n a u a réuni des documents précieux sur ce sujetQ). Nous
y voyons des conventions, règlements ou ordonnances prises pour le
lac de Morat dès 1395, pour le lac de Sempach dès 1421, pour les
eaux de Berné, Fribourg et Soleurê dès 1510, pour le lac de Zurich
dès 1533, pour le Bodan dès 1544, etc.
Quant au Léman, nous n’avons pas de documents qui nous fassent
remonter si haut pour la promulgation de mesures protectrices. Les
plus anciens textes que j’aie su retrouver sont du XVIe siècle.
Dans l’ordre sur le poisson du 19 décembre 1550, le magistrat de
Genève ordonne « qu’il soit fait commandement que nul ne doive jeter ,
pastes pour prendre les poissons » (“). 11 s’agit ici de substances vénéneuses
ou étourdissantes. En 1636, défense du Petit Conseil de Genève
de «jeter de l’endormie » dans le Rhône,, sous peine de châtiment
corporel G).
La carte du syndic Jean d u V illa r d , de 1581, célèbre l’excellence
de la Jolerie. « petites perches de la longueur du doigt, en sa saison en
juin », et du Millecanton, « petites perches sortant de l’oeuf, est excellent
et friand aux mois de juillet et d août.. 11 est évident d’après ces citations
que le premier magistrat de Genève ignorait toute espèce de défense
proscrivant la destruction des espérances de la pêche à venir. Cependant
depuis que j’ai vu, dans une bourgade riveraine.du lac, un con-
(’) [Loft, oit, p. 604], pp. 87,103, 115, 1111,1 3 7 .
0 M, S. liist. de Genève, a, p. 179. Archives de Genève.
(») .1 . faucher. La Pisciculture à Genève! Internat. FiscU. Austellung zu Berlin,
Leipzig 1880, p. 64.