l’indoustan, le Bengale, la Mésopotamie; en Afrique, les régions du
Zambèse, du Congo, de Madagascar; en Amérique, le Vénézuela, la
contrée de l’Orénôque et de l’Argentine, nous offrent des villages bâtis
sur l’eau, établis sur des pilotages qui nous montrent, encore vécues
aujourd’hui, les moeurs des anciens Palafitteurs d e l’Helvétie. Ces habitudes
amphibies sont donc assez généralement répandues; elles ne
sont pas spéciales aux peuples qui pendant une période antéhistorique
se sont établis sur les rives de nos lacs.
N’oublions pas non plus les granges et mazots de® montagnards va-
lâisans, tous établis sur des pieux d'un mètre de hauteur pour protéger
les fruits récoltés contre la dent des rongeurs. Ce sont des palafittes
terrestres.
Les habitants de l’antique Helvétie étaient-ils invités à cet établissement
dans- le domaine des eaux par l’impénétrabilité des forêts qu’ils
n’auraient pas su défricher? La forêt vierge'de nos climats n’est pas-
assez serrée pour qu’on ne puisse facilement l’habiter. Ils possédaient
le feu, et l’incendie y aurait bientôt fait des percées;, ils possédaient
des haches et savaient les manier, preuve en est les milliers de pieux
qu’ils ont plantés dans le lac; ils ne reculaient pas devant le travail, et
ils auraient plus vite abattu les arbres pour créer une clairière dans la
forêt que pour en bâtir un pilotage.
Pour le comte Eberhard de Z e p p e l i n la-causé déterminante des
constructions en palafittes doit se chercher dans le fait que, lors de
_l’envahissement du pays par une tribu immigrante, les seules parties
du terrain qui ne fussent pas recouvertes d’une forêt vierge presque
impénétrable étaient les grèves des rivières, des torrents et des lacs,
ainsi que les marécages; c’est donc la q u e Je premier établissement
devait se. faire. Lors des crues, les immigrantsse,seraient vus repoussés
par l’eau montante, s’ils n’avaient pas inventé d’élever leurs huttes
sur des pilotages. De là le palafitte (*). Cette hypothèse est très séduisante
et tient compte de beaucoup de faits; elle tombe cependant devant
la circonstance que les palafittes n’ont pas été construits sur la.
grève inondable, comme le veut le D1' Zeppelin, mais bien sur la beine;
leurs poteries et les pièces délicates de leur industrie n’ont pas été
roulées parles vagues, donc elles sont tombées dans une eau profonde
(*) Graf E. Zeppelin-Ebersberg. Was ist dor aligemeine Grand and Zweck der
Pfablbauten. Globus LXX.II, n° 13. Braunscbweig 1897.
au moins d’un mètre, donc elles ne sont-pas restées exposées sur la
grève.
Etait-ce peut-être que la forêt était inhabitable pour eux, possédée
qu’elle était par d’autres peuplades hostiles, dont Finhospitalité les aurait
chassés et qui les auraient forcés à se' réfugier sur les eaux? C’èst
possible, mais'ce n’est pas prouvé; car cet autre peuple aurait laissé
des tracés et nous en aurions trouvé les monuments plus facilement,
semble-t-il, que nous n’avons étudié ceux des Palafitteurs dans
les lacs.
Je n’écarte cependant pas absolument cette hypothèse. Il est possible
que la terre.ferme était habitée en même temps que les eaux. La population
totale du pays n’était pas confinée dans les quelques villages
dont nous retrouvons les palafittes dans nos lacs oü nos marais ; les
nombreuses trouvailles de 'pièces isolées et de tombeaux de types divers,
soit de l’âge de la pierre néolithique, soit de l’âge du bronze, que
nous connaissons dans la campagne, loin des laps, ne sont pas toutes
dues à des accidents de voyagé ou de chasse, à des pertes fortuites
provenant des Palafitteurs égarés, loin de leurs stations lacustres. Le
-paÿs était habité, peut-être très habité, par u'he population terrienne;
les Palafitteurs n’étaient-ils pas tout simplement les tribus des pêcheurs
et des navigateurs de ces peuples préhistoriques? -
Recherchaient-ils sur les eaux une protection contre les bêtes féroces?
Certainement, non. La faune de l’époque nous est parfaitement connue.
11 n’y avait alors dans le pays en fait de rapaces terrestres que l’Ours,
le Loup, le Lynx, le Chat sauvage, le Sanglier, et encore n’étaient-ils
pas très abondants, sauf les Sangliers, à en juger par le petit nombre
de leurs ossements récoltés dans les palafittes; l’existence d’un bétail
domestiqué, 1 Boeuf, Mouton, Chèvre, Cochon, indique aussi une rareté
probable des bètes féroces. Du reste, Gés espèces que nous appelons
féroces sont de moeurs peu âggressives, et des peuplades de chasseurs,
relativement bien. armés, ne devaient pas redouter l’habitat au milieu
des quelques carnassiers indigènes dans notre pays.
L’on a cherché dans des intérêts de la pêche le motif déterminant de
la construction des maisons sur pilotis lacustres. On se rappelait la
description classique que fait Hérodote des Péoniens du lac Prasias
(dans la Roumélie actuelle). « Ils nourrissent leurs chevaux et leurs
bêtes de somme avec du poisson en place de foin. Le lac est si poissonneux
qu’en y descendant un panier par la trappe (ouverte dans le