d. Les vergues. Dans la même figure de la galère réale l’antenne est
formée, comme celle des dahabiehs du Nil ou des tartanes de la Méditerranée,
de deux perches unies par des liens sur leurs extrémités
médianes qui chevauchent l’une su r'l’autre, de telle sorte que le centre
de gravité de la vergue est au milieu de la longueur, et que le point
d attache de la drisse est près de ce milieu. Dans nos barques du Léman,
1 antenne de la voile latine est formée d’une seule pièce de bois,
tronc de sapin non écorcé,et la drisse est frappée aux 2/5 inférieurs de
la longueur. D’après Jean Ma r te i lhe il en était de même dans la galère
sur laquelle il ramait : « le gros bout de la dite antenne vient aboutir en
bas, presqu’au pied du mât ; le petit bout en pointe de l’antenne est
de 40 pieds plus élevé que le mât' »(*).
e. La suppression dans la barque marchande des rambades, ou châteaux
d avant et d’arrière, où se logeaient les soldats en cas de ba-
taille, ne demande pas de justification.
f. L utilisation nouvelle des appoustis a été une invention très heureuse.
Sur la galère, 1 appousti avait été ajusté au corps du navire, probablement
dans l’intention d’élargir le point d’attache des rames, et par
conséquent d’allonger les avirons. Pour utiliser la place ainsi conquise,
on recouvrait les appoustis d’un faux plancher sur lesquel les soldats
de marine se logeaient, fort peu commodément, il est vrai(2). Sur la
barquè voilière, la ramerie-étant supprimée, les appoustis auraient pu
être enlevés. Mais on les a conservés en en faisant des galeries pour le
cheminement des bateliers, en particulier pour le maniement de l’étire
lorsqu’ils ont à faire avancer le bateau en poussant à la perche sur le
sol de la beine. De cette manière on a pu maintenir une libre circulation
de 1 avant à l’arrière [du bâtiment, alors même que le pont est
surchargé de marchandises,- et la barque du Léman y a gagné quelques
uns de ses caractères particuliers les plus intéressants.
g. Ii reste peut-être une différence importante à mentionner. La
galère de la Méditerranéeïétait un bateau à quille, la barque du Léman
est un bateau à fond plat. ¡Comment passer de l’un à l’autre? Que la
galère méditerranéenne fûtjun bateau à quille, et à fond rond, c’est ce
qui résulte de la plupart des dessins et descriptions que nous en possédons.
Cependant^il n’y a pas de doute- que certaines galères eurent
(*) Marteilhe [loc. cit., p. 585\, p. 454.
(a) Ibid., p". 465 et 468.
un fond plat. Ainsi dans les Navi Venete de C.-A. Levi , je vois à la
planche VIH la galère du provéditeur P r i u l dessinée d’après une gravure
de la collection Correr au Musée civique de Venise ; c’est incontestablement
un bateau plat.
Ainsi encore dans J a 1 (-1), je trouve une coupe en travers d’une galère,
d’après un dessin du volume manuscrit 2961 du dépôt de la marine
à Paris. C’est parfaitement la coupe d’une barque du Léman, avec
le môme fond plat et les bords évasés que nous donne notre figure 237,
page 549.
Qu’étaient à ce point de vue les galères du Léman? C’est difficile à
dire. Dans les seuls monuments graphiques de style technique que
nous possédions des galères du. Léman, les dessins de l’ingénieur Ivoy
dans 1 Album du Conseil de guerre de Berne que nous reproduisons à
la fig. 244, page 588, en utilisant un cliché qui nous a été très gracieusement
prêté par M.E. d eRodt etsonéditeurM. F ra n c k e ,àB e rn e (2j,nous
voyons tous les types possibles de bateaux, les uns à quille, les autres
plats. Nous en discuterons plus loin la signification. Mais nous devons
dire qu’il est fort peu probable que l’on ait construit de préférence sur
le Léman des bâtiments de guerre à quille; car ce type de navire a nécessairement
un fort tirant d’eau, et il était de ce fait exclu d’un lac
où le port principal, Genève, n ’était pendant un tiers de l’année abordable
que pour des bateaux de faible profondeur. Il faut en effet se
rappeler qu avant l’établissement des barrages de Genève, pendant
tout 1 hiver, le lac n étant pas relevé par ces digues artificielles s’abais-
sait assez pour que la sortie de l’eau équivalût à l’apport des affluents,
quelques dizaines de mètres cubes par seconde. Sur le banc du Tra-
veis 1 eau devait être sans profondeur, et des bateaux plats pouvaient
seuls le franchir. Donc, j ’admets comme probable que, sinon toutes, du
moins quelques galères du Léman étaient des bateaux à fond plat.
Enfin, si la barque du Léman est un bateau plat, les varangues de ses
couples étant horizontales, elle a cependant une quille, ou « caresne »,
dont nous trouvons l’indication dès les premières apparitions de ce type
de bateau. Sans que je puisse montrer les transitions par lesquelles s’est
fait la transformation de la galère à quille en barque à fond plat, nous
avons assez de positions intermédiaires pour que nous ne soyons pas
arrêtés par cette difficulté.
(D A. Jal. ’Architecture navale. Paris 1840. I. 897.
(a) Extrait de Edouard von fiodi.Bern im achtzehnten Jàhrhundert,p.31Bern. 1901.