La galère française et la galère italienne étaient bâties sur le même
modèle. Cela est bien évident si l’on compare entre autres nos deux
figures 242 et 243, l’une la galère française type, l’autre un modèle
excellent de galère vénitienne. Or, comme les galères du Léman* construites
par des maîtres génois, avaient le type des galères italiennes,
nous pouvons attribuer avec toutes probabilités aux galères du Léman
les grandeurs et proportions des galères italiennes et par conséquent
des galères françaises.
Que les galères du Léman fussent bâties sur le type des. galères de
la Méditerranée, cela ne fait pas de doute pour nous, qui avons feuilleté
tous les rapports conservés dans les manuaux du Conseil de
guerie de Berne; nous y avons retrouvé tous les organes et appareils
qui caractérisent ce type dé navire.
La galère du Léman était donc un bateau de bas-bord, long, ponté,
à gouvernail, à appoustis latéraux, à deux mâts â voiles latines, à
proue prolongée en éperon. ' N’est-ce pas là presque la définition de
notre barque marchande? Elargissons le corps de la galère, supprimons
les rames et les rambades d’avant et d’arrière, et nous avons
la barque du Léman. Autrement dit, celle-ci est une galère élargie*
sans rames et sans châteaux d’armes.
En fait de différences intéressantes entre la galère et la barque, j’ai
à signaler : la plus grande largeur de la barque, la forme de la proue,.
1 absence des haubans, la forme de l’antenne, la suppression des rambades,
1 utilisation des appoustis, enfin le fond du bâtiment qui dans la
barque est celui d’un bateau plat, qui dans l à 1 galère était, peut-être,
celui d’un bateau à quille.
Reprenons l’un après l’autre ces divers points :
a. La plus grande largeur de la barque. La galère type de la flotte
française mesurant 43“ de long et 5.8“ de large était 7.4 fois plus longue
que large. La barque du Léman (exemple la Gaillarde) de 30.3“ de
longueur, de 7.8“ de large est 3.9 fois seulement plus longue que large ;
■sa largeur est le quart de la longueurQ. Cela s’explique facilement.
Pour transformer la galère, navire de guerre, de grande vitesse, en
(*) Cet élargissement s ’est fait progressivement. Ainsi en 1785 la barque tvne
de Caerod de Martignier était 4.9 fois plus longue que large.; sa largeur était le
cinquième de la longueur. Voir ci-dessus, p. 552.
un bâtiment de commerce, dont la qualité maîtresse est d’être de fort
tonnage et dont la rapidité d’allures n’est que d’importance secondaire,
l’élafgissement du bateau était la modification indiquée. Par cet élargissement
on obtenait, en même temps la stabilité remarquable de la
barque qui lui permet de porter une lourde voilure sans que le bateau
soit chargé de lest, sans que son tirant d’eau soit aggravé; c’était indispensable
sur un lac où les ports creusés étaient rares, et où l’atterrissage
devait pouvoir se faire dans une eau peu profonde.
b. La forme de la proue. Dans la galère elle formait une longue
pointe horizontale espèce d’éperon qui pouvait jouer le rôle de
bélier; dans notre barque marchande actuelle elle est relevée en un
angle trièdre prolongé en une pointe inclinée ; la face supérieure qui
est la continuation du pont de la barque finit par avoir une inclinaison
très forte, de 35° sur l’horizontale. Mais l’étude des dessins des barques
du Léman du XVIIIe siècle nous montre que cette bâtisse d’une proue
relevée ne s’est introduite que tardivement. Dans la figure du plan de
Corsier, fig. 240, page 551, dans les dessins et peintures des Gard e r i e ,
dans les dessins de 'Cuénod de Ma r t ignie r , fig. 239, page 550, la
proue de la barque est presque horizontale et rappelle celle de la
galère. Donc la barque du Léman a gardé pendant longtemps la proue
horizontale.de la galère.
c. Les haubans. Dans la figure de la galère réale que nous avons
donnée, page 580, nous voyons les mâts soutenus par une armature
assez compliquée de haubans, 6 paires pour le mât de mestre, 4 pour
le mât de trinquet. Mais dans la description de la galère que donne
Jean Marteilhe, à la suite du récit tragique d e ses souffrances sur les
galères du Grand-roi (s), on voit que le mât de la galère ordinaire était
nu et sans haubans, comme le mât de notre barque du Léman.
(!) Un détail qui.nous est donné par une lettre du capitaine du Torrent au Conseil
de guerre de Berne nous montre combien la proue avançait sur le corps du
navire, et peut-être la poupe le dépassait à l’arrière : « Sur l’êtat des galères de
LL. EE. il faut dire qu’elles ont été mal construites . . . elles n’ont que 50 pieds de
quille, en ayant 100 pieds de longueur sur le pont.... Le plan ou fond est fabriqué
tout plat, de simples planches de clièné d’environ quatre pouces d’épaisseur, lesquelles
viennent jusqu’à environ 20 pieds de l’arrière qui est la poupe, finissant
toutes sur une même ligne comme à un plancher de grange ». (Sans date, Schifïfahrt
im Lande. I, 7. Arcb. de Berne.)
: (-) A un Marteilhe. Mémoires d'un protestant condamné aux galères de France
pour cause de religion. (Rotterdam 1757, p. 437.) Paris 1865. «Le grand mât est
planté au milieu de la galère, sans mât de hune, ni hauban ou échelle de corde
pour y monter; ce mât ainsi tout nu, n’y ayant que le cordage qu’on nomme
amarre pour y attacher la vergue »