tions analogues à celles de leur milieu normal, et s’y seraient établies
et multipliées? Dans cette hypothèse le grand processus de différen"
ciation par adaptation au milieu obscur aurait eu lieu lors du passage
de l’espèce oculée dans lés eaux-souterraines, et la transformation qui
en a fait une espèce lacustre abyssale aurait été moins importante.
Le fait que les mêmes espèces abyssales lacustres ont été trouvées
dans d’autres lacs augmente l’intérêt de la question qui prend ainsi une
portée générale non méconnaissable.
Voici les éléments de ma réponse.
A. Les auteurs qui ont décrit nos deux espèces aveugles de la région
profonde du Léman, après en avoir lait une étude morphologique
et biologique détaillée, se sont prononcés comme suit : A lo is Hum-
b e r t établit la parenté du Niphargus abyssal lacustre avec celui des-
pavernes; il admet par conséquent la descendance l’un de l’autre.
H. B 1 a n c hésite au sujet de l’origine de l’Asellus aveugle de la région
abyssale du Léman; tantôt, quand il rencontre deux individus, jeunes-
présentant des points oculaires incontestables, il pense à un retour au
type et admet la descendance de V Asellus aquaticus des eaux de
surface (p. 386) |S j tantôt les ressemblances morphologiques lui rappellent
tellement V Asellus cavaticus des puits et cavernes qu’il est conduit
à admettre un rapport de descendance entre ces deux espèces
aveugles (p. 392).
B. Au point de vue morphologique, les deux espèces abyssales qui
nous occupent diffèrent davantage, l’une et l’autre, des espèces littorales
correspondantes, que des espèces cavicoles. Comme ces dernières,
elles présentent une réduction de taille, absence de pigmentation,
cécité absolue, diminution du nombre des articles des antennes,
du nombre des soies et ornements, etc. Mais pour la plupart des organes
et appendices la réduction est poussée plus loin dans l’espèce
abyssale que.dans l’espèce cavicole, la taille est aussi plus petite. Par
conséquent l’espèce abyssale est plus rapprochée de l’espèce cavicole
que de l’espèce littorale, Cela est tellement vrai pour les Gammarides,
que les auteurs sont d’accord pour réunir les espèces abyssales et cavicoles
dans un genre spécial, le genre Niphargus.
C. L’argument biologique est un peu plus compliqué. 11 peut se
traduire en ces termes :
(*) II. Blanc, loc. cit., [p. 93].
a. Les différences qui séparent les espèces cavicole et abyssale de
l’espèce littorale résultent évidemment de l’action d’un milieu calme,
pauvre et obscur : diminution de la taille, réduction des , articles e t
appendices, suppression de l’organe visuel, absence de pigment, exagération
des organes auditifs et sensibles. 11 y a là One adaptation au
milieu très facile à reconnaître.
h. Les espèces cavicoles et les espèces abyssales étant les unes et
les autres placées dans un milieu qui explique les variations constatées,
celles-ci pourraient s’ôtre produites isolément, chacune pour son
compte, dans les deux espèces parallèles. Des Gammarus pulex et des-
Asellus aquaticus, égarés dans les eaux souterraines, se seraient transformés
en Niphargus jndeanus et en Asellus cavaticus; ces mômes-,
espèces littorales, égarées dans la région profonde du Léman, y seraient
devenues les espèces abyssales dont nous recherchons l’origine. 11 n’y
a rien d’impossible.
c. Mais je né saurais expliquer dans ce cas la plus grande puissance
d’eflet observée chez les espèces abyssalés que chez les espèces cavicoles;
la modification est plus considérable chez les premières, et cependant
la région profonde des lacs ne semble pas un milieu plus-
obscur, plus pauvre, plus calme que k région des eaux souterraines..
Pourquoi les formes abyssales auraient-elles dépasse dans leurs transformations
adaptatrices les espèces cavicoles '?
d. Mais -encore, si une telle transformation pouvait être opérée,
dans les conditions de durée dans lesquelles nous nous mouvons, par
la simple migration d’une espèce littorale dans la région profonde du
lac, nous devrions voir des modifications analogues chez tous nos organismes
de la société abyssale. Or à part une réduction de taille et la
pâleur des tissus de quelques Mollusques et Turbellariés, nous n avons
point constaté dans la généralité de nos organismes abyssaux de transformations
équivalentes à celles de nos Crustacés aveugles. Seules les
espèces qui ont des représentants dans la société des eaux souterraines-
montrent cette adaptation excessive au milieu obscur que nous reconnaissons
chez nos Aselles et Crevettes abyssales du Léman.
e. Mais enfin, en combinant les deux objections précédentes, sii
l’action du milieu obscur de la région abyssale était si puissante quede
dépasser en ses effets modificateurs l’action de l’établissement dan»
les eaux souterraines, comment et pourquoi les autres espèces abyssi-
coles n’ont-elle pas été sensiblement modifiées ? ~